Contester la validité de son forfait-jours n’est pas sans risque
14 avril 2022
Dans un arrêt en date du 9 février 2022 (20-14.063), la Cour de cassation considère que « la convention de forfait à laquelle le salarié était soumis était nulle, en sorte que le paiement de jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de la convention était indu ».
Cette confirmation de jurisprudence est l’occasion de refaire le point sur les modalités et les conséquences d’une action en contestation de la validité d’une convention de forfait en jours.
L’action en contestation de la validité d’une convention de forfait en jours
Comme en témoigne le contentieux relatif aux forfaits jours qui ne faiblit pas depuis plusieurs années, la mise en place d’une convention de forfait en jours obéit à un formalisme et à des conditions stricts.
Ainsi, lorsqu’un salarié estime que ces conditions ne sont pas respectées et, dans la plupart des cas cela fait suite à son licenciement, celui-ci peut agir en justice pour remettre en cause la validité de sa convention de forfait individuelle.
A cet égard, il convient de rappeler que la prescription applicable est la prescription triennale.
En effet, les contestations en justice des forfaits jours sont destinées à obtenir des rappels de salaire au titre des heures prétendument travaillées au-delà de la durée légale du travail.
En conséquence, et compte tenu du fait que la Cour de cassation retient que la durée de la prescription est déterminée au regard de la nature de la créance invoquée (Cass. soc. 30 juin 2021, n° 18-23.932), la prescription applicable est celle qui s’applique en matière de créance salariale soit 3 ans à compter de la réalisation des heures travaillées litigieuses.
Ainsi, lorsqu’un salarié agit en contestation de son forfait en jours et que celui-ci est annulé ou privé d’effet par les juridictions prud’homales, le salarié est considéré comme étant soumis à la durée légale du travail et peut dès lors obtenir des rappels de salaire, le cas échéant majorés, au titre des heures supplémentaires réalisées et dont il parvient à rapporter la preuve.
Qu’en est-il des RTT dont a bénéficié un salarié au titre d’une convention de forfait en jours ultérieurement jugée nulle ou privée d’effet ?
Il convient de rappeler que les conventions de forfait annuel en jours doivent être établies dans la limite du nombre de jours fixé par l’accord collectif, lequel ne peut excéder 218 jours, ainsi que le prévoit l’article L 3121-64, I-3° du Code du travail.
En pratique, le respect du nombre de jours de travail fixé implique l’octroi au salarié de jours de repos supplémentaires (jours RTT) dont le nombre exact est déterminé chaque année en fonction du nombre de jours fériés tombant à la même date que des jours ouvrés.
La question qui se pose est dès lors de savoir ce que deviennent ces jours de repos si la convention de forfait au titre de laquelle ils ont été attribués est annulée ou privée d’effet par les juridictions prud’homales.
Au cas particulier, un salarié soumis à une convention individuelle de forfait en jours est licencié. Il saisit, dans ce cadre, la juridiction prud’homale de diverses demandes au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail et remet notamment en cause la validité de son forfait jours.
Sa demande est accueillie par les juges du fond qui prononcent ainsi la nullité de sa convention de forfait. En conséquence de cette annulation, l’employeur sollicite le remboursement des jours RTT octroyés au salarié lorsqu’il était en forfait jours arguant que celui-ci n’avait pas lieu d’en bénéficier dès lors qu’en raison de l’annulation de sa convention de forfait le salarié n’était pas éligible au bénéfice de jours de RTT.
Or, la Cour d’appel (CA Reims, 8 janvier 2020) refuse de faire droit à sa demande en retenant que le caractère indu des sommes versées au titre des jours RTT n’est pas démontré dans la mesure où ces sommes rémunéraient des jours de repos réellement pris qui ne peuvent conduire à la réduction du salaire servi à l’époque et que les heures supplémentaires accordées ne les prennent pas en compte.
Ce n’est toutefois pas la solution retenue par la Cour de cassation qui casse et annule cet arrêt sur ce point, en indiquant que, dans la mesure où la convention de forfait a été jugé nulle, les jours RTT accordés sur son fondement sont devenus indus et doivent dès lors donner lieu à répétition dans les conditions prévues par les dispositions du Code civil.
Cette décision est, en effet, rendue au visa de l’article 1376 du Code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et de l’article 1302 alinéa 1 du même code, ces textes prévoyant que celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s’oblige à le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu et que tout paiement supposant une dette, ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution.
Notons qu’il s’agit d’une décision qui s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation puisque cette solution a déjà été retenue non seulement dans une hypothèse de nullité de la convention de forfait (Cass. soc., 4 décembre 2019, n° 18-16937) mais également dans une hypothèse où une convention avait été privée d’effet faute pour l’employeur d’avoir respecté les dispositions protectrices de la convention collective sur le fondement de laquelle la clause avait été conclue (Cass., soc. 6 janvier 2021, n° 17-28234).
Ces décisions paraissent cohérentes puisque l’annulation ou la privation d’effet de la convention de forfait en jours conduisent à ce que le salarié soit réintégré dans le régime de la durée légale du travail avec paiement majoré, le cas échéant, de toute heure supplémentaire réalisée.
Il est donc logique qu’en retour, le salarié doive restituer l’équivalent des jours RTT dont il a bénéficié alors qu’il n’y aurait pas été éligible s’il n’avait pas été considéré comme bénéficiant d’une telle convention de forfait en jours.
La remise en cause de sa convention de forfait jours par un salarié n’est donc pas sans risque et nécessite une réelle réflexion puisque celui-ci s’expose, si sa demande est accueillie par la juridiction, à devoir rembourser à l’employeur l’intégralité des sommes correspondant aux jours RTT indus dont le montant peut être substantiel, voire supérieur au montant des heures supplémentaires réclamées…
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