Coexistence de marques : la conclusion d’un accord ne peut régler toutes les situations
Lorsque la ressemblance entre deux marques est susceptible de créer une confusion entre les produits vendus par les personnes qui en sont titulaires, il est courant de conclure un accord de coexistence de marques par lequel les personnes intéressées conviennent de la manière dont elles utiliseront leurs marques respectives pour le futur.
Tel était le cas dans une espèce sur laquelle s’est prononcée récemment la Cour de cassation. Une société était titulaire d’une marque « Lehning » depuis 1995, tandis qu’une autre décidait de déposer une marque « Lehring naturellement efficace » en 2008, les deux marques désignant des produits vétérinaires. La première société ayant contesté la demande d’enregistrement de la seconde, ces sociétés ont donc conclu, la même année, un accord de coexistence aux termes duquel la société titulaire de la marque « Lehring naturellement efficace » s’engageait à ne pas utiliser l’appellation « Lehring » seule.
Quelques années plus tard, la société titulaire de la marque Lehning a assigné son cocontractant en justice, estimant que les termes de l’accord de coexistence de marques n’avaient pas été respectés, et que des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale avaient de ce fait été commis à son encontre.
La cour d’appel de Paris, saisie du litige, a considéré que la société titulaire de la marque « Lehring naturellement efficace » avait pourtant respecté les termes de l’accord de coexistence de marques, en engageant pour ce faire des frais importants (dépôt de nouveaux noms de domaine, modification de sa charte graphique, de ses documents commerciaux et publicitaires, actions auprès de sites comparateurs de prix pour faire cesser l’usage de son ancienne appellation, et demande de déréférencement auprès de Google). Elle a donc estimé, sans être contredite par la Cour de cassation sur ce point, que l’accord de coexistence de marques avait été loyalement mis en œuvre (CA Paris, 26 juin 2013, RG n°12/01302) et qu’il ne pouvait donc être résolu judiciairement.
Mais dans ce litige, était aussi en cause l’usage, jusqu’en 2012, sur le site Internet de la société titulaire de la marque « Lehring naturellement efficace« , d’un logo où le terme « Lehring » était beaucoup plus imposant que les mots « naturellement efficace ».
Pour la société titulaire de la marque « Lehning », cet usage constituait de fait une entorse à l’accord de coexistence de marque, constitutive d’actes de contrefaçon. La Cour de cassation, saisie de ce moyen, juge que la cour d’appel ne pouvait écarter le grief en considérant que les faits reprochés n’étaient pas « des fautes d’une gravité suffisante pour constituer des actes de contrefaçon« . Elle aurait dû rechercher si le non-respect de l’engagement contractuel était de nature à créer une confusion dans l’esprit du public, en raison de la ressemblance des marques en présence et de la similitude des produits désignés à l’enregistrement (Cass Com, 10 février 2015, n°13-24.979). Ce faisant, la Cour réaffirme que les manquements à un accord de coexistence de marques peuvent être des actes de contrefaçon, dès lors qu’ils seraient constitutifs de contrefaçon indépendamment de l’existence et des termes dudit accord, en application de l’article L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle (Cass Com, 31 mars 2009, n°07-17.665).
Par ailleurs, la Cour de cassation, sans se prononcer au fond juge, toujours en raison de la similitude des signes en présence et des activités exercées par les sociétés, que la cour d’appel aurait dû rechercher si « l’emploi du terme ‘Lehring’, en plus gros caractères, par la société Ecophar sur son site Internet n’était pas de nature à engendrer dans l’esprit du public un risque de confusion avec la dénomination sociale, le nom commercial et le nom de domaine de la société Lehning« , ce qui serait constitutif d’actes de concurrence déloyale. En l’espèce, la Cour de cassation se prononce au visa de l’article 1382 du Code civil.
Quand les manquements dans l’exécution d’un accord de coexistence de marques permettent de rechercher la responsabilité délictuelle de son cocontractant !
Auteurs
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.
Julie Tamba, avocat en droit de la Propriété Intellectuelle et droit commercial