Stages à l’étranger : quelle protection ?
29 mai 2015
Les stages à l’étranger se sont développés ces dernières années au sein des groupes internationaux. Cette pratique soulève toutefois des difficultés quant à l’application du droit du travail et du droit de la protection sociale.
Afin d’encourager et développer la mobilité internationale des étudiants, la loi n°2014-788 du 10 juillet 2014 relative à l’encadrement des stages, vient expressément reconnaître que «les stages ou les périodes de formation en milieu professionnel peuvent être effectués à l’étranger» (article L.124-19 du Code de l’éducation).
Sur le contenu de la convention de stage, la loi est en revanche peu prolixe, prévoyant seulement que «les dispositions relatives au déroulement et à l’encadrement du stage ou de la période de formation en milieu professionnel à l’étranger font l’objet d’un échange préalable entre l’établissement d’enseignement, le stagiaire et l’organisme d’accueil» sur la base de la convention de stage franco-française et la remise d’une note d’information sur le droit local applicable.
Une protection toute relative sur le terrain du droit du travail
Le législateur français tente ainsi d’inciter les parties à accorder certaines garanties aux stagiaires en s’inspirant des dispositions françaises, dont l’application aux stages accomplis hors de France devrait être pour le moins marginale.
En effet, même en présence d’un stagiaire français étudiant d’un établissement d’enseignement français, les règles de conflit de loi – propres à chaque ordre juridique ou harmonisées en vertu de conventions internationales – désigneront dans l’immense généralité des cas une loi étrangère.
A titre d’exemple, les règles de conflit de loi issues du Règlement n°593/2008 du 17 juin 2008 dit «Rome I» conduiront à rendre applicable :
- en principe, la «loi d’autonomie», c’est-à-dire la loi choisie par les parties, sous la seule réserve de l’application de lois impératives ou de lois de police ;
- à défaut de choix, la loi du pays dans lequel le débiteur de la « prestation caractéristique » du contrat aura sa résidence ;
- ou la loi du pays avec lequel la convention de stage présentera « les liens les plus étroits » : en pratique, cette règle désignera la loi du pays au sein duquel le stage est exécuté, qui sera aussi celui du siège de l’entreprise d’accueil.
Si l’intention du législateur français est louable, il n’en reste pas moins utopique d’espérer que la loi du 10 juillet 2014 permette d’améliorer le statut du stagiaire à l’étranger, tant le niveau de protection y est quasi inexistant, y compris dans de nombreux Etats de l’Union européenne.
C’est d’ailleurs cette disparité qui a conduit le Conseil de l’Union européenne à adopter le 10 mars 2014 une recommandation «relative à un cadre de qualité pour les stages» invitant les Etats Membres à faire évoluer leurs législations internes afin, notamment :
- d’exiger que les stages s’appuient sur une convention écrite conclue entre le stagiaire et l’organisme d’accueil, mentionnant a minima les objectifs d’apprentissage, les conditions de travail, la rémunération et la durée du stage ;
- de faire en sorte que soient respectés les droits et les conditions de travail des stagiaires, notamment les limites relatives à la durée du travail et les périodes de repos ;
- et de veiller à ce que les stages aient une durée raisonnable n’excédant pas en principe 6 mois.
En attendant une harmonisation des législations européennes –ou du moins, le développement de bonnes pratiques– la protection du stagiaire à l’étranger reste embryonnaire et très en deçà de celle accordée au stagiaire sur le sol national.
A l’inverse, en matière de protection sociale, le stagiaire à l’étranger peut sous conditions bénéficier de l’application du droit français.
Au sein de l’Union européenne, les étudiants affiliés au régime général français de sécurité sociale sont susceptibles de bénéficier d’un maintien de l’assurance maladie au cours de leur stage à l’étranger.
Il leur suffit d’obtenir auprès de la CPAM une carte européenne d’assurance maladie («CEAM», ex «formulaire E111») qui leur permet d’attester de leur droit à l’assurance maladie et d’obtenir la prise en charge de leurs soins.
En revanche, hors de l’Union européenne, les soins dispensés au stagiaire ne sont pas nécessairement pris en charge par la CPAM – pour laquelle il s’agit d’une simple faculté – ou en tout cas pas intégralement. Compte tenu du coût élevé des soins dans certains pays, il est conseillé de souscrire une assurance volontaire ou privée.
S’agissant de la protection contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, les stagiaires bénéficient d’un maintien de leur protection au titre des accidents survenus lors des stages accomplis à l’étranger, même hors de l’Union européenne (art. L. 412-8 du Code de la sécurité sociale), sous réserve que :
- le stage soit accompli par un étudiant d’un établissement français visé aux articles D.412-3 ou D.412-4 du Code de la sécurité sociale ;
- le stage figure au programme de l’enseignement – ce qui exclut a priori les stages facultatifs – et soit destiné à mettre en pratique l’enseignement dispensé par celui-ci ;
- le stage ne donne pas lieu au versement d’une rémunération au sens de l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale, mais tout au plus au versement d’une gratification inférieure à 13.75% du plafond horaire de la sécurité sociale.
Sous réserve que l’établissement français s’acquitte d’une cotisation spécifique au titre des accidents du travail, le maintien de la couverture française est possible pour la durée du stage, dans la limite de 12 mois.
Dans l’hypothèse où une gratification supérieure à 13.75% du plafond horaire de la sécurité sociale est versée au stagiaire, ce dernier ne peut en revanche bénéficier du maintien de la protection sociale du régime français. Selon le niveau de la protection accordée par la législation locale, il pourra là encore, être opportun de souscrire une assurance volontaire ou privée.
Auteurs
Thierry Romand, avocat associé en droit social.
Marie Sevrin, avocat en droit social
*Stages à l’étranger : quelle protection ?* – Article paru dans Les Echos Business le 27 mai 2015
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