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Plus-values en report d’imposition et moins-values : je t’aime, moi non plus !

Plus-values en report d’imposition et moins-values : je t’aime, moi non plus !

Alors que l’article 150-0 D al 11 du code général des impôts pose pour principe que « les moins-values subies au cours d’une année sont imputées exclusivement sur les plus-values de même nature », quoi de plus légitime que de déduire d’une plus-value dont le report d’imposition prend fin, une moins-value constatée par la même occasion ?

 

Illustration : au cours de l’année N, M. X apporte pour une valeur de 1.000.000 € à la SAS unipersonnelle B au capital de 30.000 €, qu’il vient de constituer, des actions de la SAS A précédemment acquises par ses soins pour 10.000 €.

M. X obtient donc, en contrepartie des actions A, des titres B dont le prix de revient s’élève à 1.000.000 € et il réalise ce faisant une plus-value d’apport de 990.000 €, qui bénéficie automatiquement du report d’imposition de l’article 150-0 B ter du CGI.

Quelques années de mauvaises affaires plus tard, la société A est mise en liquidation judiciaire, de sorte que les titres B ne valent plus eux-mêmes que 20.000 € (à savoir le reliquat de l’apport constitutif ). Dans cette situation, que va-t-il advenir de la plus-value de 990.000 € en report d’imposition ?

1. De prime abord, M. X pourrait être enclin à liquider purement et simplement la SASU B, dont il n’avait usage que pour détenir la participation dans la société A. L’annulation des titres B qui en résulterait aurait pour conséquence :

– d’une part, de mettre fin au report d’imposition, de sorte que la plus-value de 990.000 € deviendrait immédiatement imposable et,
– d’autre part, de dégager une perte sur les titres B de 1.020.000 €.

M. X apprendrait alors, à ses dépens, que les pertes d’annulation de titres résultant d’une liquidation amiable ne sont pas déductibles, à la différence de celles causées par une procédure judiciaire (cf. article 150-D 12).

Alors qu’il subit une perte économique réelle de 20.000 € (le prix d’acquisition des actions A et une fraction des fonds constitutifs(1) de la holding B), M. X devrait souffrir une charge d’impôts de plus de 300.000 € sur une chimérique « plus-value de papier » de 990.000 € !

Ce que l’administration confirme sans sourciller par un rescrit récemment publié : « L’annulation des titres de la société holding reçus en rémunération de l’apport (dissolution amiable), pour quelque motif que ce soit, met fin au report d’imposition. Par suite, en cas d’annulation de ces titres à la suite d’une dissolution amiable de la société holding, la perte constatée ne peut s’imputer sur la plus-value dont le report expire lors de la survenance de cet événement » (BOI-RES-RPPM-000114).

Face à pareille iniquité, un contribuable avait cru déceler dans les dispositions fiscales en cause une violation du principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant les charges publiques, en ce qu’elles réservent la déductibilité des pertes aux seuls cas d’annulation des titres intervenant dans le cadre d’une procédure collective, à l’exclusion de celles issues d’une liquidation amiable. Il s’en est ouvert au Conseil d’État au moyen d’une « question prioritaire de constitutionnalité ».

La haute juridiction a refusé de la soumettre au Conseil Constitutionnel au motif que « la différence de situation entre les détenteurs de droits sociaux selon qu’ils procèdent de leur propre initiative, au moment qu’ils ont choisi et dans les conditions qu’ils ont définies, à la liquidation amiable d’une société et les détenteurs de droits dans le capital d’une société dont la liquidation est prononcée par le tribunal dans le cadre d’une liquidation judiciaire, est suffisante pour justifier une différence, telle que celle qu’instaure le premier alinéa du 12 de l’article 150-0 D du CGI, dans le traitement fiscal des annulations de titres opérées à la suite de ces deux procédures ». Ce dont le Conseil d’État a déduit que le moyen soulevé par le contribuable « ne peut être regardé comme posant une question sérieuse » (CE, 25 juin 2010, n° 338 966).

Conclusion qui ne peut que laisser fort perplexes les contribuables qui, comme M. X, encourent une taxation conséquente fondée sur une plus-value dépourvue de toute consistance économique…

2. Ne pouvant se résoudre à payer une très saugrenue taxe sur les pertes, M. X pourrait être tenté de vendre à vil prix ses actions B, quitte à s’en séparer pour 1 € symbolique. Dans ce cas en effet, il en résulterait une moins-value de 1.029.999 € qui s’imputerait sur la plus-value de 990.000 € dont le report d’imposition prendrait fin. M. X réaliserait donc une moins-value nette de 39.999 €, correspondant à la perte subie, puisqu’en définitive, il n’obtiendrait que 1 € pour un investissement total de départ de 40.000 €. La fiscalité serait ainsi alignée sur l’économie, ce qui en définitive n’est que la moindre des choses.

La possibilité d’imputer la moins-value de cession de titres sur la plus-value en report d’imposition qui les grève, dont au demeurant personne ne doutait, a été expressément confirmée par l’administration à l’occasion du même rescrit : « Lorsque la cession de ces titres [ceux reçus à l’occasion d’un échange de titres] dégage une moins-value, celle-ci peut s’imputer sur la plus-value dont le report expire lors de la survenance de cet événement ».

Alors, tout irait-t-il finalement pour le mieux dans le meilleur des mondes de la fiscalité ?

Hélas, on peut encore en douter, car il restera possiblement à notre malheureux M. X à devoir justifier la vente des actions B devant le tribunal de l’abus de droit pour fraude à la loi, qui sanctionne les actes poursuivant la recherche exclusive ou principale du bénéfice d’une mesure fiscale en violation de l’intention du législateur.

Or, ne pourrait-il pas être reproché à la vente de la société B, réduite à l’état de coquille vide, d’avoir pour objectif principal – voire exclusif – de s’inscrire dans le régime des pertes déductibles ?

Mais quand bien même, n’est-il pas légitime de choisir, entre plusieurs solutions juridiquement possibles, celle qui permet d’éviter de subir une imposition absurde, exclusive de toute « capacité contributive » au sens de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen 1789 ?

3. S’il ne souhaite pas s’engager sur les chemins de traverse très incertains du contentieux fiscal, faute alors de pouvoir ni dissoudre la SASU B, ni en vendre les titres, M. X en conclura nécessairement qu’il lui faut donc la conserver, quitte à la laisser en sommeil, le cas échéant jusqu’à ce que mort s’en suive, la sienne, puisque le décès du contribuable comporte la vertu de purger les plus-values en report d’imposition suspendues sur sa tête.

Malheureusement, ce pis-aller risque de se heurter aux dispositions de l’article L. 225-248 du code de commerce qui prévoient, en substance et sous peine de dissolution, que lorsque ses capitaux propres deviennent inférieurs à la moitié du capital social, une société doit sous un délai de deux exercices « réduire son capital d’un montant au moins égal à celui des pertes qui n’ont pas pu être imputées sur les réserves ».

Or, tel est manifestement le cas de la SASU B dont les pertes cumulées s’élèvent à 1.010.000 € à comparer à la moitié du montant du capital, soit 515.000 €. Le « nettoyage » des pertes sur le capital social s’impose donc.

4. M. X pourrait alors espérer trouver son salut fiscal dans une disposition du 12 de l’article 150-0 D, qui admet dans ce contexte que la déduction de la perte d’annulation de titres est déductible en cas de « réduction totale du capital de la société (…) dès lors que les pertes sont égales ou supérieures aux capitaux propres. »

Nouvelle déconvenue : au cas particulier, l’imputation de l’intégralité des pertes (1.010.000 €) sur le capital social (1.000.030 €), laissera un capital certes exsangue, mais néanmoins positif de 20.000 €. La SASU B ne se trouve donc pas dans le cas de « réduction totale du capital » visée par la loi pour admettre la déduction de la moins-value d’annulation des titres.

6. En dernier recours, afin de se conformer à l’injonction de l’article CC L. 225-248, M. X pourra se résoudre à réduire le capital de la SASU B de 1.030.000 € à 20.000 € en procédant, non pas à la suppression de titres B, mais à la réduction de leur valeur nominale.

Dans cette situation, ainsi qu’on l’a déjà compris, la perte d’annulation ne serait certes pas déductible, mais la plus-value de 990.000 € restera paisiblement en report d’imposition. En effet, ainsi que l’a précisé l’administration par un autre rescrit publié à la même date que le précédent mentionné ci-avant :

« Conséquences d’une réduction de capital de la société émettrice des titres reçus en rémunération de l’apport, motivée par des pertes mais réalisée par voie de réduction de la valeur nominale des titres : le report d’imposition prévu par l’article 150-0 B ter du CGI expire notamment en cas de cession à titre onéreux, de rachat, de remboursement ou d’annulation des titres reçus en rémunération de l’apport. En l’absence de remboursement aux associés, la réduction de capital par la société holding, motivée par des pertes, par voie de réduction de la valeur nominale de ses titres, ne met pas fin au report d’imposition de la plus-value d’apport » (BOI-RES-RPPM-000115).

Mais le choix de la réduction du nominal de tous les titres B plutôt que la suppression du plus grand nombre d’entre eux, ne risque-t-elle pas d’être considéré comme constituant une solution artificielle passible de la sanction de l’abus de droit ? Certes non, et pour rassurer ses chalands, l’administration aurait pu opportunément ajouter au texte de son rescrit que, selon une jurisprudence constante du Conseil d’État, il n’est pas abusif pour atteindre un but légitime d’ordre économique, juridique, patrimonial, etc., de choisir la voie la plus avantageuse fiscalement. En l’occurrence, la voie de la réduction du nominal des titres plutôt que celle de la suppression pure et simple de l’essentiel de ceux-ci.

Cela étant, M. X restera condamné à conserver ses titres B et à maintenir la SASU B en état de fonctionnement, alors même qu’il n’en a plus que faire, au moins jusqu’à ce que les modestes frais de fonctionnement d’une société en sommeil génèrent des pertes qui finiront par « manger » le capital social précédemment ramené à 20.000 € … Et si M. X vient à disparaître avant que ce brillant résultat ne soit atteint, au moins obtiendra-t-il la consolation post-mortem tirée de ce que le décès du contribuable annule en toute franchise fiscale les plus-values en report d’imposition.

La situation absurde décrite ci-avant met à nouveau en exergue les inconvénients inhérents aux régimes de report d’imposition, auxquels on préfère décidément les régimes de sursis d’imposition. Mais cela est encore une autre histoire…

7. Enfin, quelle leçon pratique – à défaut de morale fiscale – faut-il retenir de cette triste fable ? Celle-ci peut-être : les candidats aux apports de titres sous le régime du report d’imposition de l’article 150-0B ter, seraient avisés de limiter le montant du capital de leur holding au strict montant de l’apport constitutif composé par les seuls titres, et de financer les frais de constitution puis le fonctionnement courant du holding par des avances d’actionnaires, dans l’attente de percevoir de premiers dividendes.

Quoi qu’il en soit, dans la fable de « M. X et le report d’imposition », notre contribuable sinon honteux mais du moins confus, jura mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus…(2).

 

Luc Jaillais, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats

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