Transmission de l’entreprise familiale : l’incontournable pacte Dutreil
Pour le dirigeant actionnaire qui prépare sa fin de carrière, la question du successeur est souvent délicate. A cette problématique s’ajoute celle du paiement des droits de succession ou de donation sur les titres de l’entreprise. Dans certains cas, le niveau des droits peut conduire à la cession contrainte de l’entreprise familiale.
Conscient de cette difficulté, le législateur a souhaité faciliter les transmissions d’entreprises en instaurant un mécanisme d’exonération partielle. Celui-ci, dénommé pacte Dutreil, permet d’exonérer 75% de la valeur des parts qui sont transmises, étant précisé que l’économie de droits de donation ou de succession ainsi engendrée est en fait bien supérieure à 75%.
La condition maîtresse : s’engager collectivement à conserver les titres
Au moment de la transmission (donation ou succession), un engagement collectif de conservation doit être en cours. Il s’agit d’un acte, qui est enregistré s’il n’est pas notarié, par lequel des associés ou actionnaires s’obligent à conserver collectivement leurs titres pour une durée minimale de deux ans. Ce pacte doit porter sur un minimum de 34% des titres lorsque la société n’est pas cotée et doit comprendre parmi les signataires au moins un dirigeant (gérant, président du Conseil d’administration, directeur général, directeur général délégué, membre du Directoire ou Président du Conseil de surveillance).
Activité de la société : attention aux sociétés holdings
Pour bénéficier de l’exonération partielle, la société dont les titres sont soumis à engagement doit exercer une activité industrielle, commerciale, agricole, artisanale ou libérale. Sont par conséquent exclues les sociétés qui gèrent leur propre patrimoine, qu’il soit mobilier ou immobilier. Le cas des sociétés holdings est particulièrement délicat dans la mesure où seules les holdings animatrices de leur groupe sont éligibles au dispositif. Même si l’Administration fournit une définition de la holding animatrice, il s’avère en pratique difficile d’en cerner les contours, ce qui rend les risques de contestation par des vérificateurs non négligeables.
Une reprise des engagements par les donataires ou héritiers
Lors de la transmission, chacun des donataires ou héritiers s’engage à conserver les titres reçus jusqu’au terme de l’engagement collectif de conservation qui est en cours, puis pendant une durée minimale de 4 ans (engagement individuel). Ce mécanisme, par lequel un engagement individuel succède à un engagement collectif porte, dans les faits, la durée de conservation à 6 ans. La principale distinction entre « collectif » et « individuel » tient aux conséquences en cas de non conservation des titres. En effet, la violation de l’engagement collectif peut potentiellement pénaliser tous les signataires tandis que la violation de l’engagement individuel n’a de conséquences que pour le contrevenant.
Par ailleurs, un des signataires du pacte ou un des donataires ou héritiers doit exercer une fonction de direction au sein de la société dont les titres sont transmis, et ce pendant une durée de trois années suivant la transmission.
Une exonération partielle très importante
Lorsque les conditions sont remplies, le pacte Dutreil permet de réduire de 75% la valeur des titres transmis pour le calcul des droits. Compte tenu de la progressivité du barème, cette exonération partielle permet de réaliser une économie bien supérieure à 75% (voir notre exemple).
Cumul avec d’autres dispositifs
Lorsque seule la nue-propriété est transmise, la valeur de celle-ci est déterminée selon un barème légal en fonction de l’âge du donateur qui se réserve l’usufruit (cf. notre exemple ci-dessous : 60% de valeur de pleine propriété si le donateur est âgé de 65 ans). Le cumul avec un pacte Dutreil permet de réduire encore davantage l’assiette de droits, et ce d’autant qu’au décès du donateur, les nus propriétaires recueilleront l’usufruit en franchise de droits.
Autre possibilité, si la donation est effectuée en pleine propriété et que le donataire est âgé de moins de 70 ans, les droits calculés sont réduits de moitié.
Dans un cas comme dans l’autre, le coût de la transmission est considérablement réduit, ce qui permet bien souvent d’assurer la pérennité de l’entreprise et de son actionnariat familial.
Exemple
- Valeur de l’entreprise : 6 M€
- Bénéficiaires : trois enfants à hauteur du tiers, soit 2 M€ chacun (compte tenu de donations antérieures, l’abattement de 100 K€ en ligne directe ne s’applique pas)
- En cas de transmission de la nue-propriété, sa valeur s’élève à 60 % de la valeur en pleine propriété (âge du donateur : 65 ans)
Donation | Assiette par enfant | Droits par enfant | Total des droits |
---|---|---|---|
En pleine propriété, sans pacte Dutreil | 2 M€ | 662 K€ | 1,986 M€ (33% de la valeur de l'entreprise) |
En pleine propriété, avec pacte Dutreil | 2 M€ -(75% x 2 M€) = 0,5 M€ | 98 K€ | 294 K€ (5% de la valeur de l'entreprise) |
En pleine propriété, avec pacte Dutreil + réduction de 50% des droits | 2 M€ -(75% x 2 M€) = 0,5 M€ | 50% x 98 k€ = 49 K€ | 147 K€ (2,5% de la valeur de l'entreprise) |
En nue-propriété, avec pacte Dutreil | 60% x 0,5 M€ = 0,3 M€ | 58 K€ | 174 K€ (2,9% de la valeur de l'entreprise) |
A noter
Le bénéfice du régime Dutreil est assorti d’un formalisme qui nécessite un suivi attentif année après année. Par ailleurs, le pacte Dutreil peut se décliner en pacte ISF afin de bénéficier d’une exonération de 75% sur la valeur des parts pour cet impôt lorsque l’actionnaire ne peut bénéficier d’une totale exonération au titre des biens professionnels.
Auteurs
Hubert Bresson, avocat associé en matière de fiscalité directe
Matthieu Lafont, avocat en matière de fiscalité directe
*Transmission de l’entreprise familiale : l’incontournable pacte Dutreil* – Article paru dans LeRevenu.com le 15 avril 2015