Le transfert des contrats de travail continue de nourrir la jurisprudence
15 mai 2023
L’article L.1224-1 du Code du travail organise, en cas de modification de la situation juridique de l’employeur, le transfert automatique au nouvel employeur des contrats de travail en cours à la date de la modification.
Cette disposition, issue de la Directive européenne 2001/23/CE du 12 mars 2001, est d’ordre public et s’impose tant aux salariés qu’aux employeurs successifs. Elle s’applique à tous les contrats qui existent au jour de la modification.
L’article L.1224-1 du Code du travail ne vise expressément que les cas de succession, vente, fusion, transformation du fonds et mise en société de l’entreprise.
Toutefois l’énumération légale est précédée de l’adverbe «notamment» et la jurisprudence a étendu le champ d’application de ce texte à d’autres situations : mise en location-gérance, sous-traitance, concessions, marchés de prestations de services, etc.
L’application de l’article L.1224-1 du Code du travail suppose la réunion de trois conditions :
-
- l’existence d’une entité économique autonome,
-
- le transfert de cette entité,
-
- et le maintien de l’identité de l’entité transférée chez le nouvel exploitant.
Dès lors que ces conditions sont remplies, le transfert des contrats de travail est automatique.
Lorsque ces conditions ne sont pas réunies, il est tout de même possible d’organiser conventionnellement le transfert des contrats de travail à un nouvel employeur.
Précisions sur la notion d’entité économique autonome pour l’application de l’article L.1224-1
La première étape consiste donc à déterminer s’il existe ou non une entité économique autonome.
Selon une jurisprudence constante, constitue une entité économique un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre.
La notion d’entité économique autonome n’est pas toujours facile à appréhender. La jurisprudence a eu récemment l’occasion d’apporter des éclaircissements bienvenus sur ce point.
Dans un arrêt du 28 octobre 2022 (n°454355), le Conseil d’Etat a précisé qu’une entité économique autonome peut émaner de plusieurs parties d’entreprises distinctes d’un même groupe. Cette question était jusque-là largement débattue en doctrine.
Cette décision est en phase avec la tendance croissante des groupes à opter pour des organisations matricielles, faisant parfois abstraction des structures juridiques.
Le Conseil d’Etat a également rappelé le même jour, que le fait que le contrat de travail du salarié soit suspendu ne fait pas obstacle à son transfert au titre de l’article L.1224-1 du Code du Travail.
La Cour de cassation a eu pour sa part l’occasion de préciser que l’externalisation de l’activité commerciale n’entraine pas nécessairement un transfert d’entreprise (Cass. soc., 1er février 2023, n° 21-19.513).
Au cas particulier, cette externalisation se limitait au démembrement d’un service de sept personnes, la nouvelle filiale se trouvant dans un lien de dépendance certain à l’égard de la société mère. En absence de transfert d’une entité économique autonome, les juges ont considéré que les contrats de travail des salariés n’avaient pas été automatiquement transférés à la filiale.
Formalisme à respecter en cas de transfert conventionnel des contrats de travail
Lorsque les conditions d’application de l’article L.1224-1 ne sont pas remplies, le transfert des contrats de travail est cependant possible.
Il est alors nécessaire d’organiser le transfert des contrats de travail par le biais de conventions tripartites signées entre le salarié et les deux employeurs successifs. A ce titre, la Cour de cassation s’est prononcée sur le formalisme de cette convention.
Pour la Haute Juridiction, la seule rencontre des consentements ne suffit pas à caractériser l’existence de cette convention tripartite : celle-ci doit être formalisée par un écrit (Cass. soc., 26 octobre 2022, n° 21-10.495).
L’interprétation du fameux article L.1224-1 (ex-L.122-12) n’est donc pas finie.
Cette série de décisions récente ne peut qu’être saluée car elle permet de préciser encore plus le régime du transfert automatique du contrat de travail des salariés en cas de cession d’actifs (assets deal).
Aurélie Parchet, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats
Article publié dans La lettre des FUSIONS-ACQUISITIONS ET DU PRIVATE EQUITY Supplément du numéro 1699 du 17 avril 2023 – Dossier « La durée des engagements »
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