Les bonnes pratiques de la reprise d’une entreprise en difficulté
Les différentes crises économiques qui affectent les marchés depuis plusieurs années ont modifié le paysage français des cessions-acquisitions et ont créé un marché assez actif de la reprise d’entreprise en difficulté.
L’éviction des actionnaires qui feraient obstacle à l’adoption d’un plan de redressement tel que prévu dans le projet de loi Macron ne fera, si elle était adoptée, que renforcer les appétits pour ces reprises.
Toutefois, ces rachats ne sont pas sans risques et la loi offre différents outils pour les réaliser dans un cadre juridique plus sécurisé. Ces procédures sont complexes et nombreuses. Quelles sont celles qui doivent être privilégiées ? Quels sont les critères de choix ? La réponse dépendra bien entendu de l’état financier de la société mais aussi des priorités du repreneur.
Par ailleurs, les risques diffèrent selon que la reprise est effectuée en dehors (1) ou à l’intérieur d’une procédure collective (2).
1. La reprise d’une entreprise en difficulté en dehors de toute procédure collective
Tout rachat d’entreprise comporte des risques mais ces risques sont sans doute aggravés s’agissant d’une entreprise en difficulté. Le candidat repreneur devra encore plus que dans le cadre de la reprise d’une entreprise in bonis être en mesure de faire un diagnostic précis de la situation réelle de la société.
A cet effet il devra obtenir un maximum d’informations fiables sur la société et effectuer toutes les vérifications nécessaires.
Ces vérifications nécessiteront la réalisation d’audits approfondis. L’acquéreur devra dans la mesure du possible, effectuer des revues dans tous les aspects de l’entreprise comptable, financier, juridique, fiscal, commercial, industriel, social, stratégique…
Le repreneur devra également négocier et obtenir de sérieuses garanties de la part des vendeurs. Le but étant non seulement d’appréhender autant que possible la situation exacte de l’entreprise et donc de fixer un juste prix mais aussi dans la mesure du possible de s’assurer que l’entreprise n’est pas encore en état de cessation des paiements.
En effet même si la frontière n’est plus aussi rigide, la notion d’état de cessation des paiements, clé de voûte des procédures collectives en France, détermine le choix entre les différentes procédures.
Toutefois cette notion de cessation des paiements n’est pas toujours facile à appréhender. Elle repose en effet sur des notions d’actifs disponibles et de passifs exigibles dont la détermination peut s’avérer délicate. Lorsque la société se trouve dans une situation proche de la cessation des paiements, la meilleure technique de reprise n’est pas toujours simple à déterminer et le repreneur devra arbitrer entre une certaine sécurité et les avantages d’une reprise en dehors de toute procédure collective.
Le fait de ne pas être placé dans le cadre d’une procédure collective permettra au repreneur de ne pas s’insérer dans un processus compétitif et de bénéficier d’une procédure classique de gré à gré. Il pourra faire réaliser des audits approfondis et obtenir une garantie d’actif et de passif de la part des cédants. Par ailleurs, grâce à la confidentialité que la société aura pu préserver sur sa situation, son image et son crédit auprès de ses clients et fournisseurs seront moins dégradés qu’après l’ouverture d’une procédure collective.
Le recours à la procédure de conciliation est à noter cependant que si la société n’est pas encore en état de cessation des paiements ou si elle l’est depuis moins de quarante-cinq jours, il pourra être utile qu’elle demande l’ouverture d’une procédure de conciliation pour permettre homologation de l’accord de reprise.
Le législateur a entendu mettre en place indépendamment des procédures dites collectives ou judiciaires, des dispositifs de prévention des difficultés « procédures amiables« . La procédure de conciliation est une procédure amiable qui présente l’avantage d’être souple et de rester confidentielle jusqu’à l’homologation de l’accord, lequel suppose qu’il soit mis fin aux difficultés de l’entreprise.
Les bénéfices de l’homologation sont les suivants :
- le repreneur pourra alors bénéficier du principe dit de « new money » pour les avances en trésorerie effectuées en faveur de l’entreprise. Dans l’hypothèse d’une défaillance ultérieure de cette même entreprise ces sommes bénéficieront d’une priorité qui leurs donneront plus de chance d’être réglées ;
- l’homologation permettra égalemdent de sécuriser ensemble des actes accomplis, avant qu’elle ait été accordée, contre le risque de report de la date de cessation des paiements.
En effet, en cas d’ouverture ultérieure d’une procédure collective et si le tribunal décidait de reporter la date de cessation à une date antérieure à la date du jugement d’ouverture de la procédure, la loi permet d’annuler certains actes qui auraient été accomplis pendant cette période dite suspecte :
- grâce à l’homologation, la date de cessation des paiements ne pourra pas, en principe, être reportée à une date antérieure à l’homologation.
Aussi l’accord de reprise lui-même ne pourra-t-il pas être annulé par la suite. Ce principe permettra également de limiter la responsabilité éventuelle des dirigeants pour avoir tardé à effectuer la déclaration de cessation des paiements. Compte tenu de l’incertitude qui peut parfois entourer cette notion de paiements une telle précision est appréciable.
2. La reprise d’une entreprise dans le cadre de l’ouverture d’une procédure collective
a) L’acquisition des titres
L’acquéreur dans le cadre d’un plan de sauvegarde ou de redressement pourra reprendre les titres de société pour une faible valeur. Par ailleurs, il pourra avoir une connaissance exacte du montant du passif antérieur définitivement admis. Enfin, le remboursement de ce passif pourra être étalé sur une période maximum de 10 ans sans intérêts.
A ce jour, le Tribunal peut seulement ordonner la cession forcée des titres appartenant aux seuls dirigeants un prix fixé par expert. Mais demain, en cas d’adoption des dispositions figurant dans le projet de loi Macron, c’est l’ensemble des titres de la société dont la cession pourra être ordonnée par le tribunal contre la volonté de ses actionnaires.
b) La prise de contrôle par augmentation de capital
Il est à noter que la prise de contrôle peut également intervenir par augmentation de capital.
La loi aménage en effet le droit commun du droit des sociétés pour permettre la reconstitution des capitaux propres. Cette reconstitution peut entraîner une forte dilution pour les associés qui ne souhaitent pas y souscrire, voire conduire à leur évictions en cas de « coup d’accordéon ».
Le tribunal pourra ainsi modifier les conditions de quorum et de majorité ou désigner un mandataire chargé de voter à la place des actionnaires opposants.
c) L’acquisition du fonds de commerce
Dans une telle situation, le repreneur a la possibilité de reprendre un ensemble d’actifs de la société sans reprendre ses dettes.
Il peut déterminer le périmètre qu’il souhaite reprendre. Il peut ainsi choisir les actifs et obtenir à son profit la cession forcée des contrats qu’il souhaite garder. Il détermine également nombre d’emplois qu’il souhaite poursuivre.
Il est à noter cependant que le principe de la non reprise des dettes et du passif de la société comporte un certain nombre d’exceptions dont le repreneur devra être préalablement avisé. Ainsi la reprise de certains éléments d’actif suppose la reprise de leur passif éventuel (emprunts ayant servi à financer cet actif). En cas de reprise d’un contrat de crédit-bail, il n’y a pas d’obligation de régler les échéances de loyers impayées mais celles-ci devront être réglées lors de la levée de l’option d’achat.
Concernant la reprise des contrats de travail, celle-ci implique la reprise de tous leurs avantages acquis. Enfin il est à souligner que cette reprise se fera en l’absence de toute garantie et parfois sans avoir pu obtenir l’ensemble des informations souhaitées.
Le législateur offre au repreneur d’une entreprise en difficulté un large choix d’outils pour permettre la reprise et le redressement de ces entreprises. Il faut souhaiter que ce marché qui présente de réelles opportunités pour les repreneurs se développe encore et permette le sauvetage de nombreuses entreprises.
Auteur
Isabelle Buffard-Bastide, avocat associée spécialisée en fusions & acquisitions – private equity.
*Les bonnes pratiques de la reprise d’une entreprise en difficulté* – Article paru dans le magazine Option Finance le 9 mars 2015