Harcèlement moral ou sexuel : quelques bonnes raisons de recourir à un avocat pour mener une enquête interne
17 novembre 2021
Le recours à un avocat pour conduire une enquête interne relative à des faits de harcèlement moral ou sexuel présente de nombreuses garanties d’efficacité. Toutefois, cette intervention suppose que l’avocat désigné agisse avec une particulière prudence et dans le strict respect des principes régissant la profession.
L’intérêt de recourir à un avocat pour conduire l’enquête
L’augmentation des signalements de situations de harcèlement moral ou sexuel au sein de l’entreprise a entraîné un accroissement proportionnel des enquêtes internes menées par l’employeur.
Ces enquêtes présentent un double intérêt : elles permettent d’abord de distinguer de manière objective les vraies situations de harcèlement de simples allégations sans fondement. Elles permettent ensuite, en présence de réelles situations de harcèlement, de caractériser avec précision la matérialité des faits qui en sont constitutifs afin de les réprimer avec une plus grande efficacité.
Ces enquêtes sont souvent réalisées par une équipe interne pluridisciplinaire composée de représentants de la direction de l’entreprise et de représentants du personnel ou des référents harcèlement auxquels est parfois adjoint le médecin du travail.
Certaines entreprises préfèrent toutefois externaliser cette enquête afin de dépassionner le sujet et de garantir une plus grande objectivité des enquêteurs.
La possibilité pour un avocat de se voir confier cette mission d’enquête a été un temps discuté. Il est aujourd’hui admis sans réserve que cette intervention est ouverte aux avocats à la condition toutefois qu’elle s’inscrive dans le respect des principes essentiels qui gouvernent la profession (Cf. la délibération du 8 mars 2016 du Conseil de l’Ordre des Avocats de Paris qui a expressément admis que la conduite de ces enquêtes entre dans le champ de compétence de l’avocat).
Or, le recours à un avocat présente de nombreuses garanties.
La première tient au fait qu’un avocat justifie de compétences professionnelles avérées pour entreprendre une démarche de qualification juridique des faits. C’est particulièrement le cas si cet avocat est spécialisé en droit du travail ou, à tout le moins, exerce majoritairement son activité dans le domaine du droit du travail.
Répondre à la question de savoir si une situation donnée relève de la notion de harcèlement sexuel ou moral ou, plus simplement, de comportements fautifs susceptibles d’entrainer une sanction disciplinaire, est avant tout un travail de qualification juridique.
C’est la raison pour laquelle un avocat sera souvent le mieux à même de porter un regard juridique objectif sur une situation de fait souvent très émotionnelle afin d’apporter à cette enquête une conclusion juridiquement adaptée.
Par ailleurs, l’avocat est astreint au respect de règles déontologiques très strictes qui sont de nature à garantir la probité de ses investigations. Il est également indépendant par essence et ne saurait se voir imposer des conclusions orientées de l’enquête par l’entreprise qui le missionne.
Il est également utile de relever que l’enquête menée par un avocat est soumise au secret professionnel qui régit la profession.
Les conditions de l’intervention de l’avocat pour mener l’enquête
Les enquêtes internes relatives à des accusations de harcèlement moral ou sexuel sont le plus souvent extrêmement sensibles. Le résultat de cette enquête peut avoir de lourdes conséquences puisqu’il peut, soit entraîner le licenciement du ou des salariés mis en cause, soit au contraire créer une frustration pour le ou les salariés qui s’estiment victimes si l’enquête ne conclut pas à l’existence d’un harcèlement.
Il est donc essentiel que l’avocat en charge de cette enquête fasse preuve, plus que jamais, d’une particulière prudence pour conduire une enquête indépendante, objective et exhaustive en agissant avec mesure et loyauté.
C’est dans cette perspective que le Conseil de l’Ordre des Avocats de Paris a adopté le 13 septembre 2016 un « Vademecum de l’avocat chargé d’une enquête interne » qui constitue l’annexe XV du Règlement Intérieur du Barreau de Paris (RIBP).
Une lecture attentive de ce guide déontologique est vivement conseillée avant de se lancer dans ce type d’enquête.
La première exigence déontologique qui s’impose à l’avocat en charge d’une enquête est le respect du principe de son indépendance. L’avocat chargé de l’enquête doit agir sans préjugé. Il ne peut accepter de son client une mission qui consisterait « ab initio » à devoir caractériser des faits de harcèlement ou au contraire à devoir dédouaner un salarié mis en cause.
Au-delà de son indépendance juridique, l’avocat doit s’assurer qu’il agit aussi dans une réelle indépendance de fait.
Pour ce faire, il est essentiel de déterminer avant toute diligence les honoraires revenant à l’avocat pour cette mission. Ces honoraires devraient idéalement être forfaitaires. En tout état de cause le montant de ces honoraires ne peut jamais être lié au résultat de l’enquête.
En outre, lorsque cette enquête lui est confiée par un client habituel, l’avocat doit agir avec une prudence redoublée pour s’assurer que les relations qu’il entretient avec son client ne constituent pas un frein à son indépendance.
Le Vademecum publié par le Conseil de l’Ordre des Avocats de Paris n’exclut pas la possibilité pour un avocat de conduire une enquête pour le compte de l’un de ses clients habituels. Une position prudente pourrait toutefois conduire un avocat ayant des relations professionnelles soutenues avec une entreprise à refuser cette mission pour diriger cette entreprise vers l’un de ses confrères de sorte d’écarter tout risque de remise en cause de son indépendance.
Dans le même ordre d’idée, un avocat ayant conduit une enquête au terme de laquelle une sanction disciplinaire a été prononcée à l’égard d’un salarié de l’entreprise devrait s’abstenir d’assister son client dans l’éventuel contentieux en contestation de cette sanction puisque accepter d’assister son client dans une telle procédure le conduirait à utiliser comme élément de preuve le rapport d’enquête qu’il a lui-même établi.
Un certain nombre d’exigences déontologiques doivent également être observées par l’avocat à l’occasion de la conduite des auditions des parties prenantes du dossier.
Enquêter sur des accusations de harcèlement implique une part essentielle de recueil de la parole à la fois des salariés « victimes » et des salariés mis en cause mais aussi de témoins gravitant dans leur environnement pour appréhender de la manière la plus complète le vécu des personnes interviewées.
Ce recueil de la parole doit être bienveillant mais il doit aussi être exigeant. Ecouter implique d’entendre pas nécessairement de croire. L’enquêteur ne doit donc pas céder à la tentation de se muer en thérapeute. Il doit garder à l’esprit que l’objectif de l’enquête n’est pas de réconforter les parties prenantes mais de recueillir des éléments probants pour départager deux récits le plus souvent antithétiques.
L’avocat enquêteur, tout en agissant avec délicatesse, ne doit donc pas hésiter à confronter les personnes auditionnées avec leurs propres contradictions et/ou avec les témoignages contradictoires d’autres salariés. Ce travail doit se faire avec mesure et retenue en excluant toute forme de pressions sur les personnes entendues.
L’avocat devra par ailleurs préciser aux personnes entendues dès le début de l’entretien qu’elles n’ont aucune obligation de répondre mais que si elles décident de le faire, leurs réponses ne sont pas couvertes par le secret professionnel et qu’elles pourront être retranscrites dans le rapport d’enquête et communiquées de ce fait à l’employeur.
Il est également nécessaire de proposer aux personnes auditionnées de se faire assister par un avocat lorsqu’il apparait qu’elles pourraient se voir reprocher quoi que ce soit à l’issue de l’enquête.
En conclusion, la conduite d’une enquête interne par un avocat dans le respect des règles déontologiques auxquelles il est astreint est un parcours contraignant.
Toutefois, c’est précisément la garantie du respect de ces règles déontologiques qui permet de distinguer le travail d’enquête d’un avocat de celui qui peut être réalisé par d’autres enquêteurs qui ne sont pas soumis aux mêmes règles déontologiques.
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