Une société constituée dans un Etat tiers ne peut pas se prévaloir de la liberté d’établissement même si elle a son siège de direction effective dans l’UE
La décision Kronos rendue par la CJUE le 11 septembre 2014 permet de délimiter précisément le champ d’application de la liberté d’établissement protégée par l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Une société, constituée selon la législation de l’Etat du Delaware (siège statutaire), avait «sa direction» (selon les termes de l’arrêt) en Allemagne où elle disposait d’une succursale et était inscrite au registre du commerce. Elle détenait des participations dans diverses sociétés établies dans l’Union européenne. La société avait perçu des dividendes de ses filiales européennes qui avaient été exonérés en application des conventions fiscales, ce qui avait rendu impossible l’imputation sur ces dividendes de déficits en report chez la holding, alors que cette imputation était possible en application du droit allemand toutes les fois que les dividendes étaient de source allemande (en vertu d’un mécanisme d’inclusion des dividendes dans l’assiette imposable moyennant octroi d’un crédit d’impôt remboursable). Elle estimait donc que le traitement défavorable des dividendes de source étrangère qu’elle avait perçus portait atteinte tant à la liberté d’établissement qu’à la liberté de circulation des capitaux.
Il ressort de la décision que la société ne pouvait pas se prévaloir de la liberté d’établissement. En effet, les règles du traité en matière de liberté d’établissement ne s’appliquent qu’à un ressortissant d’un Etat membre de l’Union. Or, ne sont considérées comme «ressortissantes» d’un Etat membre que les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un Etat membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union. Il en découle qu’une société qui n’est pas constituée conformément à la législation d’un Etat membre ne peut pas bénéficier de la liberté d’établissement, même si un Etat membre considère qu’elle a sa résidence fiscale sur son territoire (ce qui était le cas en l’espèce, les conclusions de l’Avocat général rappelant à plusieurs reprises que la société était considérée comme «résidente» en Allemagne).
Certes, une société d’un Etat tiers qui aurait par exemple son siège de direction effective en Europe ne perd pas la possibilité de revendiquer à son profit la liberté de circulation des capitaux lorsqu’elle est soumise à une règle fiscale qu’elle estime discriminatoire à son encontre. Encore faut-il que la liberté de circulation des capitaux soit applicable, ce qui n’est pas le cas lorsque la règle fiscale litigieuse ne s’applique qu’à des participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et de déterminer les activités de celle-ci (car dans ce cas c’est la liberté d’établissement qui prime).
Auteur
Daniel Gutmann, avocat associé responsable de la doctrine fiscale.
L’actualité fiscale en bref parue dans le magazine Option Finance le 20 octobre 2014