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Discipline et licenciement : communication et procédure font mauvais ménage

Discipline et licenciement : communication et procédure font mauvais ménage

En matière de droit disciplinaire, certaines erreurs de procédure ne pardonnent pas. C’est d’autant plus sévère et douloureux pour l’employeur que ce type de défense profite souvent à des salariés dont le comportement fautif est pourtant incontesté.

Ainsi, le non-respect de certaines procédures conventionnelles considérées comme des «garanties de fond» conduit à considérer le licenciement comme abusif. Mais ces questions sont normalement traitées par les spécialistes (DRH, juristes, avocats) en charge des procédures formelles lors de l’engagement d’une procédure disciplinaire.

La situation est plus délicate du côté des managers, compte tenu de l’exploitation procédurière qui est faite de certains échanges informels qu’ils peuvent avoir, au quotidien, avec leurs collaborateurs et donc en dehors de tout contexte de sanction ou de licenciement.

Managers : danger des nouveaux outils de communication

Si l’envoi de courriels, SMS et autres messages téléphoniques est pratique et rapide, il n’est pas sans risque.

Ces messages valent en effet preuve, aussi bien qu’un écrit formel. Qui plus est, leur formulation brève et souvent «à chaud» se prête particulièrement à des maladresses rédactionnelles ou à des interprétations biaisées.

Or, il existe en matière disciplinaire une règle, dite «Non bis in idem» qui veut que la même faute ne puisse faire l’objet d’une double sanction. Le pouvoir de l’employeur s’épuise ainsi dans la première sanction.

Si l’employeur s’engage ultérieurement dans une procédure disciplinaire ou de licenciement, le salarié tentera de soutenir que la communication informelle qu’il a reçue de son manager traduisait une décision déjà prise ou valait déjà avertissement et que le licenciement qui y fait suite est dès lors, sans cause réelle et sérieuse.

Pas d’annonce hors procédure

La vigilance s’impose donc, notamment pour certains messages informels dont la portée n’est pas toujours mesurée sans qu’aucune procédure disciplinaire n’ait encore été engagée.

Dans un arrêt du 6 février 2013, c’est un message laissé sur le répondeur téléphonique du salarié qui a ainsi permis de prouver que la décision de licenciement était déjà prise et de condamner l’employeur. Dans un mouvement d’emportement, celui-ci avait ainsi annoncé au salarié qu’il était «viré». Or, si la décision est déjà annoncée, avant toute notification, les conséquences peuvent être lourdes pour l’employeur. Comme la sanction est déjà tombée, l’employeur ne peut plus se rattraper en prononçant un licenciement bien motivé au terme d’une procédure régulière ; pour les tribunaux, il s’agirait en effet d’une nouvelle sanction de la même faute, ce qui n’est pas possible; rupture sur rupture ne vaut. Et ce licenciement verbal sera automatiquement privé de cause réelle et sérieuse si les motifs n’ont pas été communiqués au salarié.

Le courriel d’observations requalifié en avertissement

Par ailleurs, des observations, voire une simple demande d’explications, peuvent être requalifiés en un avertissement à caractère disciplinaire. La jurisprudence varie sur ce point en fonction de la lecture, par les juridictions du fond, des données de fait et de l’intention réelle de l’employeur : une lettre de l’employeur contenant différents reproches ou qui se bornait à demander à la salariée de se ressaisir et contenait des propositions à cette fin ne constitue pas une sanction disciplinaire (Cass. Soc. 4 juin 1979 et 13 décembre 2011). En revanche, un message électronique, dans lequel l’employeur adresse divers reproches à un salarié et l’invite à un changement radical ou même une «mise au point» pour méconnaissance des produits de la société et non atteinte des objectifs, ont été analysés comme constituant un avertissement (Cass. Soc. 6 mars 2007 et 26 mai 2010). Le manager en déduira qu’il vaut mieux pour lui, tant que le choix de la procédure formelle n’est pas fait, s’en tenir aux faits et ne pas employer, pour le moins, de termes tels que «faute» ou «dossier».

Un autre arrêt du 30 janvier 2013 concluant à l’existence d’une sanction disciplinaire, a fait couler beaucoup d’encre : l’employeur avait en effet juste demandé des explications au salarié, mais dans le cadre d’une procédure interne conservée au dossier de l’intéressé.

La frontière est donc pour le moins floue, comme en atteste un récent arrêt du 9 avril 2014 qui incite à la plus grande prudence, car la Cour de cassation a considéré qu’un licenciement était sans cause réelle et sérieuse, alors même que les faits et leur gravité étaient incontestés, pour le seul motif que l’intéressé avait au préalable reçu un courriel de rappel à l’ordre sur le même sujet :
«Après avoir relevé que dans son courriel du 2 octobre 2009, l’employeur reprochait à la salariée des manquements aux règles et procédures internes à la banque relatives à la sécurité des paiements par carte bleue, et l’invitait de manière impérative à se conformer à ces règles et ne pas poursuivre ce genre de pratique, la Cour d’appel a justement décidé que ce courriel sanctionnait un comportement fautif et constituait un avertissement, en sorte que les mêmes faits ne pouvaient plus justifier le licenciement».

Tout reproche ou observation semble ainsi désormais pouvoir être qualifié d’avertissement !

Il semble en conséquence opportun de s’abstenir de communication informelle et de s’inscrire, sans ambigüité, en cas de manquement, dans une procédure de sanction disciplinaire. Pas de surprise alors pour l’employeur, si ce n’est éventuellement une action judiciaire du salarié en contestation de ladite sanction (rare en pratique).

Cela étant, même si un mail ou un courrier est analysé comme une sanction, il reste possible de revenir sur les faits en cause, dès lors qu’il y a des éléments additionnels qui aggravent le dossier ou traduisent une récidive. Etant rappelé cependant que le pouvoir disciplinaire est épuisé pour des faits antérieurs, même non invoqués, s’ils étaient déjà connus à la date de la première sanction. Seuls des faits nouveaux, ou nouvellement connus, permettent en effet une nouvelle sanction.

 

Auteur

Marie-Pierrre Schramm, avocat associée, spécialisée en conseil et en contentieux dans le domaine du droit social.

 

Article paru dans Les Echos Business le 8 septembre 2014

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