Distribution des réserves à l’usufruitier
9 septembre 2015
Il est bien établi que l’usufruitier de parts sociales ou d’actions dispose d’un droit sur le bénéfice annuel lorsque celui-ci est mis en distribution. En effet, il est jugé de manière constante par la Cour de cassation que les dividendes acquièrent une existence juridique à compter de la décision de distribution par l’assemblée générale et qu’ils participent de la nature des fruits. Ils reviennent donc à l’usufruitier de parts sociales ou d’actions puisque ce dernier dispose, en vertu de la loi, du droit de percevoir les fruits du titre. Cependant, lorsque les sommes distribuées ne sont pas prélevées sur le bénéfice annuel mais sur les réserves, la question de savoir qui du nu-propriétaire ou de l’usufruitier peut y prétendre demeurait incertaine jusqu’à une récente décision de la Cour de cassation.
En effet, les réserves sont considérées comme des sommes qui sont intégrées plus durablement au bilan, au point qu’elles constitueraient, selon certains, une fraction de la part sociale ou de l’action. Selon cette opinion, les dividendes prélevés sur les réserves devraient donc revenir au nu-propriétaire et non à l’usufruitier. Mais d’autres considéraient que seul l’usufruitier pouvait prétendre à ces sommes au motif qu’il n’y aurait pas lieu de distinguer selon l’origine du dividende.
Par un arrêt rendu le 27 mai 2015 (n°14-16.246), la chambre commerciale de la Cour de cassation a mis un terme à ce débat. En l’espèce, des difficultés s’étaient élevées à l’occasion d’une succession portant sur des titres détenus en usufruit par le défunt. Dans le but d’obtenir une réduction des droits de succession, les héritiers opposaient à l’administration fiscale la dette de restitution des réserves perçues par le défunt quelques années auparavant. Ils estimaient, en effet, que ce dernier ne disposait que d’un droit temporaire sur les réserves distribuées, et donc que les sommes dont il avait bénéficié devaient être restituées au nu-propriétaire au terme de l’usufruit. Selon eux, les droits acquittés devaient donc être réduits. Mais l’administration fiscale avait obtenu gain de cause en appel, la cour saisie estimant que la dette de l’usufruitier résultait de la volonté des parties et non de la loi. Cette décision posait donc la question plus générale de la nature des dividendes prélevés sur les réserves : sont-ils des fruits, auquel cas ils reviendraient définitivement à l’usufruitier, ou ont-ils une autre nature, auquel cas ils reviendraient au nu-propriétaire ou, éventuellement, à l’usufruitier mais seulement à titre provisoire ?
La Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu par la cour d’appel : lorsque les associés décident de distribuer un dividende par prélèvement sur les réserves, l’usufruitier ne dispose que d’un droit temporaire sur ces sommes, sous la forme d’un quasi-usufruit. Il s’ensuit que l’usufruitier doit restituer les sommes perçues lorsque l’usufruit prend fin et ces sommes sont déductibles de l’actif successoral.
L’usufruitier ne dispose donc que d’un droit de jouissance temporaire sur les dividendes lorsqu’ils sont prélevés sur les réserves, alors qu’il acquiert définitivement les sommes qui proviennent du bénéfice annuel. La Cour de cassation a toutefois laissé entendre que les parties peuvent décider que les sommes prélevées sur les réserves seront acquises par l’usufruitier de manière définitive. Il est ainsi mis fin aux incertitudes qui caractérisaient, jusqu’à présent, la question.
Auteur
Christophe Blondeau, avocat associé spécialiste des opérations transactionnelles de fusions – acquisitions, de joint-venture et de private equity.
*Distribution des réserves à l’usufruitier* – Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 31 août 2015
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