Réforme des plus-values sur valeurs mobilières : vers une évolution des nouveaux commentaires administratifs ?
La récente refonte du BOFIP relative aux différents régimes de plus-values mobilières se révèle source de difficultés à l’égard de situations telles les transmissions en démembrement de propriété et les détentions via une holding, qui poursuivent un objectif autre que fiscal.
1. Les pièges de la transmission de la nue-propriété des titres à ses enfants
Cette pratique très commune risque de comporter, malgré son intérêt, certaines conséquences défavorables en matière de détermination de plus-values de cession.
a. L’administration dans son projet de BOFIP rappelle qu’en cas de cession conjointe de titres dont la propriété a été démembrée, la plus-value est imposable selon les cas :
i) Entre les mains de l’usufruitier et du nu-propriétaire selon leurs droits respectifs en cas de répartition du prix de cession ;
ii) Entre les mains du nu-propriétaire si le prix de vente est remployé dans l’acquisition de nouveaux titres démembrés, ou au nom de l’usufruitier en cas de quasi-usufruit.
Mais elle précise que lorsque le prix de cession ne fait pas l’objet d’une répartition entre les titulaires de droits démembrés, le point de départ de la durée de détention est «la date d’acquisition par le cédant (redevable de l’impôt sur la plus-value) de son droit démembré1 :
- soit la date d’acquisition de l’usufruit lorsque le cédant est le quasi-usufruitier ;
- soit la date d’acquisition de la nue-propriété lorsque le cédant est le nu-propriétaire>».
Les cessions avec répartition du prix de vente ne posent pas de difficulté particulière. Mais lorsque le donataire (généralement un enfant) vend la nue-propriété qu’il vient de recevoir et remploie le prix de cession, la transmission à titre gratuit a entraîné le «rajeunissement» des droits représentatifs de l’usufruit. La plus-value réalisée par l’usufruitier (mais imposée entre les mains du nu-propriétaire) se voit exclue du bénéfice de l’abattement normalement applicable à raison de la durée de détention réelle de ses droits par l’usufruitier.
A l’inverse, dans l’hypothèse d’un quasi-usufruit, la donation de la nue-propriété est sans incidence sur le calcul du point de départ de la durée de détention qui est appréciée au niveau de l’usufruitier. Ce qui peut conduire à l’application d’un abattement «artificiellement» majoré si la durée de détention de l’usufruit est supérieure à celle de la nue-propriété.
L’administration pourrait revoir sa copie et accepter, indépendamment de l’identité du redevable de l’impôt, de calculer deux plus-values de cession, l’une sur l’usufruit, l’autre sur la nue-propriété, en fonction de la durée réelle de détention de chacun des droits par leurs titulaires.
b. L’une des craintes suscitée par le démembrement tient au sort potentiellement réservé aux cessions/apports concomitants de l’usufruit et de la nue-propriété de titres à une société
Dans un projet de BOFIP non encore paru, l’administration avance que le produit de la cession (ou la valeur d’apport) de l’usufruit (nécessairement temporaire car consenti à une société) entrerait dans le champ de l’article 13-5° du CGI en dépit de ce que la nue-propriété serait également transmise. Il se verrait ainsi imposé dans la catégorie de revenu à laquelle se rattache le bénéfice susceptible d’être procuré par le droit démembré. C’est donc, selon les situations possibles, en lieu et place du régime fiscal attractif des plus-values de cession (voire d’un différé d’imposition en cas d’apport), celui des revenus fonciers, des revenus mobiliers (sans abattement) ou des bénéfices non commerciaux qui serait appliqué. De surcroît, c’est l’intégralité du prix de cession (ou la valeur d’apport) et non le seul gain réalisé qui deviendrait taxable.
Cette approche est choquante. L’optimisation censurée par le législateur consistait à transformer des revenus imposables au barème progressif en une plus-value exonérée ou plus faiblement imposée. Dès lors que la pleine propriété se reconstituera, à l’expiration de l’usufruit, entre les mains d’un nu-propriétaire distinct du cédant, la plus-value réalisée à l’occasion de la cession présente réellement le caractère d’un gain en capital, et non celui d’un revenu. A fortiori dans le cas d’un apport, le report de droits démembrés s’effectuant selon le mécanisme de subrogation réelle et non par l’effet d’une cession.
2. Les difficultés propres à la détention via une holding
La loi nouvelle (CGI art. 150-0 D 1 quater) réserve notamment aux plus-values de cession de titres de «jeunes PME» l’application d’un abattement «renforcé», dont le taux peut atteindre 85%.
En pratique, de nombreuses difficultés limitent la portée de ce dispositif, qui mériteraient d’être résolues par le BOFIP actuellement en projet.
a. L’exclusion des simples sociétés holdings interposées
La loi prévoit que «l’abattement renforcé s’applique (…) lorsque la société émettrice des droits cédés (…) exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, à l’exception de la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier»2. L’interposition entre le contribuable et la PME éligible (qu’il s’agisse d’une société opérationnelle ou d’une holding animatrice) d’une holding pure relevant de l’impôt sur les sociétés, situation assez usuelle dans la structuration d’un patrimoine, interdirait donc l’accès au bénéfice de l’abattement renforcé.
Formons le vœu que l’administration aménage sur ce point le projet de BOFIP susvisé, cette exclusion se comprenant d’autant moins que l’interposition est admise pour l’application de l’abattement général, mais également pour l’abattement renforcé propre aux dirigeants de PME partant à la retraite3.
b. L’éligibilité (illusoire?) des sociétés holdings animatrices de groupes
La loi dispose que «lorsque la société émettrice des droits cédés est une société holding animatrice au sens du dernier alinéa du VI quater du même article 199 terdecies-0 A, le respect des conditions mentionnées au présent 1° s’apprécie au niveau de la société émettrice et de chacune des sociétés dans laquelle elle détient des participations».
Or, l’une des conditions requises «au présent 1°», prévoit (a) que «la société (comprenons ici la société holding animatrice et chacune de ses filiales directes) est créée depuis moins de dix ans et n’est pas issue d’une concentration, d’une restructuration, d’une extension ou d’une reprise d’activité préexistante. Cette condition s’apprécie à la date d’acquisition ou de souscription des droits cédés».
Gageons, eu égard au caractère intercalaire des opérations d’apport en différé d’imposition, et à la faveur d’une analyse pragmatique, que le projet de BOFIP (jusqu’alors silencieux sur ce point) confirmera qu’il n’y a pas concentration, restructuration, extension ou reprise d’une activité préexistante quand une société holding bénéficie d’un apport (en sursis ou report d’imposition) de titres de filiale éligible. Nombre d’actionnaires de jeunes PME seraient, dans le cas inverse, exclus du régime de faveur.
Plus particulièrement, s’agissant de la condition selon laquelle la société émettrice des droits cédés ne doit pas (à l’instar de ses filiales) être «issue d’une concentration, d’une restructuration, d’une extension ou d’une reprise d’activité préexistante», le projet de BOFIP4 renvoie à la doctrine concernant le III de l’article 44 sexies du CGI5. Or, les deux dispositifs ne se recoupent pas; ainsi, pour qualifier l’entreprise nouvelle, ce dernier article procède à des exclusions différentes et plus larges que l’article 150-0 D 1 quater. En particulier, pour les besoins de son application, caractérise l’extension d’une activité préexistante l’existence de contrats organisant un partenariat, ce que le législateur adoptant l’article 150-0 D n’a nullement envisagé. Le renvoi général par le récent projet de BOFIP à la doctrine commentant le régime des entreprises nouvelles est donc manifestement trop large, les champs d’application des deux dispositions légales étant distincts.
Une autre des conditions mentionnées «au présent 1°» prévoit (f), comme indiqué ci-avant, que «la société (entendons ici la société holding animatrice et chacune de ses filiales) exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, à l’exception de la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier». La filialisation de l’immobilier du groupe dans une filiale dédiée rendrait la holding animatrice inéligible au régime de faveur. Il s’agit pourtant d’un mode de structuration de l’immobilier au sein des groupes animés expressément recommandé par l’administration dans un récent projet de BOFIP sur les holdings animatrices. Peut-on raisonnablement admettre que ce qui qualifie la holding animatrice pour les besoins du régime des biens professionnels ait l’effet d’une sanction au regard du régime des plus-values ?
Notes
1. BOI-RPPM-PVBMI 20-20-20-20, n°40.
2. CGI art. 150-0 D 1 quater f.
3. cf. BOI-RPPM-PVBMI-20-20-30-20 n°100.
4. BOI-RPPM-PVBMI-20-30-10 n°60.
5. BOI-BIC-CHAMP-80-10-10-20.
Auteurs
Olivier de Saint Chaffray, avocat associé spécialisé en fiscalité directe.
Thomas Laumière, avocat spécialisé en fiscalité directe.
Article paru dans le magazine Option Finance le 5 janvier 2015
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