Compte de pénibilité : le pire n’est jamais certain
27 janvier 2015
Dans le conflit qui oppose les entreprises au Gouvernement sur la mise en œuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité, 4 éléments paraissent de nature à rassurer les entreprises.
La mise en œuvre du compte de prévention de la pénibilité, entré en vigueur partiellement (pour 4 facteurs de pénibilité) depuis le 1er janvier 2015, est à l’origine d’un conflit majeur du Gouvernement avec les entreprises, qui s’est notamment traduit par une manifestation, à l’appel de la CGPME, le 1er décembre dernier sous les fenêtres de Bercy. Les petites entreprises dénoncent la complexité du dispositif, qualifié d' »inapplicable« , « intolérable« , « pire que les 35 heures« . Toutes sont, par ailleurs, inquiètes du coût du dispositif, financé par des cotisations des entreprises, que l’UIMM a évalué, en période de croisière , à un montant allant de 500 à 600 euros par an et par salarié, qu’il soit ou non exposé à des facteurs de pénibilité.
La marge de manœuvre du Gouvernement est, en réalité, étroite pour deux raisons : d’une part, les conditions politiques ne paraissent pas réunies pour remettre en cause, sur le plan législatif, un dispositif que Mme Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes qualifie « d’avancée sociale majeure« , dont « la mise en place sera simple. Simple pour les entreprises, simple pour les salariés« , et qui a été pour la CFDT une condition majeure d’acceptation de la réforme des retraites; d’autre part, les décrets d’application, qui ont tous été publiés (cf. Compte personnel de prévention de la pénibilité : les décrets sont publiés, par Caroline Froger-Michon et Guillemette Peyre), prévoient déjà un certain nombre d’assouplissements.
4 éléments en vigueur de nature à rassurer les entreprises
Dans l’immédiat, le Premier ministre rappelle, dans un communiqué en date du 8 janvier 2015, que :
« les entreprises concernées par les 4 facteurs de pénibilité entrant en vigueur en 2015 (travail de nuit, travail en équipes successives alternantes, travail répétitif, activités exercées en milieu hyperbare) – soit une petite minorité des entreprises françaises- n’ont à ce stade aucune tâche ou formalité supplémentaire à accomplir au titre du compte. Aucune obligation déclarative n’est à accomplir avant le mois de janvier 2O16 ».
Au-delà, il faut souligner que, tels qu’ils ont été publiés, les textes législatifs et réglementaires comportent 4 éléments de nature à rassurer les entreprises.
En premier lieu, le champ d’application du dispositif ne concerne, d’après l’étude d’impact de la loi du 20 janvier 2014 portant réforme des retraites, que 18,2% des salariés, soit 3,3 millions de salariés. La liste des facteurs de pénibilité, telle qu’elle résulte de l’article D 4161-2 du Code du travail, est, en effet, une liste à la Zola, digne des Temps modernes. Ni le travail sur écran, ni le stress au travail, ni le « burn-out« , ni les problèmes des suicides au travail ne sont évoqués. Elle concerne essentiellement les entreprises industrielles et celles du bâtiment et des travaux publics; le secteur tertiaire n’est que peu ou pas concerné, sauf pour les entreprises qui pratiquent le travail de nuit ou le travail par équipes.
En second lieu, le dispositif légal prévoit déjà certains assouplissements pour évaluer les facteurs de pénibilité de chaque salarié. Aux termes de l’article L 4161-2 du Code du travail, un accord de branche étendu relatif à la prévention de la pénibilité peut, dans les entreprises de 50 à 300 salariés, « caractériser l’exposition des travailleurs à un ou plusieurs des facteurs de risques professionnels au-delà des seuils mentionnés à l’article L. 4161-1 par des situations types d’exposition, faisant notamment référence aux postes occupés« . Dans toutes les entreprises, l’article D 4161-1 prévoit que « L’employeur peut également prendre en compte des documents d’aide à l’évaluation des risques, notamment des référentiels de branche, dont la nature et la liste sont fixées par arrêté conjoint des ministres chargés du travail et des affaires sociales. » En d’autres termes, des référentiels élaborés au niveau des branches professionnelles et validés par l’administration pourront définir des postes type de travail et évaluer, pour chacun de ces postes, le nombre de points auxquels ils ouvrent droit au titre de la pénibilité.
En troisième lieu, la montée en charge des cotisations finançant le dispositif sera très progressive. Il résulte des dispositions des articles D 4162-54 et 55 que la cotisation de base due par toutes les entreprises entrant dans le champ d’application du dispositif, que leurs salariés soient ou non exposés à la pénibilité, ne sera due qu’à partir de 2017 – année électorale – au taux de 0,01% et que la cotisation additionnelle due par les entreprises au titre de leurs salariés exposés à la pénibilité sera, en 2015 et 2016, de 0,1% pour un seul facteur et de 0,2% pour deux facteurs et ne doublera qu’en 2017.
Enfin et surtout, il ne faut pas perdre de vue que ce dispositif rétablit de façon massive dans l’industrie le dispositif des pré-retraites que les pouvoirs publics ont cherché à freiner depuis quinze ans. En effet, la principale utilisation du compte personnel de pénibilité sera la possibilité offerte aux salariés concernés âgés d’au moins 55 ans d’avancer de deux ans la date de leur départ en retraite. Dix points ouvrent droit à un trimestre de majoration d’assurance vieillesse, dans la limite de 8 trimestres, c’est-à-dire de deux ans. Dans la mesure où, pour les salariés nés avant le 1er janvier 1960, aucun point n’est réservé à une utilisation sous forme d’actions de formation, comme c’est normalement le cas, le dispositif devrait, à raison de 4 ou 8 points inscrits chaque année au compte des intéressés, monter en charge assez rapidement et permettre aux entreprises d’utiliser ce dispositif pour développer à nouveau les préretraites qui restent pour elles le mode le plus consensuel et indolore de réduire leurs effectifs en temps de crise.
Pour calmer le jeu, le Gouvernement a mis en place deux missions de conciliation :
- MM. Christophe Sirugue, député de Saône-et-Loire et Gérard Hulot, chef d’entreprise, sont chargés par le Premier ministre de faire, d’ici juin 2015, des propositions permettant d’améliorer et de simplifier le dispositif;
- M. Michel de Virville, conseiller maître à la Cour des comptes, est chargé d’une mission d’appui aux branches professionnelles pour l’élaboration de leurs « modes d’emploi » et de préparation de la mise en place de l’ensemble des facteurs de pénibilité le 1er janvier 2016.
Souhaitons que ces deux missions de conciliation permettent de tirer le meilleur parti possible de ces différents éléments.
Auteur
Olivier Dutheillet de Lamothe, avocat, Of Counsel, Département social.
l’article « Compte de pénibilité : le pire n’est jamais certain » est paru dans Les Echos Business le 26 janvier 2015
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