Clauses de non-concurrence lors de la cession de droits sociaux : la vigilance est de mise !
2 novembre 2021
Afin de protéger et de maintenir la valeur économique de son investissement, il est usuel, lors de la négociation d’un protocole de cession de droits sociaux, que l’acquéreur de droits sociaux demande au vendeur de souscrire à un engagement de non-concurrence.
Ces engagements portent atteinte à certains principes fondamentaux dont la liberté du commerce et de l’industrie, la liberté d’entreprendre et la liberté du travail. Pour cette raison, leur validité est subordonnée au respect de certaines exigences tant en droit commercial, qu’en droit social ou encore en droit de la concurrence.
Droit commercial
Pour être valable, la clause de non-concurrence doit être limitée dans le temps et dans l’espace et proportionnée aux intérêts légitimes à protéger (1). Ces critères sont cumulatifs.
Dans la mesure où les clauses de non-concurrence viennent limiter les principes fondamentaux précités, elles font l’objet d’une interprétation stricte par les tribunaux et au cas par cas en fonction du secteur d’activité concerné. Les juges s’efforcent de vérifier la proportionnalité de la durée et du champ territorial de la clause de non-concurrence avec l’activité effective de la société cédée.
L’espace géographique doit, par exemple, correspondre aux zones dans lesquelles la société cédée exerce son activité à la date de cession, même si dans certaines hypothèses elle peut être étendue aux territoires prospectés.
Aussi, tout est affaire d’interprétation :
-
- par exemple, la clause de non-concurrence souscrite par l’associé cédant de parts d’une SNC exploitant une officine de pharmacie dont le champ d’application s’étend à un rayon de 7,5 kilomètres autour de l’officine exploitée est nulle car disproportionnée en raison de la nature de l’activité concernée (2) ;
-
- à l’inverse, la clause de non-concurrence souscrite par l’associé cédant d’actions d’une société anonyme développant des produits microélectroniques dont le champ d’application s’étend aux pays susceptibles de constituer le marché desdits produits limitativement et précisément énumérés est valable (3). Ainsi, les parties au contrat de cession devront veiller à définir de manière précise et exhaustive les activités soumises à la clause de non-concurrence et leurs modalités d’exercice (détention d’actions, exercice d’un mandat social, fonctions salariées, prestation de services, exploitation de fonds de commerce, etc.).
La validité d’une clause de non-concurrence n’est pas soumise, en droit commercial, à l’existence, d’une contrepartie financière.
Droit social
L’existence d’une contrepartie financière sera en revanche requise si l’associé cédant est également salarié de la société cédée.
La jurisprudence a étendu les conditions de validité des clauses de non-concurrence des contrats de travail aux clauses de non-concurrence figurant dans les contrats de cession de droits sociaux et/ou les pactes d’associés et souscrites par des salariés (4).
Pour être valable l’engagement de non-concurrence souscrit par un cédant-salarié doit être (i) indispensable (et pas seulement proportionné) à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, (ii) limité dans le temps et dans l’espace, (iii) tenir compte des spécificités de l’emploi du salarié et (iv) assorti d’une contrepartie financière qui ne doit pas être dérisoire.
Il convient à ce titre de se référer à la convention collective applicable au contrat de travail qui peut contenir des dispositions sur le sujet.
La condition de contrepartie financière n’est requise que si, à la date à laquelle l’engagement de non-concurrence est souscrit, le cédant a la qualité de salarié. Tel n’est pas le cas si lors de la signature du protocole de cession le cédant est associé-dirigeant et que ce dernier ne devient salarié de la société qu’à la date de cession effective des droits sociaux (5).
De même, le cédant ayant souscrit une première clause de non-concurrence non rémunérée puis ultérieurement une seconde clause dans un contrat travail dont il a été libéré ultérieurement reste tenu par les engagements figurant dans la première clause de non-concurrence (6).
Droit de la concurrence
En outre, les parties à un contrat de cession devront veiller à ne pas enfreindre le droit de la concurrence et plus spécifiquement les règles relatives à la prohibition des ententes (article L. 420-1 du Code de commerce et articles 101 du TFUE).
Si l’opération de cession est soumise au contrôle des concentrations (Commission européenne ou Autorité de la concurrence en fonction des seuils), la décision d’autorisation « est réputée couvrir les restrictions directement liées et nécessaires à la réalisation de la concentration » (7).
L’éventuelle clause de non-concurrence sera alors qualifiée de « restriction accessoire » pour autant que ladite clause soit limitée dans le temps et dans l’espace et directement liée et nécessaire à l’opération soumise à l’autorisation.
Il revient aux parties à l’opération de faire leur propre analyse au regard des critères visés par la Commission dans sa communication 2005/C 56/03 du 5 mars 20058. L’Autorité de la concurrence s’inspire des critères visés dans ladite communication pour examiner les clauses de non-concurrence.
La Commission considère notamment que :
-
- sauf exception, la clause de non-concurrence ne doit pas excéder trois ans dans les hypothèses où l’opération inclut la cession d’un savoir-faire, ou deux ans dans les autres cas;
-
- son champ territorial doit être limité à la zone géographique dans laquelle les produits et/ou services concernés étaient offerts avant la cession, ainsi éventuellement que toute zone que le vendeur envisageait de pénétrer, sous réserve que des investissements aient été réalisés à cet effet ;
-
- son champ matériel ne doit porter que sur des marchés de produits et/ou services sur lesquels l’entreprise cédée était active avant la cession, incluant les versions améliorées et actualisées de ces produits et/ou services, ainsi que des produits ayant atteint un stade de développement avancé ou dont le développement est achevé au moment de la cession, mais dont la commercialisation n’avait pas encore commencé.
Le cédant peut s’engager pour lui-même, ses filiales et ses agents commerciaux mais la clause de non-concurrence ne doit pas imposer des restrictions similaires à des tiers à l’opération. Une clause de non-concurrence qui serait imposée au cessionnaire (et non pas au cédant) sur certaines activités serait également susceptible d’être considérée comme une pratique anticoncurrentielle.
Les critères précités sont transposables aux clauses de non-concurrence souscrites dans les opérations non-soumises au contrôle des concentrations.
Le rédacteur d’une clause de non-concurrence dans le cadre d’une cession de droits sociaux doit faire montre de vigilance afin de s’assurer de la validité d’une telle clause au regard des différents régimes juridiques et des circonstances de l’espèce applicables.
(1) Cass. com., 8 octobre 2013, n° 12-25984, inédit.
(2) Cass. com., 17 décembre 2002, n° 99-14308, inédit.
(3) Cass. com., 11 mars 2014, n° 12-12074, inédit.
(4) Cass. com., 15 mars 2011, n° 10-13824, Bull. Civ. IV, n° 39.
(5) Cass. com., 23 juin 2021, n° 19-24488, inédit.
(6) Cf. supra 1.
(7) Règlement européen n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises s’agissant des opérations de dimension communautaire et Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations s’agissant des opérations soumises à une obligation de notification en France.
(8) Communication de la Commission relative aux restrictions directement liées et nécessaires à la réalisation des opérations de concentration, JOUE C 56 du 5 mars 2005, p. 24.
Article publié dans la revue Option Finance n° 1626 le 18/10/2021
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