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Convention de forfait illicite et travail dissimulé : ce n’est pas automatique

Convention de forfait illicite et travail dissimulé : ce n’est pas automatique

La seule application d’une convention de forfait illicite ne caractérise pas un travail dissimulé et ne suffit donc pas à donner droit au salarié au versement d’une indemnité forfaitaire de 6 mois de salaire. La portée de cette solution, qui mérite totale approbation, doit être bien comprise1.


A l’heure où la validité des conventions de forfait est plus que jamais sous le contrôle des juges, la Chambre sociale de la Cour de cassation précise opportunément que la seule application d’une convention de forfait illicite ne suffit pas à caractériser un travail dissimulé (Soc. 16/06/2015).

Pour mémoire, le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié se définit en particulier comme le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement des formalités de déclaration préalable à l’embauche et/ou de délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail (article L.8221-5 du Code du travail).

Bref rappel du mécanisme de la convention de forfait annuel en heures

Un employeur et un salarié peuvent conclure -sous certaines conditions- une convention individuelle de forfait annuel, en heures, pour procéder à un décompte de la durée du travail sur l’année. Cette convention donne la possibilité de rémunérer un nombre annuel d’heures de travail, le cas échéant, en intégrant un nombre prédéterminé d’heures supplémentaires sur l’année.

La conclusion d’une convention de forfait annuel en heures n’est possible qu’en présence d’un accord collectif préalable. Cet accord, s’il est conclu après l’entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008, doit déterminer les catégories de salariés pouvant signer une telle convention (cadres et salariés disposant d’une certaine autonomie), la durée annuelle de travail prévue par le forfait ainsi que les «caractéristiques principales» de la convention (comme, par exemple, les conditions et délais de prévenance des changements de durée ou d’horaire de travail, les conditions de prise en compte des absences, les limites pour le décompte des heures supplémentaires, etc.).

S’agissant du décompte des heures supplémentaires, il convient de rappeler que «lorsqu’un accord collectif organise une variation de la durée de travail hebdomadaire sur tout ou partie de l’année (…), constituent des heures supplémentaires :

  • les heures effectuées au-delà de 1607 heures annuelles ou de la limite annuelle inférieure fixée par l’accord, déduction faite, le cas échéant, des heures supplémentaires effectuées au-delà de la limite haute hebdomadaire éventuellement fixée par l’accord et déjà comptabilisées ;
  • les heures effectuées au-delà de la moyenne de 35 heures calculée sur la période de référence fixée par l’accord, déduction faite des heures supplémentaires effectuées au-delà de la limite haute hebdomadaire fixée, le cas échéant, par l’accord et déjà comptabilisées» (article L. 3122-4 du Code du travail).

L’illicéité d’une convention de forfait peut ouvrir droit au paiement d’heures supplémentaires.

S’il s’avère que l’accord collectif autorisant la conclusion d’une convention de forfait est illicite, cette convention est elle-même illicite. Le salarié concerné peut alors solliciter l’application d’un décompte de la durée du travail conformément au droit commun et obtenir le paiement des heures supplémentaires qu’il a réalisées- s’il est en mesure de les prouver et ce, dans la limite de la prescription.

En revanche, la seule application d’une convention de forfait illicite ne donne pas droit à l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé de 6 mois de salaire (art. L.8223-1 du Code du travail).

C’est la solution précisée par la Cour de cassation dans son arrêt du 16 juin 2015.

Dans cette affaire, un salarié avait été embauché, en tant qu’accompagnateur (pour la visite de sites historiques notamment), par un contrat de travail fixant à 1 645 heures son temps de travail annuel, en application d’un accord d’entreprise d’annualisation. Après avoir démissionné, ce salarié a saisi le conseil de prud’hommes notamment pour contester la régularité de sa convention de forfait et obtenir un rappel de salaire au titre d’heures supplémentaires ainsi que l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

Au cours de la procédure, le débat s’est focalisé sur la question de la caractérisation de l’élément intentionnel du travail dissimulé. La Cour d’appel a retenu l’existence de ce délit au motif que cet élément était constitué, selon elle, par «l’application intentionnelle combinée de plusieurs régimes incompatibles et, en tout état de cause, contraires aux dispositions d’ordre public du droit du travail, l’accord d’entreprise invoqué étant illicite en ce qu’il prévoyait un nombre d’heures annuelles supérieur au plafond légal de 1607 heures2, ni les conditions et délais de prévenance des changements de durée ou d’horaires de travail, ni les conditions de prise en compte, pour le calcul de la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période» (CA Paris 13/03/2014).

Si l’employeur n’a pas estimé utile de contester la déclaration d’illicéité de son accord d’entreprise par la Cour d’appel, il a néanmoins formé un pourvoi contre cet arrêt s’agissant de la reconnaissance d’un travail dissimulé.

Bien lui en a pris car le raisonnement de la Cour d’appel est cassé par la Cour de cassation au motif limpide suivant lequel «le caractère intentionnel ne peut se déduire de la seule application d’une convention de forfait illicite». La Cour d’appel ne pouvait donc valablement condamner l’employeur au versement de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé de 6 mois de salaire. Au regard des termes généraux de cet attendu, cette solution devrait aussi concerner les conventions de forfait en jours requalifiées.

L’application d’une convention de forfait illicite ne constitue pas un travail dissimulé, en l’absence d’intention délictuelle de l’employeur.

La solution de la Chambre sociale est parfaitement fondée.

Elle est tout à fait conforme à la définition précitée du travail dissimulé qui se caractérise en particulier par le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité de la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Cette solution étoffe la jurisprudence de la Chambre sociale qui retenait déjà de manière constante que «la dissimulation d’emploi salarié (…) n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué» (not. Soc. 4/03/2003), étant précisé que «le caractère intentionnel ne peut se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur le bulletin de paie» (not. Soc. 29/06/2005).

Dans un arrêt encore plus récent, la Chambre sociale indique qu’en cas de contestation de la validité d’une convention de forfait, la caractérisation du travail dissimulé suppose de rechercher, dans l’hypothèse où ladite convention s’avèrerait effectivement illicite, si l’intention délictuelle de l’employeur est établie (Soc. 4/02/2015).

Retour sur la définition de l’intention délictuelle de l’employeur

Cette intention délictuelle, ou dol général en droit pénal, peut être définie comme la volonté de commettre une infraction, et ce en toute connaissance de cause (en ayant conscience d’enfreindre la loi).

Or, il se comprend aisément que l’intention délictuelle de l’employeur ne peut être caractérisée par la seule application d’une convention de forfait s’avérant illicite du fait de l’irrégularité de l’accord collectif autorisant sa conclusion.

En pareil cas, l’absence de paiement des heures supplémentaires n’est que la conséquence d’une application inexacte des règles de la convention de forfait, et ne procède pas d’une volonté de détournement de ce dispositif de décompte du temps de travail (également en ce sens CA Orléans 23/04/2015).

Les juges du fond apprécient souverainement l’existence de cette intention qui doit être prouvée par le salarié demandeur.

Comme en l’espèce, la Cour de cassation vérifie seulement que l’arrêt d’appel est suffisamment motivé à ce sujet, sans déterminer elle-même une grille d’analyse claire des éléments caractérisant ou non cette intention.

Cela étant, et si les éléments permettant d’établir l’intention délictuelle doivent être appréciés au cas par cas, il est intéressant de relever que cette intention a pu être reconnue dans l’hypothèse où «l’employeur avait appliqué au salarié le système du forfait en jours sans qu’ait été conclue une convention de forfait» et où «ce cadre travaillait régulièrement plus de 10 heures par jour», soit bien au-delà de la durée légale (Soc. 28/02/2012).

La bonne foi de l’employeur apparaît exclusive de la caractérisation du travail dissimulé.

L’arrêt du 16 juin 2015 constitue une illustration de ce constat. En l’espèce, l’employeur faisait valoir «sa bonne foi et sa volonté de transparence, exclusive d’une intention de dissimulation d’emploi». A cet effet, il produisait notamment aux débats une lettre du Ministère du Travail indiquant que le travail de guides accompagnateurs n’était pas contrôlable et il soulignait qu’il avait mis à disposition du salarié une feuille de détail de services effectués dont le contenu n’avait jamais été contesté.

Ces éléments ont sans doute été pris en compte par les magistrats de la Cour de cassation.

 

Notes

1 Les développements qui suivent concernent uniquement la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation et non celle de la Chambre criminelle qui diffère légèrement s’agissant de la caractérisation du travail dissimulé.
2 La Cour d’appel semble confondre ici un seuil de déclenchement d’heures supplémentaires et un plafond d’heures supplémentaires

 

Auteurs

Nicolas de Sevin, avocat associé en droit social.

Benoît Masnou, avocat en droit social.

 

Convention de forfait illicite et travail dissimulé : ce n’est pas automatique – Article paru dans Les Echos Business le 30 septembre 2015
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