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Les cadeaux dans le milieu professionnel : du rire aux larmes

Les cadeaux dans le milieu professionnel : du rire aux larmes

Recevoir un cadeau dans le cadre de sa vie privée réserve rarement de mauvaises surprises, le seul risque encouru étant une déception que l’on masquera par courtoisie tout en remerciant la personne qui a pris le soin d’offrir le cadeau.

L’acceptation d’un cadeau offert par un client ou un fournisseur dans le cadre de l’activité professionnelle peut, quant à elle, avoir des conséquences bien plus importantes pouvant mener jusqu’au licenciement, y compris pour faute grave.

 

Afin de consolider les relations professionnelles et commerciales, certains fournisseurs n’hésitent pas à offrir des cadeaux à leurs clients. En pratique, ce sont les salariés des entreprises clientes qui en sont destinataires, et au final bénéficiaires.

Si certains y voient « un geste commercial », il est aussi possible d’imaginer, lorsque la valeur du cadeau est importante, que cela constitue un moyen d’influencer de futures décisions et une forme d’incitation au favoritisme, voire dans certains cas extrêmes, une forme de corruption.

La frontière peut parfois être très ténue, et mieux vaut pour le salarié ne pas s’aventurer sur ce terrain glissant, sous peine de perdre son emploi.

La lutte contre la corruption a longtemps été, et est encore, un devoir de l’État, le législateur s’étant doté de l’arsenal pénal nécessaire pour y faire face (articles 433-1 et 433-2 du Code pénal).

Cependant, on observe un glissement de cette responsabilité vers des personnes autres que celles dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public ou investies d’un mandat électif et une volonté d’associer les acteurs de la vie économique à ce combat d’intérêt public.

Ainsi, la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 dite « loi Sapin II » impose aux entreprises dont le nombre de salariés et le chiffre d’affaires excédent certains seuils de se doter d’un code de conduite qui sera intégré au règlement intérieur.

L’article 17-II-3 de cette loi précise que ce code a vocation à définir et illustrer « les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence ».

Une importance particulière est accordée aux relations avec les clients et les fournisseurs par les articles 17- II – 4 et 17 – II – 7 de la loi précitée qui prévoient l’instauration de « procédures d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires… » et imposent de prévoir un « régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite de la société ».

 

La nécessité de contrôler le respect des règles édictées dans le code de conduite, et d’en sanctionner les manquements est d’autant plus importante que la responsabilité de l’entreprise pourrait être engagée si un manquement venait à être constaté (article 17 – II – 8 de la loi du 9 décembre 2016).

 

La jurisprudence fait preuve de fermeté lorsqu’elle est amenée à se prononcer sur la légitimité des licenciements prononcés à l’encontre des salariés qui ont accepté des cadeaux des fournisseurs ou des clients.

Pour certains juges, constitue une faute grave justifiant un licenciement de ce chef, le fait pour une salariée d’avoir accepté et commandé des cadeaux d’un fournisseur (en l’occurrence, deux Ipad Mini). La salariée avait demandé à ce que ces cadeaux soient livrés à son domicile, ce qui permettait, selon la Cour d’appel, de caractériser une volonté de dissimulation de sa part (CA Angers 29 mai 2020 n° 18/00395).

Cette Cour d’appel a également relevé que la salariée ne pouvait ignorer les règles applicables dès lors que celles-ci ont été largement rappelées dans plusieurs documents internes diffusés aux salariés, et exploités dans le cadre de formations.

On retiendra que les 18 années d’ancienneté de la salariée ne sont pas venues à son secours, pas plus que la valeur modique de ces cadeaux qui avoisinait la somme de 500 euros, la salariée ne les ayant finalement pas reçus car la société s’en est aperçue et a annulé la commande.

 

A également été jugé justifié le licenciement d’un salarié qui a accepté un cadeau d’une valeur de 2 500 euros offert par un fournisseur, alors que le règlement intérieur prévoyait que les salariés ne pouvaient accepter que des cadeaux d’une valeur de 150 euros maximum, et après information de leur hiérarchie (CA Versailles 12 mars 2013 n° 11/04740).

Le fait d’accepter un cadeau d’une valeur plus de 16 fois supérieure au maximum autorisé, et sans en informer la hiérarchie, était donc contraire aux règles internes de la société qui étaient matérialisées par plusieurs codes, notamment un code de conduite professionnel et une politique en matière de cadeaux et marques de courtoisie.

 

Ces décisions peuvent paraître sévères, mais elles se justifient sans doute par le fait que le licenciement ne vient pas sanctionner uniquement la réception du cadeau. Il vient aussi sanctionner le fait de tirer profit de sa fonction pour s’enrichir sans cause, le non-respect des règles internes de l’entreprise, un manquement à l’obligation de loyauté à laquelle est tenu le salarié voire parfois, les prémices d’une corruption.

 

Les décisions de jurisprudence doivent donc être appréhendées à la lumière des éléments précités, ce qui rend la question des conséquences pécuniaires du manquement moins centrale qu’elle ne pourrait l’être dans d’autres cas (erreur de caisse, etc.).

 

Précisons aussi que ces jurisprudences n’ont pas vocation à s’appliquer à toutes les situations à l’occasion desquelles un salarié pourrait recevoir un cadeau.

Ainsi, les cadeaux d’une valeur dérisoire offerts à l’occasion d’un événement particulier et sans aucune dissimulation ne devraient pas être concernés (exemple : boite de chocolats offerte par un client à Pâques ou à Noël, etc.).

Outre le fait de recevoir directement des cadeaux de la part des clients ou des fournisseurs, d’autres comportements consistant pour un salarié à obtenir un avantage qui ne lui est pas destiné peuvent également être sanctionnés.

Ainsi, constitue un comportement fautif justifiant son licenciement pour faute grave le fait pour une salariée caissière d’ajouter des points sur sa carte de fidélité lors du passage en caisse des clients n’utilisant pas leur propre carte de fidélité. Il importe peu à cet égard que les clients soient d’accord (CA Toulouse 06 juillet 2006 n° 05/05099).

De même, constitue une faute grave le fait pour un salarié de revendre pour son propre compte des produits appartenant à la société, et détournés des « cadeaux vendeuses » (Cass. Soc. 14 décembre 2004 n° 02-46.669).

Il en va de même pour le salarié qui détourne des tickets cadeaux destinés à la clientèle (Cass. Soc. 28 mars 2018 n° 16-12.963).

Le caractère occulte de la démarche du salarié est souvent un indice permettant de caractériser une volonté de dissimuler ses agissements et participe peut-être aussi à démontrer que le salarié avait conscience du caractère fautif de son acte.

Pour faire face à de telles situations, le règlement intérieur de l’entreprise peut constituer un outil précieux permettant de porter à la connaissance des salariés les comportements répréhensibles et de sanctionner les éventuels manquements.

 

L’importance du règlement intérieur, du code de déontologie et/ou du code de bonne conduite

Il convient de rappeler, tout d’abord, que toute entreprise d’au moins 50 salariés doit se doter d’un règlement intérieur (article L.1311-2 du Code du travail), lequel n’est opposable aux salariés que s’il a été soumis à l’avis du comité social et économique (CSE), transmis à l’inspection du travail et fait l’objet de l’ensemble des formalités de dépôt et de publicité (articles L. 1321-4, R. 1321-1, R. 1321-2, R. 1321-4 du Code du travail)

Par ailleurs et en application de l’article L. 533-10 du Code monétaire et financier, les prestataires de services d’investissement (donc essentiellement les établissements bancaires) doivent s’assurer que les personnes agissant pour leur compte (notamment leurs salariés) respectent les dispositions applicables aux sociétés de gestion de portefeuille. Elles doivent en particulier, fixer les conditions et limites dans lesquelles ces dernières peuvent effectuer pour leur propre compte des transactions personnelles.

 

C’est en application de ce texte qui prévoit également que « ces conditions et limites sont reprises dans le règlement intérieur et intégrées au programme d’activités des prestataires » que ces établissements se dotent d’un « code de déontologie », d’une « charte d’éthique » ou encore de « codes de bonne conduite ».

 

La Cour de cassation a précisé récemment (Cass. Soc. 5 mai 2021 n° 19-25.699) qu’un code de déontologie qui édicte des règles dans les matières couvertes par le règlement intérieur constitue une adjonction à ce dernier dès lors qu’il a été soumis à l’avis des institutions représentatives du personnel, transmis à l’inspection du travail et soumis aux mêmes formalités de dépôt et de publicité que le règlement intérieur.

Il importe peu à cet égard que le code de conduite ne soit pas formellement intégré au règlement intérieur (Cass. Soc. 05 mai 2021 n° 19-25.699).

Certaines entreprises se sont donc dotées d’un code de bonne conduite ou d’éthique destinés à empêcher les salariés de tirer avantage de leur position à des fins personnelles.

Il n’est pas rare que ces codes contiennent des stipulations destinées à empêcher les salariés de recevoir des cadeaux de la part des clients et ce pour des raisons évidentes de lutte contre les conflits d’intérêts, voire parfois d’une prévention de toute corruption.

 

Dans la continuité des décisions précédemment citées, la Cour de cassation fait preuve de fermeté en la matière, et considère que les manquements aux règles découlant de ces codes peuvent être sanctionnés par un licenciement.

 

Ainsi et à titre d’illustration, elle a cassé un arrêt d’appel qui avait déclaré le licenciement d’un salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse au motif que les faits qui lui étaient reprochés relevaient de sa vie privée et qu’aucune sanction ne pouvait lui être infligée en l’absence de preuve d’un trouble dans l’entreprise.

En l’espèce, le Directeur d’une agence bancaire avait fait réaliser par un artisan, client de l’agence qu’il dirigeait, des travaux dans cinq biens immobiliers, et l’artisan lui avait cédé un véhicule. Ni les travaux ni le véhicule n’ont été payés.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel en estimant que les motifs des juges du fond étaient inopérants dans la mesure où ces derniers auraient dû rechercher, comme il leur était demandé, si l’acceptation de cadeaux importants de la part d’un client ne constituait pas un manquement aux obligations découlant du contrat de travail, et plus précisément, du code de conduite en vigueur dans l’entreprise (Cass. Soc. 31 mars 2021 n° 19-23.144).

 

Le sort des cadeaux offerts par l’employeur ou le CSE

Outre les clients et les fournisseurs, l’employeur ou le comité social et économique (CSE) lorsqu’il existe, peuvent offrir des cadeaux aux salariés.

L’ACOSS (Lettre circulaire ACOSS n° 2002-007 du 09 janvier 2002) admet une tolérance permettant d’exonérer des cotisations et contributions de sécurité sociale les cadeaux offerts par le CSE. Dans les entreprises de moins de 50 salariés et dans celles d’au moins 50 salariés dépourvues de CSE, les cadeaux peuvent être directement offerts par l’employeur à ses salariés.

La tolérance est applicable dès lors que leur montant n’excède pas 5 % du plafond mensuel de sécurité sociale (soit 171 € pour 2021). Si le montant excède ce plafond, l’exonération n’est acquise que si le cadeau se rattache à un événement particulier, et que les conditions d’exonération propres à cet événement sont respectées (Cf lettre circulaire ACOSS n° 2002-007 du 09 janvier 2002 et site internet de l’URSSAF).

Notons que si l’URSSAF respecte généralement cette tolérance, celle-ci demeure dépourvue de toute portée normative et n’est pas légalement opposable à l’organisme de recouvrement (Cass. Soc. 30 mars 2017 n° 15-25.453).

Les assurés ne pourront légalement se prévaloir de cette exonération devant les tribunaux que lorsqu’elle sera actée et publiée au bulletin officiel de la sécurité sociale. Au jour de la rédaction de la présente, cette publication n’est toujours pas intervenue.

En définitive, on retiendra que seuls les cadeaux offerts par l’employeur ou le CSE peuvent être acceptés sans difficulté, ceux émanant des fournisseurs ou des clients peuvent parfois, en dépit des bonnes intentions, être des cadeaux empoisonnés !

 

Article publié dans Les Echos le 13/07/2021

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