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Le gérant de succursale : un commerçant indépendant assimilé à un salarié

Au sein des réseaux de distribution se développe un contentieux à l’initiative des franchisés, locataires-gérants et autres affiliés qui demandent à se voir reconnaître a posteriori le statut de gérant de succursales prévu par les articles L7321-1 et suivants du Code du travail.

Il existe dans le Code du travail une «catégorie particulière de travailleurs» désignés comme «gérants de succursales» à qui il est reconnu le bénéfice de certaines dispositions de ce Code. Ils y sont définis à l’article L7321-2. Cet article envisage, outre la situation de la personne chargée par le chef d’entreprise de se mettre à la disposition des clients pour recevoir d’eux des dépôts divers, celle dont la profession est notamment de «vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise».

S’ajoutent aux dispositions du Code du travail, l’article L311-3 26° du Code de la sécurité sociale qui prévoit une obligation d’affiliation aux assurances sociales du régime général des gérants visés à l’article L7321-2 précité du Code du travail.

Ces dispositions servent de fondement à des actions menées par les distributeurs, après la rupture des relations contractuelles avec le fournisseur, pour obtenir la condamnation de ces derniers à leur verser des sommes substantielles résultant d’une application a posteriori des dispositions propres aux salariés.

Les dernières décisions rendues par la Cour de cassation illustrent les nombreuses questions que les juges doivent trancher dans le cadre de ces contentieux.

Dépendance économique n’est pas subordination juridique

La Cour de cassation l’a rappelé[1]. Le distributeur qui parvient à démontrer qu’il remplit les conditions prévues par l’article L7321-2 du Code du travail, ne peut pas prétendre, de ce seul fait, à la reconnaissance d’un contrat de travail.

Les conditions fixées par l’article L7321-2 du Code du travail caractérisent un état de dépendance économique. La reconnaissance d’un contrat de travail suppose que soit démontrée l’existence d’un lien de subordination. La Cour de cassation considère que l’existence d’un lien de subordination ne peut se déduire de la réunion des conditions fixées par l’article L7321-2 du Code du travail.

Le gérant de succursale n’est donc pas un salarié mais un commerçant indépendant qui bénéficie de certaines dispositions applicables à des salariés.

Une des principales difficultés de ce contentieux est précisément la détermination des dispositions applicables aux gérants de succursales.

Des dispositions peu lisibles

Le titre consacré aux gérants de succursales commence par préciser que les dispositions du Code du travail sont applicables aux gérants de succursales, «dans la mesure de ce qui est prévu au présent titre». Or, la lecture des articles L7321-3 et suivants, loin de nous renseigner, ne fait que susciter des interrogations sur les dispositions applicables à ces gérants de succursales.

L’article L7321-2 précise en effet que sont applicables aux gérants de succursales une liste de dispositions mais uniquement «dans la mesure où elles s’appliquent aux chefs d’établissement, directeurs ou gérants salariés». Or, il n’existe aucune disposition du Code du travail précisant qu’elle s’applique, ou ne s’applique pas, à ces 3 catégories de travailleurs qui ne font l’objet, au surplus, d’aucune définition légale incontestablement applicable.

Pour preuve des incertitudes suscitées par ces dispositions, les 4 questions prioritaires de constitutionnalité portant sur leur conformité aux objectifs à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, non transmises cependant par la Cour de cassation au Conseil Constitutionnel[2].

De nombreux pourvois ont en outre été formés pour tenter de faire juger que les dispositions relatives aux gérants de succursales portaient atteinte aux principes de sécurité juridique et de prévisibilité de la loi, mais sans succès jusqu’à présent.

L’imprécision de ces textes ne permet donc pas d’en écarter l’application.

Quand le distributeur est une personne morale

L’activité de distribution est, dans la plupart des cas, confiée à une société et non à une personne physique. Cette circonstance ne fait pas échec à l’application de ces dispositions au bénéfice du gérant personne physique dès lors qu’il est en mesure de démontrer que «même si [l’entreprise fournissant les marchandises distribuée] avait contracté avec une personne morale, c’est la personne physique de celui qui la gérait qui était prépondérante dans l’exécution de l’activité confiée»[3].

Cette démonstration ne sera pas sans risque pour le gérant qui pourra certes revendiquer le bénéfice de certaines dispositions du Code du travail mais pourrait être tenu des dettes de sa société à l’égard du fournisseur. La Cour de cassation a en effet censuré les juges du fonds qui n’avait pas répondu à l’argument d’un fournisseur selon lequel «si le statut de gérant de succursale lui était reconnu, M. X serait personnellement redevable des sommes non restituées par la société X…»[4] et ce, même si le gérant avait été préalablement définitivement «déchargé de l’intégralité de son engagement de caution de la société …».

Les créances salariales

Les gérants de succursale, reconnus comme tel a posteriori, sollicitent, dans la plupart des cas, le salaire minimum dont ils estiment avoir été injustement privés.

De longue date, la Cour de cassation a reconnu aux gérants de succursales, le droit de prétendre au SMIC[5], puis celui de se prévaloir de la convention collective de branche applicable à leur fournisseur[6].

La Haute juridiction leur refuse néanmoins le bénéfice du salaire minimum conventionnel depuis un arrêt du 15 janvier 2014[7], aux termes duquel elle a jugé «que si le mandataire gérant remplissant les conditions prévues par ce texte peut se prévaloir de la convention collective applicable à la relation de travail, il ne peut, en l’absence de lien de subordination, être assimilé à un cadre salarié et ne peut en conséquence prétendre à la qualification conventionnelle correspondante».

Ce refus de la Cour de cassation d’assimiler un gérant de succursale à un cadre salarié devrait l’amener à remettre en cause la position qu’elle avait adoptée[8] et aux termes de laquelle elle avait admis qu’un gérant de succursale puisse prétendre à la même rémunération qu’un cadre salarié du fournisseur exerçant les mêmes fonctions.

Les heures supplémentaires

Les demandes formulées par les distributeurs au titre des heures supplémentaires représentent souvent l’essentiel des montants sollicités.

Sur ce point, il est à noter que la Cour de cassation invite les juges du fond à procéder à une application rigoureuse de l’article L7321-3 du Code du travail qui prévoit que le chef d’entreprise qui fournit les marchandises n’est responsable de l’application aux gérants de succursales des dispositions relatives à la durée du travail que s’il a fixé les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l’établissement ou si celles-ci ont été soumises à son accord.

Deux arrêts de cassation ont été rendus au motif que les juges du fond avaient alloué aux gérants le paiement d’heures supplémentaires sans avoir préalablement recherché si le fournisseur avait fixé les conditions de travail de santé et de sécurité au sein de l’établissement ou si celles-ci avaient été soumises à son accord[9].

Plus récemment, la Cour de cassation a admis, a contrario, que le fournisseur pouvait s’exonérer du paiement d’heures supplémentaires s’il était établi que le gérant avait la possibilité effective d’embaucher son propre personnel et que sa présence n’était pas nécessaire pendant l’intégralité de la période d’ouverture du magasin[10].

La cessation de la relation contractuelle

Il est désormais établi que les règles gouvernant la rupture du contrat de travail sont applicables à la rupture de la relation de travail entre un gérant de succursale et l’entreprise qui lui fournit les marchandises distribuées.

On le sait, pour être justifié, un licenciement doit reposer sur une cause réelle et sérieuse expressément mentionnée dans une lettre de licenciement qui fixe les limites du litige. A défaut de cause réelle et sérieuse, et de lettre exposant cette cause réelle et sérieuse, le licenciement est injustifié.

Pour cette raison, le fournisseur qui prend l’initiative de mettre un terme à la relation contractuelle, doit mentionner dans la lettre aux termes de laquelle il notifie la cessation des relations contractuelles au gérant de succursale, les raisons objectives et matériellement vérifiables à l’origine de cette décision.

A l’occasion des différentes espèces qui lui ont été soumises en 2013 et 2014, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que pouvait justifier la rupture de la relation contractuelle :

  • le fait, pour un gérant de succursale, de ne pas effectuer d’inventaire même si ce comportement n’était pas volontaire[11] ;
  • l’absence prolongée pour cause de maladie d’un gérant portant atteinte au bon fonctionnement de l’entreprise et justifiant son remplacement définitif.[12]

Plus délicates sont les hypothèses où le contrat de distribution prend fin par l’effet de la survenance de son terme.

La Cour de cassation juge en effet que les clauses du contrat liant le fournisseur à la société chargée de la distribution des produits ne peuvent être opposées au gérant[13]. Le distributeur ne peut donc pas se prévaloir de la survenance du terme prévu par ledit contrat pour justifier la cessation de la relation de travail. Pour justifier cette position, la Cour de cassation a encore ajouté, faisant ici une application classique des règles applicables en matière de contrat de travail, qu’à défaut de contrat écrit entre le gérant personne physique et le fournisseur, la relation contractuelle était présumée à durée indéterminée[14].

La Cour de cassation précise qu’en toute hypothèse, y compris donc lorsqu’il n’est pas possible de déterminer qui a pris l’initiative de la rupture de la relation de travail[15], il appartient aux juges du fond de déterminer à qui la rupture du contrat est imputable.

Une application rigoureuse des principes qui semblent se dégager de sa jurisprudence devrait amener la Cour de cassation à ne prendre en considération, pour apprécier l’imputabilité de la rupture de la relation de travail, que les seuls faits relatifs à la relation entre le gérant personne physique et le fournisseur, sans s’attacher aux conséquences pour le distributeur personne morale des conditions dans lesquelles s’est déroulée la relation de travail.

Notes

[1] Cass. Soc. 19 juin 2013, n°12-17913
[2] Cass. Soc. 28 septembre 2010, n°10-40027 et 10-40028, 11 octobre 2010 n°10-40031, 30 novembre 2010 n°10-14175
[3] Cass. Soc. 12 février 2014, n°12-28.160 et 12-28.376
[4] Cass. Soc. 23 octobre 2013, n°11-10.848
[5] Cass. Soc. 25 février 1998, n°95-44.096
[6] Cass. Soc. 25 mars 2009, n°07-41.242
[7] Cass. Soc. 15 janvier 2014, n°11-11.223
[8] Cass. Soc. 19 juin 2013, n°12-13.916
[9] Cass. Soc. 19 juin 2013, n°12-13.011 et Cass. Soc. 10 juillet 2013, n°12-14.552
[10] Cass. Soc. 12 juin 2014, n°13-15.066
[11] Cass. Soc. 12 juin 2014, 13-15.066
[12] Cass. Soc. 20 février 2013, n°11-30.388
[13] Cass. Soc. 5 décembre 2012, n°11-22.168 et 11-22.365
[14] Cass. Soc. 12 février 2014, n°12-27.089
[15] Cass. Soc. 3 juillet 2013, n°12-19.473 et 12-20.619

 

Auteur

Marie Content, avocat en droit social.

 

Article paru dans Les Echos Business le 17 juillet 2014

 

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