Intégration fiscale : quoi de neuf depuis 2021 ?
Que ce soit pour déterminer le résultat d’ensemble ou dans le cadre d’une réflexion sur le maintien ou la constitution d’un groupe, il est important de prendre en compte les solutions relatives au régime de l’intégration fiscale intervenues en 2021 et 2022. Tour d’horizon des principales décisions et doctrines administratives.
- Composition du groupe
On sait qu’une société mère peut se constituer mère intégrante des filiales qu’elle détient à 95 % au moins, à condition que cette détention soit continue pendant toute la durée de l’exercice. Un certain nombre de tolérances administratives sont toutefois prévues dans le cas d’opérations de restructuration intervenant le jour de l’ouverture de l’exercice, afin de faciliter le passage d’un groupe à un autre. Mais aucune précision n’avait été apportée en ce qui concerne la constitution d’un groupe lorsque la société appelée à devenir mère intégrante acquiert, le premier jour de l’exercice, 95 % au moins du capital d’une autre société non intégrée. L’administration admet expressément qu’elle puisse constituer un groupe fiscal avec cette filiale dès cet exercice (BOI-RES-IS-000088, 24 mars 2021).
Signalons aussi que pour apprécier la condition de détention à 95 %, la cour administrative d’appel de Versailles a jugé que les participations croisées que deux sociétés détiennent l’une dans l’autre ne peuvent pas être prises en compte, dès lors que chacune d’entre elle est détenue à moins de 95 %, directement ou indirectement, par la société intégrante (arrêt du 29-3-2022 n° 20VE00047).
- Détermination du résultat d’ensemble
La détermination du résultat d’ensemble nécessite on le sait, le cas échéant, la réintégration de charges financières.
Ainsi, en application du mécanisme dit de « l’amendement Charasse », une quote-part forfaitaire des charges financières du groupe doit être réintégrée au résultat d’ensemble lorsqu’une société du groupe a acheté, à un actionnaire extérieur qui contrôle le groupe, ou auprès d’une société que cet actionnaire contrôle, les titres d’une société qui est ou devient membre du même groupe. Pour les besoins de ce dispositif, la notion de contrôle est définie par renvoi à   l’article L 233-3 du Code de commerce, lequel vise notamment le contrôle conjoint. Les décisions jurisprudentielles en la matière sont rares et la décision du 6 décembre 2021 (n° 439650) est d’autant plus intéressante. Elle permet au Conseil d’Etat de rappeler qu’il appartient à l’administration d’établir l’existence d’une action de concert puis de vérifier si tout ou partie des personnes agissant de concert déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale. Il ne suffit donc pas d’examiner la répartition statutaire des droits de vote, mais il faut aussi prendre en compte des clauses ou contrats particuliers aboutissant dans les faits à une prise de décision conjointe par les actionnaires agissant de concert pour définir la stratégie de la société.
Lorsque le mécanisme de « l’amendement Charasse » est applicable, le montant de la réintégration est égal, pour un exercice donné, au produit des charges financières par le rapport déterminé en divisant le prix d’acquisition des titres de la société cible par le montant moyen des dettes du groupe au cours de l’exercice. L’article 223 B du CGI prévoit que le prix d’acquisition des titres peut sous certaines conditions être réduit du montant des fonds apportés à la société acheteuse lors d’une augmentation de capital réalisée simultanément à l’acquisition des titres. En cas d’acquisition de plusieurs sociétés dont seules certaines d’entre elles rejoignent le groupe intégré de la société acheteuse – ces acquisitions étant financées au moyen d’une augmentation de capital et d’un emprunt – la cour administrative d’appel de Nancy a jugé, en se référant notamment aux actes notariés, que l’emprunt pouvait être affecté à l’acquisition d’une des sociétés non intégrées (ce qui revenait à écarter l’application de « l’amendement Charasse » puisque le prix d’acquisition des sociétés intégrées devait donc être effacé par le montant de l’augmentation de capital). Cette analyse a été confirmée par le Conseil d’Etat, qui a refusé d’admettre le pourvoi dirigé contre cet arrêt (CE (na) 7-10-2021 n° 442325).
Enfin on sait que la question de l’imputation sur le résultat d’ensemble des pertes définitives de filiales étrangères a fait l’objet de multiples décisions, depuis que, par une décision du 13 décembre 2005 (C-446/03,Marks and Spencer), la CJUE a jugé qu’une législation qui permet à une société mère de déduire les pertes des filiales résidentes, mais non celles des filiales non résidentes détenues dans les mêmes conditions est conforme au droit de l’Union européenne, mais que l’exigence de proportionnalité oblige l’Etat de la société mère à permettre l’imputation de ces déficits européens lorsque la filiale étrangère a épuisé, dans son Etat de résidence, toutes les possibilités de prise en compte de ces pertes. Les pertes étrangères imputables selon ce raisonnement doivent revêtir un caractère « définitif » au sens où l’entend la jurisprudence. Pour autant, la CJUE a jugé qu’il n’est pas contraire au droit de l’Union européenne de refuser d’intégrer une filiale établie dans un autre Etat européen, ce qui a été regardé par le Conseil d’Etat comme permettant de refuser l’imputation de pertes définitives d’une filiale non résidente puisqu’en France, seule l’intégration fiscale permet cette imputation (CE 15-4-2015 n° 368135). La CJUE a depuis confirmé, en le précisant, le principe d’une possible imputation des pertes inutilisables dans une décision « Bevola » (CJUE 12-6-2018 C-650/16) et le Tribunal administratif de Montreuil a, le 11 février 2021 (n° 1808706), dans la lignée de cette dernière décision, fait droit à la demande d’imputation des pertes d’une sous-filiale belge en liquidation sur le résultat d’ensemble d’un groupe intégré. En sens inverse on notera la non-admission du pourvoi contre l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Versailles du 23 juin 2020 (n° 19VE01012), par lequel la cour avait écarté l’imputation des pertes relatives à une filiale européenne belge en liquidation sur le résultat d’ensemble d’un groupe intégré français (CE (na) 7-10-2021 n° 443126).
- Déficit d’ensemble
Lorsque la détermination du résultat d’ensemble conduit à la constatation d’un déficit qui est reporté en avant, l’administration admet que les dispositions (CGI, 209-I) qui prévoient une majoration de la franchise de 1 million d’euros en faveur des sociétés auxquelles sont consentis, entre le 15 avril 2020 et le 31 décembre 2021, des abandons de créances de loyers et accessoires afférents à des immeubles donnés en location dans les conditions prévues au 9° du 1 de l’article 39 du CGI, sont également applicables pour la détermination du résultat du groupe lorsqu’une ou plusieurs sociétés membres ont bénéficié d’un tel abandon de créances accordé par une personne non membre du groupe. Cette faculté de majorer la franchise de 1 million d’euros est subordonnée à la condition qu’elle n’ait pas déjà été utilisée par la filiale bénéficiaire des abandons de créances pour la détermination de son résultat propre (BOI-IS-GPE-30-10 n° 260, 11 août 2021).
En cas d’absorption de la société tête de groupe par une société extérieure au périmètre qui constitue un nouveau groupe avec des filiales de la société absorbée, la fraction du déficit d’ensemble qui n’a pas pu être imputée sur les réintégrations de sortie, les charges financières non déduites et la capacité de déduction non employée du groupe dissous peuvent être transférées à la société absorbante.
Pour les opérations réalisées depuis le 1er janvier 2020, ce transfert peut être réalisé sans agrément, à condition notamment que leur montant cumulé soit inférieur à 200 000 €. Dans ses commentaires très attendus de ce régime, l’administration vient de préciser que lorsque ce plafond est franchi, un agrément est nécessaire, sauf pour l’absorbante à procéder au transfert sans agrément d’une quote-part de déficits égale à 199 999 €, et à renoncer au transfert du surplus (BOI-IS-FUS-10-60-20 n° 50, 13 avril 2022). S’agissant de la condition selon laquelle les déficits et intérêts susceptibles d’être transférés à la société absorbante ne doivent provenir ni de la gestion d’un patrimoine mobilier, ni de la gestion d’un patrimoine immobilier, l’administration a indiqué qu’elle s’apprécie au niveau de chaque société membre du groupe (c’est-à -dire filiale par filiale) et non au niveau de la seule société mère (BOI précité n° 60).
On rappelle par ailleurs que depuis la loi de finances pour 2021, le déficit d’ensemble de l’ancien groupe susceptible d’être transféré à l’absorbante peut provenir de filiales absorbées ou scindées au sein du groupe initial. Si l’absorbante ne souhaite pas renoncer à la part de déficit d’ensemble excédant 199 999 €, plusieurs conditions doivent être satisfaites pour obtenir l’agrément de l’administration. Celle-ci exige notamment que l’absorbante poursuive l’activité provenant des filiales absorbées ou scindées dans le groupe initial (BOI-SJ-AGR-20-30-10-20 n° 130, 11 août 2021).
Notons enfin que l’administration a publié en août 2021 ses commentaires relatifs à l’aménagement, par la loi de finances pour 2021, du dispositif complexe d’imputation des déficits sur une base élargie (voir l’article de Nicolas Riou et Sandy Boverie, Option finance du 27-9-2021).
Le contrôle fiscal d’un groupe intégré et ses suites ont fait l’objet de plusieurs décisions en 2021. On notera très brièvement les décisions suivantes :
- la notification du document informant la société mère du groupe des conséquences financières du contrôle d’une société membre le même jour que la notification de l’avis de mise en recouvrement ne prive la mère d’aucune garantie et est sans incidence sur le redressement (CAA Versailles 1-4-2021 n°20VE002388 et 20VE002389 qui a fait l’objet d’un pourvoi en cassation) ;
- lorsqu’une première proposition de rectification a pour objet de remettre en cause le déficit d’un exercice – l’entreprise restant toutefois déficitaire -, le cours des intérêts de retard n’est interrompu que par la seconde proposition tirant les conséquences de la réduction du déficit reportable sur le premier exercice bénéficiaire de l’entreprise (CE 5-11-2021 n° 431747 ; voir à ce sujet l’article de Sarah Dardour-Attali et Adrien Merchadier, Option finance du 10-1-2022) ;
- une société tête de groupe qui fait l’objet d’une proposition de rectification de ses résultats propres ne peut se prévaloir du délai spécial de réclamation que pour les impositions correspondant à ses propres résultats individuels (CE 26-1-2021 n° 438217).
Article paru dans Option Finance 16/05/2022
Auteurs
Emmanuelle Féna-Lagueny, avocat counsel en droit fiscal
Amélie Nithart, fiscaliste