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Application du barème Macron dans le temps et résiliation judiciaire

Application du barème Macron dans le temps et résiliation judiciaire

Dans un arrêt rendu le 16 février 2022 (pourvoi n° 20-16.184), la Cour de cassation se prononce sur l’application dans le temps du barème d’indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse, dans le cas particulier de la résiliation judiciaire.

 

Pour rappel, le barème Macron, introduit à l’article L.1235-3 du Code du travail par l’article 2 de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, prévoit qu’en cas de licenciement d’un salarié pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, et à défaut de sa réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixé dans un tableau annexé à cet article.

Concernant la résiliation judiciaire, l’article L.1235-3-2 du Code du travail, créé par ce même article de l’ordonnance, précise que le barème est applicable si le juge prononce la résiliation aux torts de l’employeur, laquelle produit alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse conditionnant la mise en œuvre de l’article L. 1235-3, ce qui était le cas en l’espèce.

 

Faits et procédure

Dans cette affaire, un salarié ayant 22 ans d’ancienneté avait saisi la juridiction prud’homale, le 26 avril 2016, pour demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur. Ce salarié reprochait à l’employeur des modifications de son contrat de travail, un harcèlement moral et une discrimination syndicale.

En effet, suivant une jurisprudence constante, un salarié peut demander au conseil de prud’hommes la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur s’il estime que ce dernier ne respecte pas ses obligations (Cass. soc. 14 septembre 2016 n° 14-21.893).

Jusqu’à la décision du juge, le contrat de travail se poursuit (Cass. soc. 24 avril 2013, n°11-28.629). Si le juge accueille cette demande, la résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 26 janvier 2005 n°02-46.661).

Par ailleurs, en cas de licenciement du salarié au cours de la procédure de résiliation judiciaire, le juge doit fixer la date de la résiliation à la date d’envoi de la lettre de licenciement (Cass. soc. 12 mai 2015, n°13-26.190).

En l’espèce, la Cour d’appel avait, par arrêt du 17 janvier 2020, prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur au jour du licenciement du salarié pour inaptitude, intervenu en cours de procédure, soit le 14 février 2018. La Cour avait alors condamné l’employeur au versement d’une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse de 105 000 euros.

L’employeur s’est alors pourvu en cassation.

 

Solution : application du barème aux résiliations judiciaires prononcées à compter du 24 septembre 2017

Dans son pourvoi, l’employeur faisait grief à l’arrêt de le condamner au paiement d’une somme correspondant à 19 mois de salaire net alors qu’en application du barème prévu à l’article L. 1235-3 du Code du travail, la somme maximum à laquelle peut prétendre un salarié ayant 22 ans d’ancienneté est de 16,5 mois de salaire bruts, soit un montant inférieur à celui alloué par la cour d’appel.

 

La Cour de cassation, faisant droit à la demande de la société, casse l’arrêt de la cour d’appel en considérant que le barème Macron est applicable à la résiliation judiciaire dont la date d’effet est postérieure à celle de la publication de l’ordonnance.

 

Plus précisément, la Cour de cassation énonce sa solution au visa :

 

    • des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-2 du Code du travail, relatifs au contenu du barème et aux conditions de son application, notamment à la résiliation judiciaire ;
    • mais aussi en référence à l’article 40-1 de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 selon lequel les dispositions ci-dessus « sont applicables aux licenciements prononcés postérieurement à la publication de ladite ordonnance ».

 

La Cour déduit de ces dispositions qu’en cas de résiliation judicaire aux torts de l’employeur, produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les dispositions du barème relatives au montant de l’indemnité sans cause réelle et sérieuse « sont applicables dès lors que la résiliation judicaire prend effet à une date postérieure à celle de la publication de l’ordonnance », soit le 24 septembre 2017 puisque cette publication au Journal Officiel a eu lieu le 23 septembre 2017.

En l’espèce, la résiliation judicaire ayant pris effet le 14 février 2018, soit postérieurement à la publication des ordonnances, le barème devait s’appliquer.

La Cour conclut donc logiquement à la violation des dispositions susvisées à défaut, pour la cour d’appel, d’avoir déterminé le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse par application stricte des règles fixées à l’article L. 1235-3 du Code du travail.

 

Concrètement, le montant de cette indemnité pour un salarié de 22 ans d’ancienneté aurait donc dû être évalué entre 3 et 16,5 mois de salaire bruts, et ne pouvait être porté à 19 mois de salaire net comme l’avait décidé la cour d’appel.

 

Il résulte de l’analyse de cette solution que :

 

    • les dispositions relatives au barème ne sont pas applicables en cas de résiliation judiciaire prononcée aux torts de l’employeur antérieurement au 24 septembre 2017 ;
    • la date d’effet de la résiliation judiciaire, fixée par le juge, ne doit pas être confondue avec celle de l’introduction de la demande de résiliation judiciaire, dont la survenance antérieurement au 24 septembre 2017 est indifférente. En l’espèce, la saisine du CPH par le salarié aux fins de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur avait eu lieu le 26 avril 2016 ;
    • la question de la transposition de cette solution au cas de la prise d’acte se pose, à défaut de dispositions expresses prévoyant l’application du barème dans cette hypothèse.

 

Pour rappel, le salarié qui prend acte de la rupture doit saisir le juge prud’homal pour qu’il statue, dans le délai d’un mois, sur les effets de cette rupture, l’affaire étant alors directement portée devant le bureau de jugement.

Lorsque la prise d’acte est justifiée, elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 25 juin 2003, n°01-42.335 ; Cass. soc., 3 novembre 2010, n°09-65.254), ou nul en cas de harcèlement si les faits invoqués sont discriminatoires (CA Versailles 10 janvier 2012 n°10/0499).

 

En conséquence, le barème devrait recevoir application dans le cas d’une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

La Cour de cassation a implicitement validé ce raisonnement à l’occasion d’une décision inédite, dans laquelle elle reprochait à une cour d’appel de ne pas avoir analysé l’application du barème Macron à une prise d’acte intervenue le 6 octobre 2017, soit après l’entrée en vigueur des ordonnances le 23 septembre 2017, comme l’y invitaient pourtant les conclusions de la société (Cass. soc., 15 septembre 2021, n°19-25.528 ; CA Riom, 14 septembre 2021, n°19/00479).

 

Avec cet arrêt, la Cour de cassation construit sa jurisprudence à propos de l’application du barème prévu en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Néanmoins, la question de la validité du barème, au regard notamment des normes européennes et internationales, n’est pas définitivement tranchée.

En effet, si l’assemblée plénière s’est prononcée sur cette question dans deux avis rendus le 17 juillet 2019 (Cass. avis, 17 juillet 2019, n°15012 et n°15013), la chambre sociale, non liée juridiquement par ces avis, n’a pas encore pris position sur cette question à l’occasion d’une affaire portée devant elle.

 

Pour mémoire, l’assemblée plénière de la Cour de cassation, dans les deux avis rendus en 2019, a :

 

    • admis la conformité du barème à l’article 10 de la convention 158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) consacrant le principe « d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » en cas de licenciement injustifié ;
    • refusé d’apprécier la conventionnalité du barème au regard de l’article 24 de la Charte sociale européenne (instaurant un droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée) après avoir considéré que cette disposition n’était pas d’application directe.

 

Ces avis ont consacré la conventionnalité in abstracto ou objective du barème au regard des seules dispositions précitées et indépendamment de son application aux cas d’espèce relevant de l’office du juge du fond.

La chambre sociale aura, prochainement, l’occasion de se prononcer à son tour sur la validité du barème puisque plusieurs affaires portées devant elle devraient être examinées lors d’une audience fixée au 31 mars 2022.

Ces affaires devraient permettre à la chambre sociale d’indiquer si elle fait siens les avis rendus par l’assemblée plénière, mais aussi si elle approuve les décisions de certains juges du fond qui ont écarté le barème lorsque son application porte une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné, ouvrant ainsi la porte à un contrôle in concreto.

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