UK patent box : la France conserve tout son attrait
Le Royaume-Uni figure dorénavant parmi les pays proposant un régime fiscal très favorable aux brevets. A compter des exercices clos après le 1er avril 2013, le nouveau régime de la patent box britannique prévoit l’introduction progressive jusqu’au 1er avril 2017 d’un taux d’imposition de 10 % sur les revenus provenant de brevets. Pour autant, les entreprises françaises devraient-elles se précipiter pour bénéficier de ce régime ?
A première vue, ce nouveau régime semble faire directement concurrence au régime français qui soumet les revenus de la concession de licences d’exploitation de brevets, d’inventions brevetables ou de perfectionnements qui y ont été apportés, ou de certains procédés de fabrication industriels et les plus-values de cession de ces mêmes éléments à l’impôt sur les sociétés au taux réduit de 15 %.
Toutefois, une étude approfondie du régime fiscal britannique amène à conclure que la France conserve tout son attrait en matière de fiscalité des brevets.
I. Rappels relatifs au régime français
La France a figuré parmi les premiers pays à mettre en place un régime fiscal favorable aux incorporels en étendant l’application du régime des plus-values long terme aux produits de la propriété industrielle.
Actuellement, l’impôt sur les sociétés s’applique au taux réduit de 15 % sur les plus-values de cession et les produits de la concession des brevets et inventions brevetables, des perfectionnements qui y sont apportés et des procédés de fabrication industriels y afférents, sous réserve que ces procédés remplissent les conditions énumérées à l’article 39 terdecies du Code général des impôts. Ce texte subordonne l’application du régime des plus-values long terme au caractère d’actif immobilisé des incorporels en question, ainsi qu’à une durée de détention minimale de deux ans dans l’hypothèse où les incorporels ont été acquis à titre onéreux. Aucune durée de détention n’est toutefois requise si les incorporels ont été développés par la société elle-même.
II. Le nouveau régime britannique
Un régime réservé aux sociétés opérationnelles
Le régime fiscal britannique s’adresse exclusivement aux sociétés assujetties à l’équivalent britannique de l’impôt sur les sociétés et remplissant cumulativement des conditions de « détention » et de « développement ». En application de la première condition, les sociétés concernées devront être propriétaires d’au moins un brevet ou titulaires d’une licence exclusive, valable sur un territoire au moins et incluant le droit, au bénéfice du concessionnaire, de développer, exploiter et de protéger le brevet contre les tiers. La seconde condition, plus subjective, va obliger les sociétés à démontrer qu’elles ont contribué significativement au développement de l’invention brevetée ou d’un produit l’incluant. Cette condition comporte un assouplissement dans le cadre des groupes de sociétés, pour lesquels le développement peut avoir eu lieu dans un autre pays avant d’être acquis par la société britannique. Cette dernière devra alors démontrer avoir joué un rôle significatif dans l’exploitation du brevet.
L’application de ces conditions a pour objectif explicite d’exclure les holdings passives du dispositif et d’en réserver le bénéfice aux sociétés opérationnelles, intervenant en amont, sinon en aval, dans le développement et l’exploitation d’une invention brevetée. Cette particularité exclut le recours au nouveau régime fiscal britannique pour une société qui chercherait à centraliser ses brevets dans un pays fiscalement attractif sans pour autant y localiser la gestion opérationnelle ou l’exploitation effective de ces incorporels. Le choix de cette dernière pourrait alors s’orienter vers la France.
Un régime d’accès difficile pour les brevets français
Chacun des dispositifs, français et britannique, s’adresse à différentes formes de propriété intellectuelle. Outre les droits, dits assimilés, portant sur certaines innovations et produits médicaux et botaniques, le régime britannique entend couvrir les brevets délivrés par des organismes explicitement mentionnées dans la réglementation. L’Institut National de la Propriété Intellectuelle ne figure pas dans cette liste. Ainsi, une invention brevetée – ou brevetable – en France ne serait éligible au régime de la patent box britannique que sous réserve d’être brevetée par l’une des institutions énumérées par le dispositif britannique.
Le régime français est moins restrictif. Il s’adresse plus largement aux brevets, aux inventions brevetables, aux perfectionnements qui y sont apportés et aux procédés de fabrication industriels accessoires et indispensables à leur exploitation. Les brevets étrangers sont également éligibles au régime français sous réserve que l’invention soit brevetée ou simplement brevetable en France.
Un régime applicable à un panel plus large de revenus
En matière de revenus éligibles, le régime britannique s’avère plus favorable que le régime français. En effet, au-delà des produits de cession et des redevances perçues dans le cadre de licences d’exploitation, le régime britannique inclut les ventes des produits brevetés ou des produits contenant l’invention brevetée, y compris les pièces détachées telles que les cartouches d’imprimante destinées à être « intégrées » dans une imprimante composée d’une pièce brevetée. Sont également inclus dans la définition des revenus éligibles au régime de la patent box, les dommages et intérêts résultant d’actions en contrefaçon, les produits d’assurance et autres dédommagements rattachables aux brevets éligibles. La réglementation prévoit également la possibilité d’intégrer une redevance notionnelle lorsque la société utilise un procédé ou un outil breveté pour fabriquer des produits non couverts par un brevet.
Cependant, s’ensuit alors un calcul complexe en vue de déterminer la part du profit imposable selon le régime de la patent box. L’une des deux méthodes de calcul envisagées se décline en six étapes. Les premières étapes consistent à déterminer la part de profit pertinente au prorata des revenus éligibles. Certains revenus doivent être exclus de la base de calcul. D’autres revenus peuvent être reconstitués (redevance notionnelle). L’objectif est de permettre aux sociétés qui créent des services ou des produits non brevetés en utilisant des procédés brevetés de bénéficier du régime. La société devra ensuite déduire de ces profits une marge au titre des activités dites de routine (le profit qui serait réalisé si la société n’utilisait pas d’actifs incorporels de valeur), ainsi qu’une marge destinée à rémunérer les actifs marketing.
III. Deux régimes différents pour des taux effectifs d’imposition relativement proches
La comparaison des taux effectifs d’imposition en matière de brevets réduit sensiblement l’écart observé initialement entre les taux nominaux de 10 % et 15 % annoncés par les régimes respectifs. En effet, dans le régime français des plus-values long terme auquel sont soumises les redevances de la propriété intellectuelle, le taux d’imposition de 15 % (+ 1,2 % au titre des contributions additionnelles) s’applique aux résultats nets retenus sous déduction seulement de certaines charges incluant notamment les frais de gestion de l’incorporel en question. Les autres dépenses, en particulier l’amortissement du brevet et le coût de la recherche pour son perfectionnement, restent déductibles de la base taxable au taux d’imposition de droit commun (331/3 % ou max. 36,1 % sous l’effet des contributions additionnelles).
En revanche, le régime britannique applique le taux favorable au profit net, ce qui implique qu’au moment du calcul de l’assiette, les dépenses déductibles sont associées aux revenus éligibles, en sorte que le taux d’imposition de 10 % s’applique sur une base restreinte. Par conséquent, le taux effectif d’imposition, en application du régime britannique, pourrait s’avérer supérieur à ce qu’il est en France.
S’il ne fait aucun doute que la France comme le Royaume-Uni ont pour objectif d’encourager l’innovation par une fiscalité attractive, les deux régimes présentent donc des différences majeures.
Le régime britannique est d’application complexe. Les conditions juridiques d’éligibilité pourront nécessiter l’intervention d’un juriste spécialisé en propriété intellectuelle afin de vérifier que les brevets remplissent bien les caractéristiques requises. Par ailleurs, les entreprises devront faire appel à des spécialistes des problématiques prix de transfert afin de reconstituer les montants des royalties et marketing royalties notionnels.
Autant de difficultés pratiques qui incitent à la prudence. A ce jour, inutile de se précipiter au Royaume-Uni. Le régime français demeure bel et bien l’un des plus compétitifs en matière d’incorporels.
A propos de l’auteur
Nadia Sabin, avocat spécialisée en fiscalité internationale
Article paru dans la revue Option Finance du 10 juin 2013
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