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Salariés itinérants : le temps de déplacement entre le domicile et le lieu d’exécution du travail peut être un temps de travail effectif

Salariés itinérants : le temps de déplacement entre le domicile et le lieu d’exécution du travail peut être un temps de travail effectif

Selon les dispositions du Code du travail, le temps de déplacement professionnel pour se rendre du domicile au lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif.

 

Toutefois, si une part de ce temps coïncide avec l’horaire de travail, cela ne doit entrainer aucune perte de salaire

 

Et surtout, si ce temps dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu de travail, il fait l’objet d’une contrepartie en repos ou en argent. Cette contrepartie est déterminée par accord collectif ou, à défaut, par décision unilatérale de l’employeur après consultation du CSE (C. trav., art. L.3121-4).

 

Jusqu’à présent, la Cour de cassation appliquait strictement cette disposition aux salariés itinérants qui n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel (Cass. soc., 30 mai 2018, n°16-20.634).

 

Mais la Cour de cassation vient de juger que le temps de trajet d’un salarié itinérant entre son domicile et son premier client, puis entre son dernier client et son domicile peut, dans certains cas, constituer un temps de travail effectif et ouvrir droit, en conséquence, au paiement d’heures supplémentaires (Cass. soc., 23 novembre 2022, n°20-21.924).

 

Il s’agissait cependant d’un cas d’espèce qui mérite d’être précisé.

 

L’affaire soumise à la Cour de cassation

Dans cette affaire, un salarié, engagé en qualité d’attaché commercial, effectuant de fréquents déplacements en clientèle et ne se rendant que de façon occasionnelle au siège de l’entreprise, avait saisi le conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail .

 

Sa demande reposait notamment sur le défaut de paiement des heures supplémentaires au titre des temps de déplacement effectués entre son domicile et son lieu de travail.

 

La Cour d’appel ayant prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur et l’ayant condamné au paiement des sommes réclamées, celui-ci s’est pourvu en cassation au motif que les juges du fond avaient violé l’article L.3121-4 du Code du travail.

 

La réponse de la Cour

La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir décidé, au cas particulier, que les temps de trajet entre le domicile et le premier client puis entre le dernier client et le domicile devaient être analysés comme du temps de travail effectif dès lors que le salarié devait se tenir à la disposition de l’employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

 

La Cour relève expressément, à cet égard, que les juges du fond ont noté que le salarié devait, grâce à son téléphone portable professionnel et son kit main libre intégré dans le véhicule mis à sa disposition par la société, être en mesure, pendant ses déplacements, de fixer des rendez- vous ainsi que d’appeler et de répondre à ses divers interlocuteurs, clients, directeur commercial, assistantes et techniciens.

 

Une solution inspirée du droit communautaire

Dans un arrêt rendu en 2015, la CJUE avait retenu que les dispositions de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l’aménagement du temps de travail devaient être interprétées en ce sens que les temps de déplacements quotidiens effectués par les salariés itinérants entre leur domicile et les sites des premier et dernier clients constituent du temps de travail, qui doit être pris en compte pour la détermination des périodes de repos obligatoire (CJUE, 10 septembre 2015, aff. C-266/14).

 

A cet égard, il convient de souligner que le juge national doit, afin d’assurer la primauté du droit communautaire, interpréter les dispositions du droit national à la lumière du droit communautaire (CJUE, 24 janvier 2012, aff. C-282/10), sous la seule limite que cette interprétation ne conduise pas à faire une application contra legem des dispositions du droit national (CJUE, 23 avril 2009, C-378/07).

 

C’est ce qu’a fait, en l’espèce, la Cour de cassation en interprétant les articles L 3121-1 et L 3121-4 du code du travail « à la lumière de la Directive 2003/88/CE ».

 

A l’inverse d’un arrêt rendu en 2018 (Cass. soc., 30 mai 2018, n°16-20.634), la Cour de cassation s’appuie ainsi sur une récente décision de la CJUE qui a retenu que les notions de «temps de travail» et de «période de repos» constituent des notions de droit de l’Union dont la portée ne saurait être déterminée unilatéralement par les Etats membres en ajoutant des conditions ou des restrictions à l’exercice d’un droit reconnu par la directive, sauf à priver celles-ci d’effet utile (CJUE, 9 mars 2021, C-344/19).

 

La Cour en déduit que «lorsque les temps de déplacement accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et son premier ou son dernier client répondent à la définition du temps de travail effectif fixé par l’article L.3121-1 [entendu comme le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de son employeur et se conforme à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles], ce temps ne relève pas du champ de l’article L. 3121-4 du Code du travail».

 

Quelles conséquences pratiques ?

La Cour de cassation ne remet pas en cause le principe selon lequel le temps de déplacement entre le domicile et le lieu d’exécution du travail n’est pas un temps de travail effectif, y compris pour les salariés itinérants.

 

Toutefois, tenant compte du droit de l’Union européenne, la Cour de cassation, prend en compte, pour déterminer si leur temps de trajet constitue ou non un temps de travail effectif. les contraintes auxquelles ils peuvent être réellement soumis en pratique

 

Comme le précise le communiqué de la Cour de cassation joint à la décision, il y a lieu désormais de distinguer deux situations :

 

    • lorsque, pendant le temps de trajet, le salarié itinérant doit se tenir à la disposition de l’employeur et se conformer à ses directives, sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles, ce temps constitue alors un temps de travail effectif au sens de l’article L.3121-1 du Code du travail ;
    • dans le cas contraire, le salarié peut seulement prétendre à la contrepartie financière ou en repos prévue par l’article L.3121-4 du Code du travail, lorsque le temps de déplacement dépasse le temps normal de trajet entre son domicile et le lieu habituel de travail.

 

Concernant l’application de cette dernière règle, signalons qu’une récente décision tente de définir, pour les salariés itinérants, les modalités de détermination du temps de déplacement «normal» entre le domicile et le lieu d’exécution du travail.

 

II est en effet précisé que ce temps s’apprécie entre le domicile du salarié et «le lieu où se situe son agence de rattachement si tant est que celle-ci se situe à une distance raisonnable de ce domicile, de façon à ce que le temps de trajet ainsi déterminé soit équivalent au temps normal de trajet du salarié dans la région considérée» (Cass. soc., 30 mars 2022, n°20-17.230).

 

Ainsi, la Cour de cassation définit progressivement des règles à appliquer aux temps de déplacement des salariés itinérants entre leur domicile et le lieu d’exécution du travail.

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