Fusion de la société créancière : lorsque l’histoire se finit mal pour la banque caution
Les opérations entraînant transfert universel de patrimoine, principalement les fusions-absorptions, emportent des conséquences majeures sur les cautionnements qui ont pu être conclus antérieurement. Cela tient au caractère intuitu personae du cautionnement. En effet, le garant s’est engagé en faveur d’une société spécifique et à l’égard d’une société créancière précise. Si l’une ou l’autre vient à être absorbée, il est logique de considérer, a priori, que l’engagement de caution prend fin à la date où la fusion-absorption est juridiquement opposable aux tiers. Plus exactement, il est logique de considérer que la caution ne sera pas tenue de garantir les dettes nées postérieurement à cette date.
La Cour de cassation vient de rappeler la solution dans un contexte original où l’application de ce principe joue au détriment de la caution, qui se trouve être une banque (arrêt du 16 septembre 2014).
Au cas particulier, la banque s’était engagée à cautionner les dettes d’une société au bénéfice d’une autre société. En garantie de cette garantie, la banque avait logiquement pris soin de demander à la société cliente de nantir un compte à terme à hauteur du montant de l’engagement de caution qu’elle avait elle-même consenti. Quelques temps après, la société créancière, bénéficiaire de l’engagement de caution, fut absorbée. Enfin, trois ans étant passés depuis la fusion, une liquidation judiciaire est ouverte contre la société débitrice.
La banque caution accepte de payer la société absorbante et, dans le même temps, réalise le nantissement dont elle bénéficiait. En pratique, la banque a libéré le montant du compte à terme au bénéfice de la société créancière. Erreur qui va s’avérer fort regrettable pour elle. De fait, le liquidateur conteste la réalisation du nantissement, estimant qu’il n’avait pas été convenu que celui-ci soit affecté à la garantie des sommes dues à la société absorbante ; il demande en conséquence restitution des sommes à la banque et obtient gain de cause devant la cour d’appel.
Dans son pourvoi, la banque a tenté, mais en vain, de développer deux arguments.
Le premier, largement voué à l’échec, voulait faire dire à la Cour de cassation que l’absorption de la société créancière laisse intact le cautionnement antérieurement consenti, de telle sorte que la réalisation du nantissement aurait été justifiée. Sans doute, la banque cherchait-elle à s’inscrire dans le sillage d’un autre arrêt rendu en janvier dernier par lequel la Haute juridiction avait considéré que, en cas de fusion affectant alors la caution, la société caution absorbante demeure tenue des dettes nées postérieurement à la fusion. Mais outre que cet arrêt reste très délicat à interpréter, ne serait-ce que parce qu’il concerne un sous-cautionnement, la situation était ici différente. C’est la société créancière qui a été absorbée. Sans grande surprise, l’affirmation du pourvoi est contredite par le rappel de ce que la fusion-absorption de la société créancière, entraînant sa disparition, avait eu pour conséquence de limiter l’engagement de caution de la banque aux sommes dues par la société débitrice à la date de cette fusion-absorption. La solution est constante et parfaitement justifiée.
Plus subtilement, le pourvoi cherchait à exploiter le fait que ce principe peut naturellement être écarté lorsque la caution accepte de maintenir son engagement au bénéfice de la société absorbante. Or, tel avait bien été le cas, selon la banque. Elle faisait valoir que sa cliente avait nécessairement agréé cette décision à la fois parce qu’elle avait continué à payer la commission de cautionnement après la fusion et parce que le liquidateur, représentant la société, avait gardé le silence lorsque la banque l’avait informé de son intention d’exécuter l’engagement de caution et, par voie de conséquence, de réaliser le nantissement.
Le raisonnement n’est pas accepté par la Cour de cassation. Selon elle, la seule constatation que la banque ait accepté de cautionner les dettes nées postérieurement à la fusion ne pouvait avoir pour effet de transférer le nantissement à la garantie de ces nouvelles dettes. Pour cela, il aurait fallu obtenir l’accord de la société ou du liquidateur ; accord qui ne pouvait s’inférer du paiement de la commission de cautionnement, ni du silence du liquidateur. La banque devra donc restituer les sommes inscrites dans le compte à terme.
L’enseignement de l’arrêt est alors clair pour les banques cautions. Elles ne doivent pas se départir de leur prudence naturelle au seul motif que leur engagement de caution est contre-garanti par une garantie réelle consentie par le client. Si leur engagement de caution vient à être mis en cause par une société ayant absorbé le créancier initial, elles doivent refuser de payer les dettes nées postérieurement à la fusion. Ou alors accepter de payer mais en obtenant l’accord non équivoque du client pour transférer en conséquence la contre-garantie.
Auteur
Arnaud Reygrobellet, of Counsel, Doctrine juridique et Professeur à l’université Paris X.
Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 13 octobre 2014