Coexistence de marques : la conclusion d’un accord n’exclut pas l’action en responsabilité
Dans une espèce sur laquelle s’est prononcée récemment la Cour de cassation (Cass Com, 10 février 2015, n°13-24.979), une société était titulaire d’une marque « Lehning » depuis 1995, tandis qu’une autre avait décidé de déposer une marque « Lehring naturellement efficace » en 2008, toutes deux désignant des produits vétérinaires.
La première société ayant contesté la demande d’enregistrement de la seconde, ces sociétés ont conclu, la même année, un accord de coexistence aux termes duquel la société titulaire de la marque « Lehring naturellement efficace » s’engageait à ne pas utiliser l’appellation « Lehring » seule.
Quelques années plus tard, la société titulaire de la marque Lehning a assigné son cocontractant en justice, estimant que des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale avaient été commis à son encontre du fait du non-respect des termes de l’accord de coexistence de marques.
La cour d’appel de Paris, saisie du litige, a débouté le demandeur. Elle a estimé, sans être contredite par la Cour de cassation sur ce point, que l’accord de coexistence de marques avait été loyalement mis en œuvre (CA Paris, 26 juin 2013, RG n°12/01302) et qu’il ne pouvait donc être résolu judiciairement.
Mais dans ce litige, était en cause l’usage, jusqu’en 2012, sur le site Internet de la société titulaire de la marque « Lehring naturellement efficace« , d’un logo où le terme « Lehring » était beaucoup plus imposant que les mots « naturellement efficace« .
La Cour de cassation, saisie de ce moyen, juge que la cour d’appel ne pouvait écarter la demande de réparation fondée sur ce grief en considérant que les faits reprochés n’étaient pas « des fautes d’une gravité suffisante pour constituer des actes de contrefaçon« . Elle aurait dû rechercher si le non-respect de l’engagement contractuel était de nature à créer une confusion dans l’esprit du public, en raison de la ressemblance des marques en présence et de la similitude des produits désignés à l’enregistrement 1.
Par ailleurs, la Cour de cassation considère qu’en raison de la similitude des signes en présence et des activités exercées par les sociétés, la cour d’appel aurait dû rechercher si « l’emploi du terme « Lehring », en plus gros caractères, par la société Ecophar sur son site Internet n’était pas de nature à engendrer dans l’esprit du public un risque de confusion avec la dénomination sociale, le nom commercial et le nom de domaine de la société Lehning« , ce qui serait constitutif d’actes de concurrence déloyale.
Pour déterminer si la responsabilité de la société peut être recherchée du fait d’actes de contrefaçon et de concurrence déloyale, la Cour de cassation écarte donc la notion de faute contractuelle pour lui préférer l’appréciation classique du risque de confusion, replaçant ainsi l’action sur son terrain délictuel.
Note
1 La Cour de cassation avait déjà jugé que des manquements à un accord de coexistence de marque peuvent être des actes de contrefaçon, dès lors qu’ils seraient constitutifs de contrefaçon indépendamment de l’existence et des termes dudit accord (Cass Com, 31 mars 2009, n°07-17.665).
Auteurs
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.
Julie Tamba, avocat en droit de la Propriété Intellectuelle et droit commercial