Faut-il anticiper la transmission de tout ou partie de son patrimoine non professionnel au profit de ses proches ?
La fiscalité des transmissions entre vifs s’est progressivement durcie au fil des ans, mais, dans le cadre de la loi de finances pour 2015, le gouvernement a souhaité relancer, par une même mesure à caractère temporaire, à la fois les constructions neuves et les donations. Cette nouvelle mesure peut être couplée avec certains régimes encore existants.
L’allègement des droits de mutation que nous allons vous présenter contrebalance partiellement les durcissements intervenus dans les années récentes : suppression des réductions de 50% et 30% des droits dus, augmentation de 5% du tarif applicable à certaines tranches du barème progressif, abaissement de l’abattement en ligne directe de 159.325 € à 100.000 € et allongement du délai de rappel fiscal à 15 ans (délai qui permet la reconstitution de l’abattement). En outre, si le conjoint survivant ou le partenaire de PACS reste exonéré de droits de succession, toute transmission de leur vivant reste imposable (après un abattement de 80.724 €).
I. Nouvelle mesure relative aux donations de terrains à bâtir ou de logements neufs
La loi de finances pour 2015 a introduit un régime spécifique temporaire d’exonération pour les donations en pleine propriété de terrains à bâtir ou de logements neufs (articles 790 H et I du CGI).
Un nouvel abattement permettant de réduire la valeur imposable s’appliquera à hauteur de 100.000 € si la donation est consentie en ligne directe ou entre conjoints ou partenaires de PACS, de 45.000 € si elle est faite au profit de la fratrie et de 35.000 € au profit de toute autre personne. Toutefois, un plafond de 100.000 € s’appliquera à l’ensemble des donations consenties par un même donateur.
L’application de cet abattement est soumise à des conditions spécifiques.
La donation de terrains à bâtir doit intervenir entre le 1er janvier et le 31 décembre 2015 et le donataire doit prendre l’engagement d’achever la construction des locaux destinés à l’habitation dans un délai de quatre ans à compter de la date de l’acte. L’avantage sera remis en cause s’il ne justifie pas, à l’expiration de ce délai, de l’achèvement de la construction.
Pour la donation de logements neufs, le permis de construire doit être obtenu entre le 1er septembre 2014 et le 31 décembre 2016 et la donation doit intervenir au plus tard dans les trois ans suivant l’obtention de ce permis. Le logement concerné ne devra jamais avoir été occupé ou utilisé avant la donation et la déclaration attestant l’achèvement et la conformité des travaux prévue par le code de l’urbanisme devra être fournie.
A défaut de respecter l’une de ces conditions, l’application de cet abattement sera remise en cause et entraînera le paiement de droits de donation sur la fraction exonérée assortis de l’intérêt de retard. En outre, le donataire subira une majoration spécifique de 15 % des droits éludés (article 1840 G ter du CGI) sauf cas particuliers (décès, invalidité, licenciement ou circonstances exceptionnelles).
Si le bien donné a une valeur supérieure à l’abattement temporaire, le solde non exonéré sera soumis au régime normal d’imposition des donations après application des règles du rappel fiscal des donations antérieures de l’article 784 du CGI.
Ainsi, en supposant qu’aucune autre libéralité n’est intervenue depuis moins de 15 ans à la date de la donation envisagée, en utilisant l’abattement général de 100.000 € en ligne directe, en 2015, deux parents pourront donner ensemble à un enfant un logement neuf d’une valeur de 400.000 €1, et pourraient éventuellement compléter leur libéralité par une donation d’un terrain à bâtir d’une valeur de 200.000 €2 en totale exonération de droits.
Les donateurs devront supporter au préalable tous les frais et toute la fiscalité liés à l’acquisition du bien donné.
II. Rappel des autres dispositifs favorables à une transmission anticipée de son patrimoine
D’autres dispositions spécifiques militent pour une transmission anticipée. En effet, certains régimes particuliers favorables n’existent que dans le cadre d’une donation et non d’une succession.
Nous n’abordons ici que la transmission de biens non professionnels et laissons volontairement de côté les régimes de faveur en matière de transmission d’entreprises, en rappelant toutefois que les donations d’entreprises bénéficient sous conditions d’une exonération d’assiette des droits de mutation à titre gratuit de 75% (régime Dutreil des articles 787 B et C du CGI). Cette exonération Dutreil peut être couplée avec une réduction de droits de 50% (article 790 du CGI), et le paiement de ces droits peut être différé et fractionné sur 15 ans.
Il existe notamment un régime fiscal spécifique aux dons familiaux de sommes d’argent consenties en pleine propriété au profit de descendants (enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants) ou, pour les personnes sans descendance, au profit de ses propres neveux ou nièces (petits-neveux ou petites-nièces en cas de prédécès d’un neveu ou nièce) (art. 790 G du CGI). Si le donateur a moins de 80 ans et le donataire est majeur, ces dons sont exonérés de droits de donation à hauteur actuellement de 31.865 € à condition qu’ils fassent l’objet d’un enregistrement auprès de l’administration fiscale dans le mois de leur réalisation. Ces dons ne font pas l’objet du rappel fiscal lors d’une nouvelle mutation et sont réalisables tous les 15 ans. Cet abattement est cumulable avec tout autre abattement.
En tenant compte de l’abattement général de 100.000 € en ligne directe, un père âgé de 79 ans peut donc transférer à titre gratuit à sa fille majeure une somme globale de 131.865 € en totale exonération de droits.
En outre, les donations consenties par des grands-parents à leurs petits-enfants, vivants ou représentés, bénéficient également d’un abattement spécifique de 31.865 € tous les 15 ans sans aucune condition d’âge (l’abattement général de 100.000 € ne leur est pas applicable sauf en cas de représentation). Dès lors en cumulant cet abattement et celui de 31.865 € précité prévu par l’article 790 G (applicable aux seuls dons de sommes d’argent), un ascendant de moins de 80 ans peut donner à chacun de ses petits-enfants majeurs la somme globale de 63.730 € sans aucune imposition. Il existe un même dispositif pour les donations consenties par des arrière-grands-parents à leurs arrière-petits-enfants et ce, toujours sans aucune condition d’âge. L’abattement spécifique est dans ce cas de 5.310 €.
De plus, le donateur peut prendre en charge les frais et l’impôt dus au titre de la donation sans que cela constitue au plan fiscal une libéralité supplémentaire. Or, dans le cadre d’une succession, l’héritier doit payer des droits de succession sur les fonds qu’il reçoit et qui vont lui servir à régler cet impôt ; l’impôt dû n’étant pas déductible de la masse successorale imposable.
Par ailleurs, si le bien donné est grevé d’un emprunt bancaire qui a servi à son acquisition et que le donateur transfère la charge de cet emprunt en même temps que la propriété du bien, cette charge financière est exceptionnellement déductible de l’assiette imposable aux droits de donation.
Ces dispositifs peuvent être couplés avec celui prévu par la loi de finances pour 2015 afin d’aider par exemple au financement de la construction sur le terrain à bâtir qui aura fait l’objet de la donation.
Enfin, la donation de la nue-propriété d’un bien par le donateur qui s’en réserve l’usufruit jusqu’à son décès, permet de réduire notablement l’assiette imposable et consécutivement l’impôt dû. Ainsi, alors que l’héritier paye des droits de succession sur la valeur en pleine propriété du bien recueilli, la donation en démembrement permet de n’imposer que la valeur de la nue-propriété du bien donné calculée en fonction de l’âge du donateur ; soit une imposition sur 50% seulement de la valeur en pleine propriété si le donateur a moins de 61 ans ou sur 60% si le donateur a moins de 71 ans… (CGI art. 669). Au décès de l’usufruitier, le nu-propriétaire devient plein propriétaire sans droit supplémentaire. Dans ce cas, il ne peut pas y avoir de cumul avec les nouvelles dispositions des articles 790 H et I puisque la donation doit être consentie en pleine propriété.
III. Rappel des implications au regard du droit civil
Au plan civil anticiper le règlement de sa succession présente de nombreux avantages lorsque l’on souhaite répartir ses actifs de façon précise et faire respecter ses volontés. Une donation (donation notariée, don manuel, don familial de sommes d’argent…) consentie à un seul des enfants, oblige le donataire à rapporter le bien donné ou le bien acquis en remploi du bien donné le cas échéant, à la succession du donateur pour sa valeur au jour du décès dans le cadre du calcul de la quotité disponible et des parts réservataires, et éventuellement dans le cadre du rapport à la masse de partage étant donné qu’un don fait à un successible est présumé être fait en avancement de part successorale. Si l’on souhaite léguer un bien à l’un de ses enfants, il n’est pas possible de déterminer par avance la valeur qu’il aura au jour du décès du testateur et de définir même approximativement si ce legs fera l’objet ou non d’une réduction s’il devait dépasser la quotité disponible. Afin d’éviter toute discussion relativement à la valorisation de l’actif reçu, il est possible de procéder à une répartition de certains biens dans une donation-partage ce qui permettra de figer définitivement la valeur du bien reçu au jour de la donation, et ce, même si les lots ne sont pas égalitaires entre tous les enfants du donateur. Par ailleurs, il est également possible d’organiser une transmission transgénérationnelle qui permet d’entamer la part réservataire de son enfant, avec son accord, au profit de ses petits-enfants tout en évitant d’obérer sa quotité disponible.
Dès lors, aussi bien au plan fiscal qu’au plan civil, dans la mesure du possible, une transmission entre vifs est à privilégier.
Notes
1 [100.000€ (abattement général) + 100.000€ (abattement 790 I)] x2
2 100.000€ (abattement 790 H) x2
Auteur
Isabelle Fleuret, avocat, droit du patrimoine
Article paru dans le magazine Option Finance le 19 janvier 2015