Moins-values : du nouveau sur l’applicabilité de l’abattement pour durée de détention ?
Faute de disposition expresse dans la loi le prévoyant, la position de l’administration fiscale selon laquelle l’abattement pour durée de détention serait applicable aux moins-values sur valeurs mobilières apparaît contestable.
Les plus-values mobilières ne sont imposables qu’après l’imputation des moins-values réalisées dans les mêmes conditions au cours de la même année, ou au cours des dix années précédentes si elles sont toujours en report. Mais l’Administration considère, de manière constante, qu’un régime incitatif visant à diminuer l’imposition de certaines plus-values (exonération ou abattement) produit un effet symétriquement désavantageux sur les moins-values de cessions qui satisfont aux conditions du régime incitatif (elles ne sont pas imputables ou ne le sont qu’après application du même abattement).
Dans les explications données à la suite de l’importante réforme des plus-values mobilières réalisées depuis le 1er janvier 2013, une réforme qui a prévu l’imposition au barème de l’impôt sur le revenu après application d’un abattement pour durée de détention, l’Administration s’est prononcée dans le même sens. Dans ses notices de déclaration des plus et moins-values réalisées en 2013 puis lors de la refonte de la section BOI-RPPM-PVBMI du 14 octobre 2014, elle a précisé que l’abattement pour durée de détention s’applique aux moins-values de cession d’actions et de parts sociales réalisées depuis 2013, dans les mêmes conditions que pour les plus-values.
Mais cette position nous semble contestable. L’application d’un abattement aux moins-values produit un effet défavorable puisqu’elle réduit le montant imputable sur les plus-values de même nature. Et cette position ne nous paraît pas résulter, à l’évidence, de la loi qui se contente de prévoir l’application de l’abattement aux «gains nets» sans préciser si cette notion comprend les moins-values. On peut en douter dès lors, notamment, que l’application de l’abattement aux moins-values incite les actionnaires à céder rapidement leurs titres porteurs de moins-value, ce qui est contraire à l’objectif du législateur, qui était à l’inverse de favoriser la détention longue.
Une décision du Conseil d’Etat, qui, bien que portant sur un régime aujourd’hui disparu, est riche d’enseignements
Lorsqu’une personne détenait avec son conjoint, leurs ascendants et leurs descendants, des droits dépassant un certain seuil dans les bénéfices sociaux d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés, et qu’elle cédait ces droits à l’un des membres précités de son groupe familial, la plus-value réalisée à l’occasion de cette cession était, jusqu’à l’intervention de la loi de finances pour 2014, totalement exonérée, sous réserve d’une condition de conservation des titres pendant un délai de cinq ans (exonération prévue au 3 du I de l’article 150-0 A du Code général des impôts (CGI).
Un contribuable ayant constaté, à l’occasion de cessions répondant à l’ensemble de ces conditions, non pas des plus-values mais des moins-values, les avait imputées sur des plus-values imposables réalisées, par ailleurs, au titre des mêmes années.
L’administration a remis en cause cette imputation et cette position avait été confirmée par la cour administrative d’appel de Paris. Le raisonnement de la cour était le suivant : les moins-values en cause résultaient d’opérations conclues dans le groupe familial, relevant d’un régime d’exonération ; si elles avaient donné lieu à plus-values, celles-ci auraient été exonérées d’impôt sur le revenu. Or, le contribuable avait imputé ces moins-values sur des plus-values qui étaient, quant à elles, imposables : selon l’Administration, ces moins-values n’étaient dès lors pas imputables et la cour avait fait droit à ce raisonnement en considérant que les plus-values imposables n’étaient pas «de même nature» que les moins-values «exonérées» au sens du 11 de l’article 150-0 D du CGI.
Mais, le Conseil d’Etat a, au contraire, jugé dans une décision du 4 février 2015 (n° 364197) que le régime d’exonération dont bénéficiaient certaines cessions dans le cadre du groupe familial ne les plaçait pas hors du champ de l’impôt et ne faisait pas obstacle, faute de disposition expresse en ce sens, à ce que les moins-values en résultant éventuellement s’imputent sur des plus-values réalisées par ailleurs. Comme l’a relevé le rapporteur public devant le Conseil d’Etat, le législateur ayant souhaité inciter les cessions réalisées au sein du groupe familial sous certaines conditions, il aurait en effet été absurde d’en inverser les effets et rendre le régime défavorable en cas de moins-values.
Bien que les cessions intra-familiales ne bénéficient plus, aujourd’hui, de cette exonération mais d’un régime d’abattement majoré, cette décision nous paraît de nature à justifier la position des contribuables qui, en vertu du droit actuellement applicable, estiment que l’abattement pour durée de détention institué par le CGI en cas de plus-values réalisées après un certain délai (deux ans au minimum en régime de droit commun) n’a pas pour corollaire un abattement de même montant en cas de réalisation de moins-values. Faute de disposition expresse prévoyant l’application de l’abattement en matière de moins-values, l’article 150-0 D du CGI n’a pas pour finalité de transformer le régime incitatif des plus-values en un régime pénalisant lorsque le contribuable réalise une mauvaise opération.
Auteurs
Stéphane Austry, avocat associé au sein du Département Doctrine Fiscale, en charge du développement de l’activité contentieuse du cabinet, professeur associé, Ecole de Droit de la Sorbonne, Université Paris I.
Florent Ruault, avocat, spécialiste des impôts directs au sein du département de doctrine fiscale.