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L’exception d’illégalité des accords collectifs

L’exception d’illégalité des accords collectifs

Par deux arrêts récents du 2 mars 2022, la Cour de cassation reconnaît au comité social et économique (CSE) et aux organisations syndicales la faculté de contester un accord collectif par la voie de l’exception d’illégalité – laquelle constitue une modalité de contestation distincte de l’action en nullité – lorsque l’accord les prive de leurs droits propres, résultant des prérogatives qui leur sont reconnues par la loi.

 

L’émergence de l’exception d’illégalité pour contester un accord collectif

La proposition n° 21 du rapport Combrexelle présenté en septembre 2015 sur « La négociation collective, le travail et l’emploi » prévoyait un : « Encadrement dans le temps des conditions de recours judiciaire contre les accords collectifs avec application de règles inspirées du contentieux des actes réglementaires ».

 

Selon Jean-Denis Combrexelle, « En matière de négociation collective, le recours au juge devrait rester exceptionnel. On ne peut que regretter une forme de juridictionnalisation dont les organisations syndicales et professionnelles portent la responsabilité principale puisque le juge ne peut se saisir lui-même d’une affaire.

Dès lors que l’accord collectif est un acte créateur de normes juridiques, à l’instar d’un acte réglementaire pris par les pouvoirs publics, les règles qui lui sont applicables doivent s’inspirer du régime des actes réglementaires, notamment en ce qui concerne les règles contentieuses.

Le dépôt des accords de branche à la DGT et la déclaration des accords d’entreprise aux DIRECCTE seraient accompagnés d’une procédure de publicité vis-à-vis des tiers. Ces formalités seraient de nature à faire courir un délai de deux mois, opposable à l’action directe visant à contester devant le tribunal de grande instance la validité de l’accord.

Au-delà, la validité de telle ou telle clause ne pourrait être invoquée devant le juge que par la voix de l’exception d’illégalité, à l’occasion d’un litige particulier, et à la condition que les moyens ne portent que sur le fond du droit et non sur la forme et la procédure de négociation et de signature ».

 

Si cette proposition n’est pas celle qui a le plus retenu l’attention, elle représentait pourtant une petite révolution juridique : l’application aux accords collectifs qui ont certes, lorsqu’ils sont étendus, une portée réglementaire, des règles contentieuses applicables aux actes réglementaires.

Cette proposition a été mise en œuvre par l’article 4 de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective.

 

Cet article a créé un nouvel article L.2262-14 du Code du travail aux termes duquel : « Toute action en nullité de tout ou partie d’une convention ou d’un accord collectif doit, à peine d’irrecevabilité, être engagée dans un délai de deux mois à compter :

 

1° De la notification de l’accord d’entreprise prévue à l’article L.2131-5, pour les organisations disposant d’une section syndicale dans l’entreprise ;

2° De la publication de l’accord prévue à l’article L.2231-5-1 dans les autres cas ».

 

Le Conseil constitutionnel, lorsqu’il a examiné la loi de ratification de cette ordonnance a admis que ce dispositif ne méconnaissait pas le droit à un recours juridictionnel effectif dans la mesure où « l’article L.2262-14 ne prive pas les salariés de la possibilité de contester, sans condition de délai, par la voie de l’exception, l’illégalité d’une clause de convention ou d’accord collectif, à l’occasion d’un litige Individuel la mettant en œuvre ».

 

La Cour de cassation vient par deux arrêts du 2 mars 2022 de parachever cette évolution en jugeant :

 

    • d’une part, qu’eu égard au droit un recours juridictionnel effectif, « un comité social et économique est recevable à invoquer, par voie d’exception, sans condition de délai, l’illégalité d’une clause d’un accord collectif au motif que cette clause viole ses droits propres résultant des prérogatives qui lui sont reconnues par la loi » (Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-16.002) ;
    • d’autre part, qu’eu égard au droit un recours juridictionnel effectif, « une organisation syndicale non signataire d’un accord collectif est recevable à invoquer par voie d’exception, sans condition délai, l’illégalité d’une clause d’un accord collectif lorsque cette clause est invoquée pour s’opposer à l’exercice de ses droits propres résultant des prérogatives syndicales qui lui sont reconnues par la loi » (Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-18.442).

 

La distinction de l’action en nullité et de l’exception d’illégalité

Au terme de cette saga judiciaire, le régime de l’action en nullité et de l’exception d’illégalité apparaissent clairement définis dans leurs différences :

 

L’action en nullité peut être exercée par les organisations syndicales, qu’elles aient participé ou non à la négociation de l’accord.

En effet, la Cour de cassation juge, sur le fondement de l’article L.2132-3 du Code du travail, que les syndicats qui ont participé à une négociation sont recevables à agir en nullité contre un accord collectif, dès l’instant qu’ils invoquent une nullité absolue, même s’ils ne l’ont pas signé (Cass. soc, 9 juillet 1996, n° 95-13.010).

 

Le Questions-Réponses du ministère du Travail sur la négociation collective confirme cette analyse :

 

« Ce délai de deux mois s’applique aux actions en nullité formées devant le tribunal de grande instance par les organisations syndicales ou patronales, signataires ou non de l’accord contesté, dès lors qu’elles ont un intérêt à agir ».

 

En revanche, un salarié ne peut intenter une action en nullité contre un accord collectif : il peut seulement, dans le cadre d’un litige individuel, exercer une action en inopposabilité, et non en nullité, de l’accord, lorsqu’il invoque son illégalité devant le conseil de prud’hommes.

Tout salarié qui y a intérêt est recevable à invoquer le caractère illicite d’une clause d’une convention collective qui lui est applicable (Cass, soc, 24 septembre 2008, n° 06-46.179).

Le Questions-Réponses du ministère va dans le même sens : « Les personnes individuelles ayant un intérêt à agir peuvent également invoquer l’illicéité d’un accord collectif afin qu’il leur soit déclaré inopposable ».

L’action en nullité, si elle aboutit, débouche sur une annulation de l’accord, donc sur sa disparition.

 

L’exception d’illégalité, pour sa part, est ouverte :

 

    • d’abord, aux salariés, comme l’a souligné le Conseil constitutionnel, qui peuvent invoquer le caractère illicite d’une clause d’une convention collective qui leur est applicable ;
    • ensuite, à un comité social et économique ;
    • enfin, à une organisation syndicale.

 

Toutefois, dans ces deux dernières hypothèses, la Cour de cassation a précisé que la clause contestée par le CSE ou par l’organisation syndicale doit violer « ses droits propres résultant des prérogatives qui lui sont reconnues par la loi ».

Il résulte, en effet, d’une jurisprudence constante qu’un comité d’entreprise – et aujourd’hui un CSE – est irrecevable à intenter une action ou intervenir dans une action tendant au respect ou à l’exécution de dispositions conventionnelles générales, car ce n’est pas lui qui assure la défense des salariés et de l’intérêt collectif de la profession mais les organisations syndicales (Cass. soc., 14 décembre 2016, n° 15-20.812).

 

En ce qui concerne les moyens qui peuvent être invoqués dans le cadre d’une exception d’illégalité, il est probable que la Cour de cassation fera application de la jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquelle seuls des moyens de fond peuvent être invoqués, à l’exclusion de vices de forme et de procédure (CE, 18 mai 2018, Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT, n°414583).

L’exception d’illégalité ne débouche pas, contrairement à l’action en nullité, sur une annulation de l’accord mais seulement sur le fait que la clause reconnue illégale n’est pas appliquée dans le litige où son illégalité a été invoqué. La décision n’a qu’un effet relatif, même si son effet pratique peut être beaucoup plus important.

 

C’est ainsi que :

 

dans la première affaire, la Cour de cassation a reconnu le bien-fondé de l’action du CSE invoquant l’exception d’illégalité pour que soit écartée la stipulation de l’accord collectif réservant au seul comité central d’entreprise – devenu CSE central – les consultations périodiques sur la politique sociale et la situation économique et financière de l’entreprise.

La Cour a néanmoins refusé de faire droit à cette demande au motif que la loi autorise un accord d’entreprise à définir, dans les entreprises comportant des établissements distincts, les niveaux auxquels les consultations récurrentes sont conduites et, le cas échéant, leur articulation (Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-16.002) ;

 

dans la seconde affaire, la Cour de cassation fait droit à la demande d’une organisation syndicale non signataire visant à ce que soit écartée, sur le fondement de l’exception d’illégalité, la stipulation de l’accord collectif limitant la désignation d’un délégué syndical au périmètre retenu pour la mise en place des CSE alors que, aux termes de l’article L.2143-3, alinéa 4, du Code du travail, « la désignation d’un délégué syndical peut intervenir au sein de l’établissement regroupant des salariés placés sous la direction d’un représentant de l’employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques » (Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-18.442).

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