Le paradoxe de la portée juridique des lettres d’intention fixant le cadre des négociations
Au début des négociations d’une opération importante entre deux sociétés (par exemple un projet d’acquisition ou de joint-venture), il est usuel de conclure entre les parties un accord préliminaire déterminant le cadre des discussions. Sa portée juridique est souvent paradoxale car les parties souhaitent déterminer de manière précise l’opération envisagée tout en excluant un engagement définitif de la réaliser.
Les parties concluent fréquemment, au début de leurs discussions, des accords aux dénominations diverses : lettre d’intention (ou «letter of intent»), protocole d’accord, «memorandum of understanding», «heads of terms» ou encore «term-sheet». Ces accords préliminaires peuvent également recouvrir des formes différentes selon le souhait des parties : la lettre d’intention se présente sous forme de lettre adressée par l’une des parties et contresignée par l’autre, quand le protocole d’accord se présente sous la forme usuelle d’un contrat bilatéral et le «term-sheet» sous forme de tableau.
En réalité, au-delà des dénominations et formes de ces accords, ils constituent tous des contrats dont la portée peut varier selon le souhait des parties. Certains peuvent avoir un objet relativement restreint visant seulement un engagement de négociation de bonne foi entre les parties, un engagement de confidentialité et de non-débauchage de la part de l’acquéreur, ou l’octroi d’une période d’exclusivité par le vendeur à l’acquéreur, voire l’octroi de «break-up fees» en cas de rupture des discussions.
Ces accords comportent également habituellement des stipulations relatives à la prise en charge des frais de négociation, au droit applicable et à la juridiction compétente. Les parties peuvent en outre y déterminer plus en détail l’opération envisagée. Ces accords préliminaires mentionnent ainsi couramment les principaux termes et conditions de l’opération envisagée, le calendrier indicatif, les éventuelles conditions suspensives à la signature, voire à la réalisation de l’opération envisagée.
En fonction de la nature de l’opération envisagée et du degré d’avancement des discussions entre les parties au moment de la signature de l’accord préliminaire concerné, le degré de détail peut être relativement important. Il n’est d’ailleurs pas rare que les parties signent successivement deux accords préliminaires (un simple engagement d’exclusivité au départ, puis un renouvellement de l’exclusivité sous forme de «memorandum of understanding» auquel est annexé un term-sheet plus détaillé reflétant l’évolution des discussions).
Dans certains cas, les stipulations de l’accord préliminaire relatives aux termes et conditions de l’opération envisagée sont ainsi très proches de celles qui figureront dans les accords dits définitifs.
Or, les parties, tout en souhaitant définir le plus précisément possible dans ces accords préliminaires les contours de l’opération envisagée et restreindre ainsi la possibilité de s’en écarter, veulent paradoxalement que ces accords ne soient pas définitivement juridiquement contraignants. Il est ainsi usuellement stipulé que les accords préliminaires ne sont pas engageants à l’égard des parties à l’exception de certaines stipulations de portée immédiate (exclusivité, confidentialité, droit applicable, etc.).
Ce paradoxe, s’il est compréhensible du point de vue des parties lors de leurs discussions, ne pourrait cependant pas toujours subsister en cas de contentieux devant les tribunaux. En effet, il pourrait être tentant pour un magistrat, saisi d’une demande par une partie éconduite, de considérer que l’opération envisagée avait été agréée entre les parties au regard du caractère détaillé de l’accord préliminaire et de la nature juridiquement consensuelle de l’opération envisagée (par exemple dans le cadre d’une vente de droits sociaux). Il appartient ainsi aux parties et à leurs conseils de veiller à ce que le caractère non engageant des lettres d’intention transparaisse de manière non équivoque dans leur rédaction.
Auteurs
Jean-Robert Bousquet, avocat associé en Corporate/Fusions & Acquisitions
Alexandre Morel, avocat en Corporate/Fusions & Acquisitions