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Plan de cession et poursuite par le cessionnaire de l’entreprise de la relation commerciale établie par le cédant avec un client

La question de la succession de l’acquéreur d’une entreprise dans une relation commerciale établie entre son cédant et un partenaire de celui-ci est posée devant les tribunaux depuis plusieurs années.


Elle a, à ce jour, fait l’objet de quelques décisions y répondant en étendant le domaine d’application de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

A peine se réjouissait-on de l’espoir d’un coup de frein mis à cette extension (voir notre Lettre des réseaux de distribution de juin 2014 sur CA Paris, 13 février 2014), que la Chambre commerciale de la Cour de cassation validait une décision de la même cour d’appel de Paris rendue dans un sens bien différent dans le cadre d’une cession d’entreprise en redressement judiciaire (Cass. com, 20 mai 2014, n° 12-20313).

Dans cette espèce, la société Matifas avait conclu, en exécution d’une convention du 7 mars 2000, différents contrats de sous-traitance avec la société Vilgo appartenant au même groupe. La société Matifas a été placée en redressement judiciaire le 2 mars 2007. Conformément au plan de cession arrêté par le tribunal le 29 juin 2007, la société Medilindustry a acquis l’entreprise de la société Matifas. Les contrats conclus entre Matifas et Vilgo n’étaient pas inclus dans le périmètre de la cession ordonnée par le tribunal. Toutefois, Vilgo, donneur d’ordres de Matifas a, après la cession, passé des commandes à Medilindustry, cessionnaire de l’entreprise, pendant un peu plus de huit mois. Par lettre du 16 novembre 2007, Vilgo a informé ledit cessionnaire de son intention de mettre fin à leurs relations. Ce dernier l’a alors assigné en rupture brutale des relations commerciales sur le fondement de l’article L.442-6 I 5° : selon lui, la fixation de la durée du préavis de rupture devait tenir compte, en sus de la durée de sa propre relation avec le donneur d’ordre, de l’ancienneté de la relation entretenue par ce dernier avec Matifas.

La cour d’appel considère que Vilgo avait rompu brutalement la relation commerciale établie entre les parties sans préavis écrit suffisant eu égard à la durée de la relation commerciale, soit sept années ; elle a donc joint la durée de la relation entre Vilgo et Matifas à celle du cessionnaire avec Vilgo pour fixer la durée du préavis en l’espèce à 1 an.

La Cour de cassation rejette le pourvoi de Vilgo contre cet arrêt.

L’arrêt de rejet se situe dans la ligne des décisions déjà rendues par la Cour de cassation sur cette question. Il faut toutefois relever que dans les cas précédemment tranchés par cette Cour, c’est le cessionnaire qui était à l’origine de la rupture. Cette jurisprudence profitait alors au fournisseur du repreneur. Dans le présent arrêt, les juges appliquent cette même solution extensive dans l’hypothèse où c’est le cessionnaire qui est victime de la rupture. Les solutions sont donc maintenant symétriques.

Toutefois, le fondement donné par la Cour de cassation à cette décision laisse insatisfait. Se retranchant derrière les constatations et appréciations souveraines opérées par la cour d’appel, la Cour relève, pour estimer que cette dernière avait légalement justifié sa décision de considérer que les relations commerciales initialement entretenues au titre des relations intragroupes s’étaient poursuivies avec le cessionnaire, que :

  • si les contrats existants n’avaient pas été repris par Medilindustry, néanmoins les relations commerciales s’étaient poursuivies avec la société Vilgo «après la cession de la société [sic] Matifas» ;
  • le plan de cession incluait dans son périmètre la clientèle de la société Matifas et la société Vilgo «faisait partie de [cette] clientèle» ;
  • la société Vilgo, en passant, après la cession, différentes commandes, avait ainsi laissé croire à Medilindustry que les relations commerciales existant avec la société Matifas se poursuivraient comme auparavant.

Plusieurs observations méritent d’être formulées sur cette motivation.

D’une part, s’il est exact que les relations contractuelles sont distinctes des relations commerciales, encore aurait-il fallu justifier que la relation commerciale nouvelle s’inscrivait dans la continuité de la relation passée. En l’espèce, rien n’est dit pour justifier que la relation entretenue entre le cédant et la société Vilgo devait s’ajouter à la relation de cette dernière avec le cessionnaire comme formant un tout. La volonté de la société Medilindustry de ne pas reprendre les contrats antérieurs semblait devoir, au contraire, exclure une telle analyse.

D’autre part, il est très étonnant de lire que la société Vilgo appartient à la clientèle du cessionnaire. Une telle confusion entre les clients et la clientèle est plus que critiquable dans la mesure où, comme un auteur l’a excellemment exprimé, «la clientèle, ce n’est pas les clients, mais le pouvoir attractif exercé sur les clients» (Frédéric Zenati, RTD civ. 1994. 639).

Enfin, on ne voit pas en quoi les commandes passées par la société Vilgo ont pu laisser croire au cessionnaire que la même relation commerciale se poursuivrait comme auparavant, dès lors que ce dernier avait exclu du périmètre de la reprise le contrat qui informait antérieurement les relations avec la société Matifas. L’argument du cessionnaire paraît relever du pur opportunisme.

A la différence de la Cour de cassation, on se demande comment de tels motifs pouvaient justifier la décision frappée de pourvoi. Une telle justification ne pourrait être trouvée que si l’on considérait que c’est l’entreprise elle-même qui constitue une personne juridique à laquelle la protection est accordée (et non ses exploitants successifs), ou alternativement, si la relation commerciale établie était considérée comme un élément réel, un bien en soi, faisant partie du fonds de commerce transmis. Il y aurait là un bouleversement profond des concepts juridiques.

En tout état de cause, la Cour de cassation semble décidément favorable aux décisions des juges du fond admettant qu’un cessionnaire d’un fonds de commerce ou d’une entreprise peut être considéré comme reprenant à sa charge ou à son profit, la durée d’une relation commerciale établie par son cédant avec un partenaire. L’évolution de sa jurisprudence sur ce point devra donc être suivie avec attention.

 

Auteurs

Alexandre Bastos, avocat, spécialisé en droit de l’entreprise en difficulté.

Daniel Carton, avocat, spécialisé en droit de l’entreprise en difficulté

 

Brève extraite de la Lettre des réseaux de distribution de Septembre 2014

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