Le retour en grâce des actions gratuites
A la faveur de la Loi Macron, les actions gratuites reviennent dans le jeu, offrant de nouvelles opportunités de structuration de rémunérations pour les entreprises et leurs salariés. Encore faut-il identifier les conséquences pratiques et les incidences fiscales plus surprenantes du nouveau régime.
Ca y est : la loi pour la croissance et l’activité, dite «Loi Macron», a été publiée au Journal Officiel le 7 août dernier, et avec elle s’opère le retour sur le devant de la scène des attributions gratuites d’actions («AGA»), qui avaient été clouées au pilori fiscal en 2012, en même temps que les stock-options. En affichant un objectif aussi ambitieux que le maintien ou l’arrivée en France «[d]es entreprises et [d]es talents, en associant plus étroitement les salariés au capital de leur entreprise» (Dossier de presse sur la Loi Macron, pages 37 à 39), il fallait que le bouleversement soit d’ampleur, et les espoirs n’ont en général pas été déçus (sans compter également les aménagements sur le régime des BSPCE).
Revue des principales dispositions, et analyse de leurs conséquences pratiques comme de leurs incidences fiscales.
Assouplissement juridique, incitation fiscale, et rationalisation sociale
La modification du régime des AGA concerne les aspects juridiques, fiscaux et sociaux.
D’un point de vue juridique, le nouveau texte renforce la liberté d’allocation des AGA : la disposition selon laquelle l’écart entre le nombre d’actions attribuées à chaque salarié ne peut être supérieur à un rapport de un à cinq est ainsi limitée aux seuls cas d’attribution d’actions représentant plus de 10% du capital social de la société émettrice (ou 15% pour les PME non cotées). Mais une autre souplesse au moins aussi importante est la possibilité de réduire la durée d’acquisition des AGA à un délai d’un an (au lieu d’au minimum deux), et de supprimer la période de conservation sous réserve que la durée cumulée des périodes d’acquisition et de conservation ne soit pas inférieure à deux ans (contre quatre naguère). Ainsi, les sociétés pourront voter des plans prévoyant des durées d’acquisition et de conservation d’un an chacune (plans «1+1»), ou de deux ans d’acquisition, sans obligation de conservation (plans «2+0»). Notons enfin que les salariés devenus actionnaires par attribution gratuite d’actions devront désormais être pris en compte dans la détermination de l’état de la participation des salariés au capital figurant dans le rapport annuel (article L. 225-102 du Code de commerce).
D’un point de vue fiscal, l’abattement pour durée de détention déjà applicable à la plus-value de cession des AGA est désormais étendu au gain d’acquisition, qui correspond à l’avantage reçu par le bénéficiaire, soit donc en pratique la valeur de l’action à la date de son acquisition définitive. Ainsi, le gain d’acquisition, toujours taxable au barème progressif de l’impôt sur le revenu, pourra cependant désormais profiter de l’abattement pour durée de détention de 50% dès lors que les AGA auront été conservées au moins deux ans, voire 65% en cas de conservation pendant au moins huit ans (délai décompté à compter de l’acquisition des AGA). L’abattement pourra même être majoré dans le cadre des régimes favorables prévus par la loi : cessions de titres de PME de moins de dix ans (ces conditions sont appréciées à la date d’acquisition) ou départ à la retraite du bénéficiaire lorsque les conditions visées à l’article 150-0 D ter du Code général des impôts (CGI) sont remplies.
D’un point de vue social, la société comme le bénéficiaire sont en principe gagnants. Pour ce dernier, c’est certain, dès lors que la contribution sociale salariale de 10% applicable au gain d’attribution est supprimée, et que cette suppression n’est compensée qu’en partie par l’augmentation des prélèvements sociaux liée à l’imposition dudit gain comme revenu de patrimoine (prélèvements sociaux passant de 8% à 15,5%, la déduction fiscale de 5,1 points de CSG étant maintenue au titre de l’année de son paiement). Pour l’employeur, l’avantage est également probable, dès lors que la contribution sociale patronale auparavant due au taux de 30% au moment de l’attribution des AGA, devra désormais être liquidée au taux de 20% au moment de leur acquisition. Ainsi, l’employeur ne supporte plus le risque de payer une contribution (non restituable) sur un avantage qui pouvait ne jamais être effectif si les conditions prévues par le plan n’étaient en définitive pas remplies. Corrélativement, l’assiette de liquidation de la contribution patronale est constituée par la valeur des AGA, sans possibilité pour l’employeur de se prévaloir de la juste valeur déterminée pour les besoins de l’application des normes IFRS. Enfin, les PME communautaires qui n’ont procédé, à la date d’attribution des AGA, à aucune distribution de dividendes depuis leur création sont exonérées de la contribution patronale dans la limite d’un plafond annuel de sécurité sociale par salarié, soit 38.040 € en 2015.
Attention : L’ensemble de ces modifications est applicable aux AGA dont l’attribution a été autorisée par une décision de l’assemblée générale extraordinaire postérieure au 7 août 2015. La cohabitation de plusieurs régimes d’imposition selon la date d’attribution des AGA d’une part (antérieure ou non au 28 septembre 2012), et la date d’autorisation de l’attribution par l’assemblée générale d’autre part (postérieure ou non au 7 août 2015), ne fait malheureusement pas partie du «choc de simplification» voulu par l’exécutif…
Conséquences pratiques et incidences fiscales plus surprenantes du nouveau régime
D’un point de vue pratique, il semble que les bénéficiaires auront tout intérêt à ce que les nouveaux plans d’AGA prévoient la durée d’acquisition la plus courte possible, afin de faire courir au plus vite le délai de détention leur permettant de bénéficier ensuite de l’abattement susmentionné. Ainsi, ils réduiront leur imposition sur le gain d’acquisition à un taux maximal de 42%, contre 64,5% en l’absence d’abattement (hors déduction de la CSG). Il est cependant vrai que ce choix ne sera pas neutre pour la société attributrice (accélération de l’exigibilité de la contribution patronale, réalisation anticipée des conditions d’acquisition des AGA) comme pour ses actionnaires (dilution anticipée en cas d’attribution d’actions à émettre), de sorte que l’ensemble des contraintes devra être pris en considération.
Par ailleurs, et bien que le nouveau régime des AGA apparaisse ainsi beaucoup plus souple et mieux adapté à la concurrence internationale, cet instrument de rémunération reste relativement subtil, et peut receler certaines surprises. Ainsi, on rappellera que si le gain d’acquisition bénéficie de l’abattement qui est l’un des principaux avantages du régime d’imposition des plus-values, il n’en perd pas pour autant sa nature de rémunération. A cet égard, la loi précise désormais qu’il s’agit d’un avantage «salarial», alors que le précédent texte ne comportait pas ce qualificatif. Faut-il y voir une tentative (un peu tardive) de l’administration de conforter sa doctrine relative à l’imposition en France du gain d’acquisition en cas de transfert à l’étranger de la résidence fiscale du bénéficiaire ? Toujours est-il que les bénéficiaires (et leurs conseils) devront prendre garde à ne pas confondre nature du gain et régime d’imposition, car certaines opérations fiscalement optimisantes en cas de plus-values peuvent s’avérer inefficaces s’agissant d’un salaire (par exemple, les opérations dites de donation-cession, puisque d’une part la donation ne saurait purger le gain d’acquisition du donateur, et d’autre part celle-ci provoquera même une accélération de l’imposition du gain salarial).
Si les groupes disposent désormais des instruments nécessaires pour mettre en place de nouveaux plans d’AGA sans attendre, les commentaires administratifs devront encore apporter quelques précisions. En particulier, dans l’hypothèse où des AGA seraient attribuées à des non-résidents, il serait souhaitable de préciser par voie doctrinale (en attendant une modification législative) que l’assiette de la retenue à la source prévue par l’article 182 A ter du CGI, constituée par le montant du gain d’acquisition, sera déterminée, le cas échéant, après application de l’abattement pour durée de détention. A défaut, cette application pourrait être demandée au juge de l’impôt en arguant de la non-conformité de la législation française avec le droit de l’Union européenne, dès lors qu’il s’agirait d’un cas de violation de la liberté de circulation des capitaux.
Auteurs
Geneviève Olivier, avocat Counsel, en droits d’enregistrement et restructuration de sociétés.
Jean-Charles Benois, avocat en droit fiscal
Commentaires