Panorama des modes de rapprochements transfrontaliers au sein de l’Union européenne
4 décembre 2014
Les rapprochements transfrontaliers entre entreprises se sont multipliés au cours des dernières années au sein de l’Union européenne.
Les problématiques du législateur européen
Un état des lieux des outils de rapprochements transfrontaliers existants peut dès lors s’avérer utile, compte tenu des avantages et inconvénients inhérents à chacun. Les efforts du législateur européen pour construire un droit européen des sociétés s’articulent autour de deux axes, à savoir d’une part la création de structures «communes» au sein de l’Union européenne telles que le Groupement européen d’intérêt économique (GEIE en 1985), la société coopérative européenne (en 2003), la société européenne (SE en 2004), et d’autre part, l’harmonisation des outils de restructuration telles que les fusions transfrontalières (cf. directive de 2005) et, on l’espère très bientôt, le transfert de sièges sociaux (hors SE) au sein de l’Union européenne.
Les enjeux du droit des sociétés européen
Deux régimes permettent aujourd’hui de réaliser des fusions transfrontalières entre sociétés immatriculées dans l’Espace économique européen et relevant de droits différents, sur la base de règles européennes partiellement harmonisées, sans se heurter aux divergences des droits nationaux de chacune des entités qui fusionnent : d’une part le régime issu du règlement de 2001 sur la SE et d’autre part le régime issu de la directive de 2005 sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux. Ces deux régimes permettent de réaliser une fusion par absorption avec transmission universelle du patrimoine de l’absorbée à l’absorbante.
En revanche -et c’est à regretter- les opérations transfrontalières d’apports partiels d’actifs ne sont pas encore encadrées par un dispositif commun et harmonisé au sein de l’Union ; une réforme rapide du droit communautaire serait opportune.
1. Fusions transfrontalières : dix ans après la directive
L’approche du dixième anniversaire de la directive sur les fusions transfrontalières constitue une occasion de dresser un état des lieux. Le rapport établi par la Commission sur l’application de la directive1 indique que, de 2008 à 2012, le nombre de fusions transfrontalières a augmenté de plus de 170 % et qu’il aurait pu être plus élevé dans un contexte hors-crise et si des Etats membres de l’Union n’avaient pas tardé à transposer la directive.
A – La compatibilité avec les droits nationaux
Une étude comparée des régimes juridiques des Etats membres de l’Union en matière de fusions transfrontalières révèle que si certains aspects de la procédure de fusion, comme le contenu minimal du traité de fusion ou le contrôle de légalité de la fusion, sont soumis à des règles uniformes issues du droit communautaire, d’autres, aux différents stades de l’opération, continuent néanmoins, à être régis par les droits internes nationaux : par exemple, la majorité requise en assemblée générale pour l’approbation de l’opération, les délais et les exigences formelles particulières, telle que l’authentification de documents, ou encore les règles d’évaluation et les règles comptables, restant déterminées par les Etats membres, peuvent être différentes d’un Etat membre à un autre.
Il en résulte parfois des conflits de lois qui rendent l’opération plus complexe ou non compatible avec les délais de réalisation raisonnables.
B – La gestion du volet social
L’un des aspects les plus marquants pour les praticiens français est la question de la «participation des salariés». Celle-ci n’a rien à voir avec la classique participation aux résultats de l’entreprise mais vise la faculté pour l’organe de représentation des salariés, soit d’élire des membres du conseil d’administration ou du conseil de surveillance de la société résultant de la fusion, soit de recommander la désignation de tout ou partie des membres du conseil d’administration ou du conseil de surveillance, soit enfin, de s’opposer à la désignation de ces membres. La mise en place d’une telle participation n’est pas obligatoire si les différentes sociétés qui fusionnent en sont dépourvues avant fusion. Si, en revanche, une des sociétés partie à la fusion (telle par exemple, une société française issue du secteur public avec des administrateurs élus par les salariés ou une société allemande avec un système de cogestion) en est pourvue, il y a lieu de doter la société issue de la fusion d’un système au moins aussi favorable. Pour ce faire, dès lors qu’une des sociétés concernées emploie plus de 500 salariés, il y a lieu de constituer un Groupe Spécial de Négociation (GSN), composé de représentants des salariés de l’ensemble des pays européens, dans lesquels les sociétés parties à la fusion, mais aussi leurs filiales, sont implantées. Ce GSN dispose de six mois, éventuellement renouvelables d’un commun accord des parties, pour fixer les modalités de participation retenues. Outre un délai de négociation particulièrement long, l’élection des membres du GSN impose de déterminer dans chacun des pays concernés, les règles locales selon lesquelles les représentants seront désignés ou élus.
Une simplification ou une clarification voire une harmonisation de ces différents éléments serait utile.
2. Société européenne
Là encore, la construction européenne est au milieu du gué et des améliorations rapides s’imposent. Par exemple, une SE ne peut être constituée que par voie de de fusion de deux sociétés anonymes (SA) relevant du droit d’Etats membres différents alors que la directive de 2005 sur les fusions concerne toutes les sociétés de capitaux ; il serait heureux qu’une SE puisse être constituée par voie de fusion de toutes sociétés de capitaux (et non pas seulement de SA) relevant du droit d’Etats membres différents. Egalement, une SA peut être transformée en SE mais uniquement si elle a depuis deux ans au moins une filiale relevant du droit d’un autre Etat membre : pourquoi un tel délai ? Pourquoi ne pas étendre cette faculté de transformation à toutes sociétés de capitaux ? Autant de questions qui militent en faveur d’une simplification de ce régime afin d’en assurer la promotion et l’essor.
A – Ses atouts
Le cadre légal de la SE comprend des avantages indéniables permettant de bénéficier des atouts du statut de la SE, telle que l’image européenne, une meilleure aptitude à opérer sur un marché géographique particulier, ou la mobilité en vue d’un éventuel transfert de siège social. En effet, le transfert du siège social d’une SE de la France est juridiquement possible vers tous les pays de l’Union -alors qu’un transfert de siège d’une société autre qu’une SE n’est pas en l’état possible vers certains pays (Espagne par exemple) ou depuis certains pays (Royaume-Uni ou Irlande par exemple).
Les statistiques ont montré que le recours au statut de la SE a permis aux sociétés de dimension européenne de mieux se réorganiser et/ou se restructurer.
B – Son statut fiscal
La SE ne bénéficiant pas d’un statut fiscal particulier, les opérations de fusions transfrontalières réalisées selon le régime du règlement de 2001 ou selon celui de la directive de 2005 sont traitées fiscalement de manière identique : le bénéficie de la neutralité fiscale suppose en général que «les modalités de l’opération permettent d’assurer l’imposition future des plus-values mises en sursis d’imposition». Autrement dit, les actifs et passifs d’une entreprise française absorbée par une entreprise étrangère doivent ainsi être rattachés à l’établissement stable français de l’entreprise étrangère. A défaut, la plus-value dégagée à l’occasion de la fusion est immédiatement imposable dans les conditions de droit commun.
Le transfert de siège social d’une SE présente la même neutralité fiscale que la fusion chaque fois que la SE conservera en France un établissement stable qui permettra la continuité de l’imposition en France. Il présente l’avantage de ne pas nécessiter d’agrément fiscal. Par ailleurs, lorsque des actifs ne sont pas repris par l’établissement stable français, les plus-values latentes peuvent au choix de l’entreprise faire l’objet d’une imposition immédiate ou étalée sur 5 ans ; le coût demeure mais la charge est lissée.
C – Ses incidences sociales
Se pose, comme pour les fusions transfrontalières, la question de la participation, avec les mêmes difficultés pratiques liées au GSN ; la SE requiert également que le GSN négocie sur la mise en place d’un organe, qui bénéficiera d’un droit d’information et de consultation supranational. A défaut d’accord, les articles L. 2353-1 et suivants du Code du travail imposent la création d’un Comité de la SE, qui viendra se placer à côté de l’éventuel Comité de Groupe et aura vocation à traiter les questions concernant la SE, mais aussi ses filiales situées dans un autre Etat membre. Ce Comité se substitue à l’obligation d’avoir un comité européen.
Là encore, outre les délais et les difficultés de constitution du GSN, il faut relever la complexité de la désignation des membres du Comité de la SE (élus dans l’ensemble des pays où la SE a des filiales, selon les règles locales) et les imprécisions des textes quant à la limite exacte des attributions de ce Comité.
3. Transfert de siège
L’étude du projet de 14e directive sur les transferts transfrontaliers des sièges sociaux est d’un enjeu majeur car l’aboutissement de cette directive permettrait de mettre en œuvre la libre circulation juridique des sociétés (hors SE) en Europe. Un projet de texte organisant les transferts de sièges sociaux avait été diffusé par la Commission européenne dans les années 1990 et avait reçu un accueil plutôt positif. Mais, à l’issue d’une consultation et d’une étude d’impact, la Commission européenne décida en 2007 de ne pas poursuivre ses réflexions, considérant que la jurisprudence et les textes européens garantissaient suffisamment la mobilité des sociétés. Pourtant, ces avancées, si elles sont bien réelles, restent insuffisantes et réservées aux grandes entreprises.
A – Dans l’attente de la directive sur les transferts de sièges transfrontaliers
La directive sur les transferts de sièges transfrontaliers devra garantir la continuité de la personnalité morale ; en France, les greffes des tribunaux de commerce acceptent d’ores et déjà les transferts de siège de sociétés étrangères situées dans l’Union européenne (Luxembourg, Belgique, etc.) ou hors Union européenne (Suisse, Iles vierges britanniques, etc.) sous réserve de la délivrance notamment d’une attestation ou de tout document certifiant que la législation d’origine autorise le transfert de siège d’une société à l’étranger avec maintien de sa personnalité morale.
B – La question clef du maintien de la personnalité morale
Certains États membres appliquent la théorie de la réalité et considèrent que la société existe sans qu’il soit besoin de recourir à la loi : la personnalité morale continue malgré le transfert. D’autres voient dans la personnalité morale une fiction. Le transfert de siège implique alors la rupture du lien de rattachement avec son ordre juridique d’origine et la personnalité morale ne peut subsister ; ce qui emporte des conséquences considérables sur l’activité de l’entreprise pendant la « transformation » : la propriété des actifs, les financements, les relations avec les tiers sont mises à mal, tout comme les contrats de travail ou les règlements des créanciers.
Le droit européen des sociétés est encore construction et, en dépit d’avancées majeures, le marché est dans l’attente d’outils opérationnels harmonisés au sein de l’Union.
Note
1 Study on the application of the cross-border mergers directive, Bech-Bruun/Lexidale, for the directorate eneral, the internal market and services and the european Union, sept. 2013 ; site Internet de la Commission Européenne/Marché intérieur/Droit des sociétés/Modernisation/ Fusions transfrontalières, oct. 2013.
Auteurs
Alain Herrmann, avocat associé en droit social.
Edouard Milhac, avocat associé en droit de fiscalité internationale.
Benoît Provost, avocat counseil, intervenant principalement sur des opérations de consolidation et restructuration pour le compte de sociétés cotées et non cotées.
Article paru dans Les Echos Business le 3 décembre 2014
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