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Les « piliers » OCDE : où en sommes-nous ?

Les « piliers » OCDE : où en sommes-nous ?

Les projets de réforme de la fiscalité internationale conçus par le Cadre inclusif OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (ci-après « Cadre inclusif ») ont donné lieu à la publication d’une déclaration le 1er juillet 2021.

Cette déclaration, qui a été approuvée par les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales du G20 le 10 juillet 2021, fait suite à deux rapports à très forte dimension technique publiés en octobre 2020.

Voici en résumé un point d’étape sur l’avancement de ces projets.

1- Pilier Un

Le Pilier 1 vise à allouer aux « juridictions de marché » (c’est-à-dire aux Etats et territoires – qualifiés de juridictions – dans lesquels un groupe multinational commercialise ses produits ou services ou fournit ses services aux utilisateurs ou sollicite et recueille des données et des contenus auprès d’eux) une fraction du bénéfice mondial consolidé résiduel des groupes multinationaux sur la base du lien (« nexus ») qui serait caractérisé entre ces groupes et ces Etats.

Les éléments fondamentaux du Pilier Un se rattachent à deux composantes de fond auxquelles s’ajoutent un volet sur la sécurité juridique :

  • un nouveau droit d’imposition pour les juridictions du marché, portant sur une fraction du bénéfice résiduel calculé au niveau du groupe (ou d’un segment) (Montant A) ;
  • un rendement fixe pour certaines activités de distribution et de commercialisation de référence exercées physiquement dans une juridiction du marché, conformément au principe de pleine concurrence (Montant B).

La Déclaration publiée le 1er juillet dernier montre une évolution importante par rapport à ce qui était initialement envisagé. Elle annonce également une grande ambition quant au calendrier puisqu’elle annonce qu’un plan de mise en œuvre détaillé ainsi que les questions en suspens seront finalisés pour octobre 2021, que l’Instrument multilatéral utilisé pour la mise en œuvre du montant A sera élaboré et ouvert à la signature en 2022 et que le montant A prendra effet en 2023. S’agissant du montant B, les travaux le concernant devraient être achevés en 2022.

Sur le fond, il n’est plus question de cantonner le champ du montant A aux seuls services numériques automatisés et aux activités en relation étroite avec les consommateurs. Ce décloisonnement sectoriel est compensé par une augmentation significative du seuil d’entrée dans le champ du dispositif, qui passe de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires mondial à 20 milliards de chiffre d’affaires mondial.

Il est également indiqué que seuls les groupes ayant une rentabilité supérieure à 10 % seraient concernés (la rentabilité étant défini sommairement comme le ratio bénéfice avant impôt/chiffre d’affaires).

Par ailleurs, la réallocation aux Etats de marché d’un droit d’imposer suppose qu’un lien suffisant soit établi entre ces Etats et les groupes entrant dans le champ du montant A. Une entreprise multinationale serait réputée satisfaire cette exigence si elle réalise au moins 1 millions d’euros de recettes dans cet Etat. Pour les petites juridictions dont le PIB est inférieur à 40 milliards d’euros, le seuil serait fixé à 250 000 euros.

La fraction du bénéfice résiduel (c’est-à-dire du bénéfice après franchissement du seuil de rentabilité) devant être réallouée aux Etats de marché se situerait, selon la Déclaration du 1er juillet, entre 20 % et 30 %.

La Déclaration renouvelle également son souci de limiter les cas de double imposition susceptible de résulter de la mise en œuvre des nouvelles règles.

Afin de créer un minimum de sécurité juridique, il est enfin prévu que les entreprises multinationales couvertes devraient, sauf dans certains Etats, bénéficier de mécanismes de prévention et de règlement des différends « de manière obligatoire et contraignante ».

2- Pilier Deux

Le Pilier Deux vise à instituer un dispositif d’imposition minimale des groupes soumis aux obligations de déclaration pays par pays (CBCR), soit à ceux dont le chiffre d’affaires brut annuel dépasse 750 M€ (à moins, précise la Déclaration du 1er juillet, que les Etats souhaitent abaisser ce seuil pour l’application de la règle d’inclusion du revenu).

Certaines entités n’y seraient toutefois pas soumises (fonds d’investissement, fonds de pensions, entités à but non lucratif, etc.).

La Déclaration du 1er juillet annonce un objectif de « transposition » du Pilier Deux dans les droits internes en 2022 pour une entrée en vigueur effective en 2023.

Le Pilier Deux repose sur l’articulation entre plusieurs règles :

  1. a) Une règle « d’inclusion du revenu », consistant à assujettir l’entité ultime d’un groupe de sociétés à un supplément d’imposition qui correspond à la différence entre l’impôt effectif supporté par certaines entités du groupe et un taux minimum d’imposition, dans l’hypothèse où celui-ci ne serait pas atteint dans certains Etats ; le Cadre inclusif considère que le taux minimum d’imposition devrait s’établir au minimum à 15 %. Il sera appliqué pays par pays. Ainsi, par exemple, la société mère d’un groupe comprenant une filiale imposée à 12,5 % devrait acquitter un surcroît d’imposition de 2,5 % afin que le taux minimum de 15 % soit atteint.

Il convient de bien comprendre à cet égard que le taux effectif d’imposition, s’entend, pour les besoins de cette règle, de façon tout à fait spécifique :

  • l’impôt pris en considération ne sera pas seulement l’impôt sur les sociétés, mais aussi tout autre impôt considéré comme pertinent pour apprécier la réalité de la charge fiscale ;
  • ces impôts seront rapportés à un résultat qui ne sera pas le résultat fiscal, mais un résultat comptable consolidé revisité pour les besoins du pilier 2.

Par ailleurs, les bénéfices réellement imposés en vertu de la règle d’inclusion du revenu ne seront pas les bénéfices pris en compte pour calculer le taux effectif d’imposition. Seuls seront imposés les bénéfices après déduction d’un pourcentage des dépenses de personnel et d’un pourcentage de la valeur des actifs, la somme de ces deux pourcentages étant censée refléter un rendement de routine sur les facteurs de production au sens large ; le bénéfice réellement imposé représenterait ainsi le revenu venant en sus du rendement de routine (l’ « excess income »). La Déclaration du 1er juillet annonce que ce rendement de routine devrait s’établir à 7,5 % de la « valeur amortissable » des actifs corporels et de la masse salariale pendant les cinq premières années d’application du régime, puis à 5 %. Une exclusion de minimis devrait également s’appliquer.

  1. b) Dans l’hypothèse où une société détient, non pas une filiale, mais un établissement stable dans un pays faiblement imposé, le Cadre inclusif recommandait en octobre 2020 la modification des conventions fiscales afin d’y introduire une règle dite « de substitution » (« switch-over rule ») permettant d’imposer les bénéfices des établissements stables dans l’Etat du siège, par dérogation à la méthode de l’exonération.
  2. c) Une règle « relative aux paiements insuffisamment imposés », applicable lorsque, dans l’Etat de la société mère ultime du groupe, il n’existe pas de règle d’inclusion du revenu. La règle relative aux paiements insuffisamment imposés doit alors prendre le relais afin de parvenir, par un autre moyen, au même résultat. Ce moyen est, en l’occurrence, de remettre en cause la déduction de certains paiements intra-groupe afin que l’augmentation corrélative du résultat (et donc de l’impôt) acquitté par le payeur permette d’attendre le seuil minimal d’imposition recherché. La règle sert ainsi de « filet de sécurité » lorsqu’il n’existe pas de règle d’inclusion du revenu.

L’ensemble formé par la règle d’inclusion du revenu et la règle relative aux paiements insuffisamment imposés constitue le dispositif « GloBE » (pour Global Base Erosion).

  1. d) Une règle « d’assujettissement à l’impôt » : elle devrait permettre à l’Etat de source d’un revenu de prélever une retenue à la source sur un paiement transfrontalier afin que la somme de celle-ci et de l’impôt supporté dans l’Etat de l’entité bénéficiaire soit égale à un montant minimum. Une telle règle ne s’appliquerait qu’entre personnes liées, cette notion devant être assez proche de celle figurant à l’article 5.8 du modèle OCDE de 2017. Elle concernerait notamment les paiements d’intérêts et de redevances ainsi que d’autres paiements assimilés et supposerait naturellement une modification des conventions fiscales existantes. Elle ne s’appliquerait, semble-t-il, que dans les relations avec les pays en développement.

On veillera à ne pas confondre le taux minimum requis pour l’application de cette règle et celui retenu pour les règles composant l’ensemble GLOBE. Pour la règle d’assujettissement à l’impôt, la Déclaration du 1er juillet 2021 indique que le taux serait compris entre 7,5 % et 9 %.

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Il n’aura échappé à personne que les réformes en projet sont d’une très grande complexité, et ce d’autant plus qu’elles devront se combiner avec une évolution corrélative du droit de l’Union européenne. Elles mettent en place une interconnexion entre systèmes fiscaux dont l’efficacité supposera, d’une part, une circulation beaucoup plus intense de l’information fiscale à l’intérieur des groupes concernés, et, d’autre part, une coordination sans précédent entre autorités fiscales du monde entier.

Article paru dans Option Finance le 06/09/2021

Auteurs

Daniel Gutmann, avocat associé en droit fiscal

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