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Projet de loi Macron : du droit des concentrations vers un droit de la déconcentration

Projet de loi Macron : du droit des concentrations vers un droit de la déconcentration

Divers articles du projet de loi1 emportent des mesures affinant le droit français des concentrations ou visant à doter l’Autorité de la Concurrence de nouveaux moyens contre la détention d’une trop grande part de marché dans le secteur du commerce de détail, comme l’injonction structurelle.


Pour ce qui a trait au droit des concentrations, l’article 59 bis tend principalement à modifier la procédure de dérogation à l’effet suspensif qui permet de mettre en œuvre une opération sans devoir attendre son autorisation, à permettre dans certains cas à l’Autorité de suspendre les délais et à renforcer son pouvoir d’injonction.

Ainsi, après avoir précisé que l’autorisation de dérogation peut être assortie de conditions, le projet prévoit surtout que la dérogation devient automatiquement caduque si l’opération n’a pas été notifiée à l’Autorité dans les trois mois à compter de sa réalisation effective.

Le projet autorise aussi l’Autorité à suspendre, en phase 1, le délai d’examen de l’opération de 25 jours ouvrés, dans les cas où les parties ne l’ont pas informée d’un fait nouveau ou lorsqu’elles ne lui ont pas fourni les informations demandées dans le délai prescrit ou si des tiers n’ont pu non plus le faire pour des raisons imputables aux parties. Le projet prévoit seulement que le délai repart dès la disparition de la cause ayant entraîné la suspension sans autre indication de la durée maximale de suspension.

L’Autorité devrait aussi voir son pouvoir d’injonction renforcé. En effet, l’article 59 bis prévoit que l’Autorité pourra désormais enjoindre sous astreinte le respect de nouvelles prescriptions correctrices qui auront été déterminées à la place de l’obligation non exécutée, et ce toujours sans préjudice du prononcé d’une sanction. Cette mesure qui peut être qualifiée «d’injonction de substitution» pourrait permettre d’éviter d’aller jusqu’au prononcé d’une décision de retrait de l’autorisation.

Bien que ne situant plus stricto sensu dans le droit des concentrations, deux mesures plus atypiques sont envisagées dans le secteur du commerce de détail.

En premier lieu, l’article 10 quater organise une obligation d’information préalable (au moins deux mois avant sa mise en œuvre) de l’Autorité dans l’hypothèse d’accords entre entreprises exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail des produits de grande consommation ou actives comme centrales de référencement ou d’achat dans le commerce de détail, en vue de négocier les conditions d’achat ou de référencement auprès des fournisseurs. L’obligation dépendrait de l’atteinte de seuils de chiffres d’affaires mondiaux ou français, qui seront déterminés par voie de décret. La mesure vise à porter à la connaissance de l’Autorité des accords n’entrant pas dans le champ des concentrations mais pouvant soulever des problèmes de concurrence notamment sur le terrain du droit des ententes et rejoint une recommandation de l’Autorité dans son avis du 31 mars 2015 relatif au rapprochement des centrales dans le secteur de la grande distribution.

En deuxième lieu, un pouvoir d’injonction structurelle renforcé serait attribué à l’Autorité de la concurrence par une modification de l’actuel article L. 752-26 du Code de commerce. Ainsi, si l’Autorité constate que le fait qu’une entreprise ou un groupe d’entreprises en position dominante et qui détient une part de marché supérieure à 50% affecte la concurrence effective dans la zone de chalandise et conduit à la pratique de prix et de marges élevés par rapport aux moyennes du secteur, elle pourra lui envoyer un rapport motivé. Le destinataire disposera alors d’un délai de deux mois pour proposer des engagements. A défaut ou en cas d’engagements considérés comme insuffisants, l’Autorité établira un nouveau rapport, l’entreprise disposant à nouveau de deux mois pour présenter ses observations. L’Autorité aura le pouvoir d’enjoindre de devoir, dans un délai de six mois, modifier ou résilier tout acte constitutif de la puissance économique ou même, céder des actifs, c’est-à-dire déconcentrer, si cette cession apparaît être le seul moyen pour remédier au défaut de concurrence effective sur la zone.

Ce nouveau mécanisme, voisin de celui instauré par la loi Lurel du 20 novembre 2012 pour les territoires ultra-marins (cf. article L. 752-27 du Code de commerce) suscite une certaine polémique en raison de sa potentielle atteinte au principe de la liberté du commerce et des prix. Ce mécanisme semble révéler une volonté de sur-encadrement (certes limité au commerce de détail) de l’activité économique. Il vient en effet s’ajouter au mécanisme de contrôle des concentrations qui a déjà été élaboré pour appréhender ex ante les rapprochements d’entreprises. En outre, les règles établies sur l’abus de position dominante sont elles aussi des limites à l’excès de puissance économique, sans parler même dans ce secteur, des règles relatives à l’urbanisme commercial. Espérons que ce nouvel outil juridique hybride, qui toutefois s’appliquera à une situation différente de celles visées par les règles précitées, ne connaisse aucun développement abusif.

 

Note

La dernière version du texte ici commentée est celle adoptée par le Sénat le 1er juillet 2015. L’Assemblée nationale doit maintenant se prononcer en lecture définitive sur la version du texte considérée comme adoptée par elle le 18 juin dernier après mise en œuvre de l’article 49-3 de la Constitution. A ce stade, elle ne pourra adopter d’autres amendements que ceux adoptés par le Sénat.

 

Auteur

Denis Redon, avocat associé en droit de la concurrence.

 

*Projet de loi Macron : du droit des concentrations vers un droit de la déconcentration* – Article paru dans le magazine Option Finance le 13 juillet 2015
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