Elections professionnelles : les salariés représentant l’employeur bientôt électeurs
29 novembre 2021
Une jurisprudence constante excluait les salariés assimilés à l’employeur de l’électorat et de l’éligibilité.
L’article L. 2314-18 du Code du travail fixe les conditions pour être électeur : « Sont électeurs les salariés des deux sexes, âgés de seize ans révolus, travaillant depuis trois mois au moins dans l’entreprise et n’ayant fait l’objet d’aucune interdiction, déchéance ou incapacité relatives à leurs droits civiques ».
Les conditions d’éligibilité sont quant à elles fixées par l’article L. 2314-19 du Code du travail prévoit notamment que : « Sont éligibles les électeurs âgés de dix-huit ans révolus, et travaillant dans l’entreprise depuis un an au moins, à l’exception des conjoint, partenaire d’un pacte civil de solidarité, concubin, ascendants, descendants, frères, sœurs et alliés au même degré de l’employeur ».
En combinant ces deux dispositions, une jurisprudence établie de longue date exclut les salariés assimilés à l’employeur de l’électorat et de l’éligibilité pour les élections professionnelles.
Plus précisément, ne sont ni électeurs, ni éligibles :
-
- Les salariés disposant d’une délégation particulière d’autorité établie par écrit permettant de les assimiler au chef d’entreprise (Cass. soc. 6 mars 2001 n°99-60.553),
-
- Les salariés représentant effectivement l’employeur devant les représentants du personnel, le CSE mais également les représentants de proximité (Cass. soc. 31 mars 2021 n°19-25.233).
Cette jurisprudence a pour objet d’éviter que les salariés assimilés à l’employeur puissent se retrouver dans une position ambiguë en participant aux élections qu’ils peuvent eux-mêmes organiser ou en exerçant un mandat de représentant du personnel.
Une jurisprudence remise en cause au regard du principe constitutionnel de participation des travailleurs
A l’occasion des élections professionnelles dans une chaine de supermarchés, la CGT avait obtenu en justice, sur le fondement de la jurisprudence précitée, le retrait des 80 directeurs de magasin (qui représentaient 30 % de l’effectif du collège cadre) des listes électorales pour les élections des CSE.
On notera que, pour justifier le maintien des directeurs sur les listes électorales, l’employeur faisait valoir qu’en procédant à la radiation des listes de l’ensemble des 80 directeurs de magasins, le tribunal porterait une atteinte disproportionnée au droit pour chaque travailleur de participer, par l’intermédiaire de ses représentants, à la détermination de ses conditions de travail, en violation de l’article 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et des articles L.2313-7, L.2314-18 et L.2314-19 du Code du travail. Mais ce moyen avait été écarté par la Cour de cassation.
La CFE-CGC, dans le cadre d’un autre volet du contentieux relatif à ces mêmes élections, a posé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) que, par jugement du 17 juin 2021, le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse a transmis à la Cour de cassation, qui a considéré que la question était suffisamment sérieuse pour la transmettre au Conseil Constitutionnel (Cass. soc., 15 septembre 2021 n°21-40.013).
La QPC est la suivante : « La disposition de l’article L. 2314-18 du Code du travail telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour de cassation, en privant certains travailleurs de la qualité d’électeur aux élections professionnelles, et en n’encadrant pas mieux les conditions de cette exclusion et en ne les distinguant pas des conditions pour n’être pas éligibles, ne méconnaît-elle pas le principe de participation des travailleurs par l’intermédiaire de leurs délégués à la détermination des conditions de travail à la gestion des entreprises défini au point 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ? »
Le fait que les salariés assimilés à l’employeur ne soient pas éligibles n’est pas remis en cause et cela semble logique car on ne peut pas à la fois représenter l’employeur et défendre les intérêts de salariés. Seule leur exclusion de l’électorat est visée, ce qui explique que la QPC ne porte que sur l’article L.2314-18 du Code du travail.
Il est par ailleurs intéressant de relever que la QPC critique non pas directement la constitutionnalité de l’article L.2314-18 du Code du travail mais l’interprétation jurisprudentielle qui est faite de cette disposition, ce qui relève de la compétence du Conseil Constitutionnel.
Ce dernier admet en effet que : « en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition » (CC, décision n° 2010-96 QPC du 4 février 2011).
Le Conseil constitutionnel s’est prononcé par une décision n° 2021-947 QPC du 19 novembre 2021.
Il déclare l’article L.2314-18 du Code du travail contraire à la Constitution et plus particulièrement au huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que : «Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises».
Le Conseil Constitutionnel juge en effet que : « en privant des salariés de toute possibilité de participer en qualité d’électeur à l’élection du comité social et économique, au seul motif qu’ils disposent d’une telle délégation ou d’un tel pouvoir de représentation, ces dispositions [l’article L.2314-18] portent une atteinte manifestement disproportionnée au principe de participation des travailleurs ».
Les effets de la décision d’abrogation reportés au 31 octobre 2022
En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité conduit à l’abrogation immédiate de la disposition concernée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision.
Au cas particulier, le Conseil constitutionnel juge que l’abrogation immédiate de l’article L. 2314-18 du Code du travail aurait pour effet de supprimer toute condition pour être électeur aux élections du CSE.
Pour éviter de telles conséquences qui apparaissent manifestement excessives, il décide de reporter au 31 octobre 2022 l’abrogation de cette disposition.
Le Conseil constitutionnel sécurise également les élections passées et en cours en précisant que : «Les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées inconstitutionnelles ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité».
Il appartient désormais au législateur de réécrire l’article L.2314-18 du Code du travail pour mettre fin à l’exclusion de l’électorat des salariés assimilés à l’employeur. Le temps est compté car, en raison de la période de « vacance républicaine », la session parlementaire devrait prendre fin le 27 février 2022.
A lire également
Elections professionnelles : la détermination des électeurs à l’aune de la ... 10 octobre 2022 | Pascaline Neymond
Elections professionnelles : les 7 erreurs à éviter... 6 mars 2014 | CMS FL
Mobilité du salarié et dispositions conventionnelles anciennes : quelle interp... 21 mars 2016 | CMS FL
Index égalité femmes/hommes : comment éviter les sanctions ?... 4 février 2022 | Pascaline Neymond
Le recours au vote électronique facilité... 17 janvier 2017 | CMS FL
Alertes professionnelles et protection des données personnelles : Mise à jour ... 22 septembre 2023 | Pascaline Neymond
SYNTEC signe quatre nouveaux accords relatifs à l’organisation du travail : s... 6 janvier 2023 | Pascaline Neymond
Le juge judiciaire et la détermination des établissements distincts : un juge ... 27 mai 2021 | Pascaline Neymond
Articles récents
- L’action en nullité d’un accord collectif est ouverte au CSE
- Complémentaire santé : vigilance sur la rédaction des dispenses d’adhésion
- Précisions récentes sur la portée de l’obligation de sécurité de l’employeur dans un contexte de harcèlement
- La jurisprudence pragmatique du Conseil d’Etat en matière de PSE unilatéral : Délimitation du périmètre du groupe (Partie I)
- Détachement, expatriation, pluriactivité : quelques nouveautés en matière de mobilité internationale
- Avenant de révision-extinction d’un accord collectif : « Ce que les parties ont fait, elles peuvent le défaire »
- Dialogue social et environnement : la prise en compte des enjeux environnementaux à l’occasion des négociations collectives d’entreprise
- L’accès de l’expert-comptable du CSE aux informations individuelles relatives aux salariés lors de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise
- Conférence : Sécuriser vos pratiques pour limiter les risques juridiques dans l’entreprise (risque pénal, congés payés, RPS)
- Le recours à un client mystère : une méthode de contrôle loyale à condition d’être transparente