Plaie d’argent n’est pas mortelle mais peut causer un préjudice moral
Le flux jurisprudentiel mettant en cause la responsabilité des prestataires de service d’investissement (PSI) pour manquement à leurs obligations professionnelles n’est pas près de se tarir, alimenté par des clients toujours plus exigeants et toujours plus inventifs.
Un arrêt récent rendu par la Cour de cassation vient enrichir le débat (arrêt du 4 février 2014). Au cas particulier, le PSI avait délivré à la fois une prestation de réception-transmission d’ordres mais aussi de conseil en investissement. Or, les investissements ayant entraîné des pertes financières pour le client, ce dernier a mis en cause la responsabilité du professionnel pour manquements à ses obligations de conseil, d’information et de mise en garde.
Les juges du fond avaient décidé que le PSI devait être condamné à l’indemniser de la somme de 2 285 872,60 € correspondant au montant des pertes financières subies et de la somme de 2 000 € au titre du préjudice moral.
Plusieurs questions se posaient devant la Cour de cassation.
D’abord, celle de savoir à qui, du professionnel ou du client, incombe de démontrer que ce dernier a la qualité d’opérateur averti, laquelle dispense le professionnel de son obligation de mise en garde. Le PSI invoquait une clause du contrat de conseil stipulant que le donneur d’ordre avait reconnu « être avisé des risques inhérents à certaines opérations et à certains marchés tels que les marchés à effet de levier ». Une telle stipulation est logiquement insuffisante. Reprenant une solution énoncée depuis 2008, la Cour de cassation rappelle que c’est au PSI de rapporter la preuve que son client a la qualité d’opérateur averti. Puisqu’il lui incombe d’établir qu’il a effectivement exécuté l’obligation de mise en garde au bénéfice d’un client non averti, il est logique d’en déduire que c’est à lui de démontrer qu’il n’avait pas à respecter cette obligation au motif que son client était averti.
Ensuite, la faute du professionnel étant établie, il convenait de déterminer le préjudice réparable : intégralité des pertes financières subies, comme l’avait retenu la cour d’appel, ou simple perte d’une chance ? Il est vrai que la jurisprudence est assez subtile. Elle admet parfois de réparer l’intégralité du préjudice, en particulier lorsque, intervenant pour le compte d’un donneur d’ordre sur le marché à règlement différé, le PSI n’a pas, d’office, liquidé les positions d’un client qui n’a pas constitué en temps voulu la couverture exigée en titres ou en argent. Mais la solution se justifie parce que le manquement est directement à l’origine de la perte subie par le client (et ce, quand bien même ce dernier n’aurait pas respecté les règles de marché). En revanche, lorsque le manquement consiste, comme dans l’arrêt commenté, en un défaut de mise en garde, la réparation ne saurait effacer l’intégralité des pertes du client : elle se limite à l’indemnisation de la perte d’une chance d’avoir réalisé un investissement plus fructueux. L’idée, qu’on pourrait discuter, est que nul ne peut dire quelle aurait été la décision du client s’il avait été en possession de toutes les informations et conseils utiles.
Enfin, un dernier élément débattu concernait le préjudice moral invoqué par le client. La cour d’appel avait considéré que ce préjudice moral était réel, lié au fait qu’en raison de l’importance des pertes subies, celui-ci avait connu des conditions financières difficiles, de sorte qu’il avait « nécessairement subi un tel préjudice ». Le raisonnement est censuré. Pour la Cour de cassation, le préjudice moral ne pouvait se déduire des seules difficultés financières consécutives aux pertes subies. Il faut donc retenir que la réparation d’un tel préjudice moral est possible. Il doit toutefois être clairement distingué du préjudice financier, sauf à réparer deux fois le même préjudice. En pratique, on peut penser que le client devra faire état de circonstances extérieures à l’investissement mais qui sont la suite directe de la faute imputée au professionnel (dépression, maladie).
Auteur
Arnaud Reygrobellet, of Counsel, Doctrine juridique et Professeur à l’université Paris X.
Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 30 juin 2014