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Discrimination syndicale : de la nécessaire justification des différences

Discrimination syndicale : de la nécessaire justification des différences

La place accordée en 2014 au contentieux de la discrimination syndicale par la Cour de cassation témoigne de la nécessité pour les entreprises de continuer à faire preuve d’une particulière vigilance dans ce domaine.


Traiter défavorablement un salarié à raison de son engagement syndical expose en effet à d’importantes sanctions, qu’elles soient de nature civile ou pénale, avec une occurrence de risque d’autant plus forte que l’engagement des procédures a été facilité par une évolution des règles de preuve et de prescription en faveur des salariés victimes de tels agissements.

Une vigilance particulière sur les procédures d’évaluation

La première étape de la preuve d’une discrimination et la seule qui soit à la charge exclusive du demandeur est d’établir des éléments de fait dont il appartient ensuite au juge d’apprécier, en les prenant dans leur ensemble, s’ils laissent supposer l’existence d’une telle discrimination.

Pour s’affranchir d’un exercice comparatif parfois délicat, les demandeurs se contentent parfois de critiquer le dispositif d’évaluation professionnelle mis en œuvre (ou non…) par l’entreprise.

Dans certains cas, c’est l’absence de toute procédure d’évaluation qui permet de matérialiser la discrimination, y compris alors que l’employeur justifiait qu’aucun salarié n’avait bénéficié d’un entretien professionnel (Cass. Soc. 26 novembre 2014, n°13-20855).

Dans d’autres, c’est la mention de l’activité représentative (justificative de l’indisponibilité) qui suffit à corrompre l’évaluation. Dans un arrêt récent de la cour d’appel de Versailles (1er octobre 2014, n°12-05122), il a ainsi été retenu pour constater une discrimination que «l’employeur ne peut soutenir qu’elle ne contient aucune appréciation négative alors qu’il l’a fait figurer dans la rubrique ‘disponibilité’ ce qui n’est pas neutre».

Toute référence même évasive à l’exercice d’un mandat est donc définitivement à proscrire des entretiens d’évaluation… quand bien même il s’agit de salariés exerçant à temps plein des fonctions représentatives du personnel. Dans ce dernier cas cet exercice d’évaluation «professionnelle» peut être organisé par voie d’accord collectif d’entreprise ou de branche.

Groupe de référence et présomption de discrimination

Dans la plupart des cas soumis à l’appréciation des juges, les dossiers sont généralement fondés sur une étude statistique nourrie, dont la base est le choix du groupe de référence.

Un arrêt de la Cour de cassation du 26 novembre 2014 (n°13-20058) permet à cet égard de souligner que le demandeur ne peut se contenter d’une justification trop générale. Dans cette affaire, l’intéressé, se contentait en effet de comparer sa situation au salaire moyen des cadres de même niveau, tel qu’il ressortait du bilan social d’entreprise. La Cour d’appel avait partiellement approuvé cette référence, tout en relevant son insuffisance «en raison de l’hétérogénéité des emplois, des situations et du parcours professionnel de chacun».

La Cour de cassation est plus péremptoire et censure la Cour d’appel au motif que «la seule appartenance à une même catégorie professionnelle n’implique pas une identité de situation».

Mesure du préjudice : Moyenne ou médiane ?

Lorsqu’aucune justification de la différence de traitement est établie, la jurisprudence souligne son attachement au respect d’une «moyenne des rémunérations perçues par les salariés placés dans une situation identique et ayant la même ancienneté».

Cela relève certes de l’appréciation souveraine des juges du fond, mais le choix systématique de la moyenne des rémunérations est des plus discutables, a fortiori si le groupe de référence est réduit, car la présence de quelques cas extrêmes peut tirer fortement la moyenne vers le haut (les salaires minimaux conventionnels réduisent l’enjeu symétrique vers le bas).

Prenons l’exemple simple d’un groupe de 10 salariés initialement placés dans une situation identique et parvenus à des niveaux de rémunération différents, l’un à 1.800 euros (notre plaignant), 8 autres à 2.000 et 1 à 5.000 (un cadre sorti du rang), la moyenne est de 2.280. Remonter l’intéressé à la moyenne revient donc à le placer au-dessus de 80% du groupe de référence dans une zone où il n’y a justement pas de salaires. La médiane (2.000) serait bien plus représentative de la réalité de la rémunération des salariés appartenant à la catégorie en cause.

Quels arguments invoquer en défense ?

Le débat de fond est généralement complexe et, une fois née la présomption, il peut être difficile pour l’employeur de convaincre le juge que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Il est cependant un argument qui revient fréquemment et qui tient au refus par le salarié de suivre les formations et de passer les examens internes requis pour une promotion. Il y a bien évidemment là un élément objectif déterminant en faveur de l’employeur mais il est de facto réservé aux entreprises très structurées.

En tout état de cause ces décisions illustrent l’impérieuse nécessité pour les employeurs dans ce domaine comme dans d’autres (contentieux de l’égalité de traitement, du harcèlement moral, etc.) de justifier par écrit de chacune de leur décision, dans un pays où la culture de l’écrit en entreprise est à l’évidence insuffisamment développée.

 

Auteurs

Pierre Bonneau, avocat associé spécialisé en conseil et contentieux en droit du travail, droit pénal du travail et droit de la protection sociale

Florence Habrial, avocat en droit du travail et droit de la protection sociale.

 

Article paru dans Les Echos Business le 17 décembre 2014
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