Restriction jurisprudentielle du motif économique du licenciement
7 juillet 2022
La refonte par la loi El Khomri du 8 août 2016 de l’article L. 1233-3 du Code du travail portant sur le motif économique du licenciement avait été vivement critiquée par certains au motif qu’elle faciliterait les licenciements et introduirait « un permis de licencier ».
Pour la première fois, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur ces dispositions par un arrêt du 1er juin 2022 (1) qui semble limiter la portée de la réforme.
La sécurisation par la loi du motif économique du licenciement
A l’origine, l’article L. 1233-3 du Code du travail définissait le licenciement économique comme celui effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
Par la suite, la Cour de cassation a reconnu que le licenciement économique pouvait également être motivé par la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou par la cessation complète et définitive d’activité de l’entreprise.
Ces deux dernières causes de licenciement ont été incorporées à l’article L. 1233-3 du Code du travail par la loi du 8 août 2016.
En outre, à cette occasion, le législateur a entendu objectiver les difficultés économiques du licenciement en définissant des critères permettant de les caractériser : ces difficultés peuvent ainsi résulter d’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, de pertes d’exploitation, d’une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation ou encore de tout autre élément de nature à justifier de celles-ci.
Les difficultés économiques s’apprécient à la date de notification du licenciement…
Lorsqu’un employeur entend se baser sur une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pour justifier ses difficultés économiques et, par suite, son licenciement, l’article L. 1233-3 du Code du travail précise que cette baisse, appréciée en comparaison avec la même période de l’année précédente, est constituée dès lors qu’elle perdure durant une période au moins égale à :
«a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;».
Le Code du travail ne précise toutefois pas la période devant être retenue pour effectuer cette comparaison.
Par son arrêt du 1er juin 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé, conformément à sa jurisprudence constante (2), que le juge devait se placer à la date du licenciement économique pour apprécier le motif de celui-ci.
Elle en a logiquement déduit que la durée d’une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires s’apprécie en comparant leur niveau au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l’année précédente à la même période.
…ce qui place l’employeur dans une insécurité juridique…
Bien que fondée juridiquement, cette solution fragilise les licenciements économiques collectifs qui s’inscrivent dans un long processus d’information-consultation des instances représentatives du personnel.
En effet, l’employeur peut ignorer au moment où il engage un tel processus quels seront les niveaux de chiffre d’affaires ou de commandes au cours des trimestres le séparant encore de la date de notification des licenciements (laquelle intervient en outre au terme d’un processus de recherche de reclassement individuel).
Autrement dit, toute légère amélioration du chiffre d’affaires ou du carnet de commandes, quand bien même elle ne serait que temporaire et insusceptible de rétablir la situation économique de l’entreprise, prive les licenciements qui seront notifiés de cause réelle et sérieuse.
…renforcée par l’appréciation restrictive des difficultés économiques par la Cour de cassation
Par ailleurs, on pouvait comprendre de l’article L. 1233-3 modifié du Code du travail que l’employeur restait libre, comme par le passé, de démontrer l’existence de difficultés économiques par tout moyen.
Les critères de baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant un certain nombre de trimestres consécutifs visaient à offrir à l’employeur la possibilité de justifier de manière irréfragable, et donc sécurisée, l’existence de difficultés économiques, sans qu’il ne lui soit pour autant interdit d’en faire la démonstration autrement.
Ainsi, dans l’affaire soumise à l’examen de la Cour de cassation, la Cour d’appel avait constaté, qu’en dépit d’un léger rebond du chiffre d’affaires de l’entreprise au cours du trimestre contemporain à la notification du licenciement, celle-ci avait subi de manière structurelle tout au long de l’année précédente d’importantes pertes de chiffre d’affaires. Il en résultait pour les juges d’appel que les difficultés économiques étaient avérées.
La Haute juridiction a pourtant censuré cette décision.
L’arrêt tel qu’il est rédigé laisse entendre qu’une baisse du chiffre d’affaires ou du carnet de commandes ne peut justifier de l’existence de difficultés économiques qu’à la seule condition de s’inscrire strictement dans une durée correspondant au nombre de trimestres consécutifs prévu par la loi.
Cette lecture de l’article L. 1233-3 du Code du travail, si elle doit être confirmée, vient à rebours de l’objectif du législateur de l’époque et rend plus incertaine la validité des licenciements économiques.
(1) Cass. soc., 1er juin 2022, n° 20-19.957
(2) Cass. soc., 21 novembre 1990, n° 87-44.940 ; Cass. soc., 26 février 1992, n° 90-41.247
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