Mise en place du CSE : la Cour de cassation ajoute un critère de détermination des établissements distincts
18 juin 2021
La Cour de cassation, dans une affaire suivie par le cabinet CMS Francis Lefebvre, poursuit sa construction jurisprudentielle sur la notion d’établissement distinct et juge, pour la première fois, que le niveau de mise en place des comités sociaux et économiques (CSE) doit être de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentative du personnel (Cass. soc., 9 juin 2021, n° 19-23.153).
Analyse
Les entreprises d’au moins 11 salariés doivent organiser des élections en vue de la mise en place d’un CSE. Dans les entreprises à structure complexe, les élections ont lieu au niveau de chaque établissement d’au moins 11 salariés constituant un établissement distinct, et implique la mise en place d’un comité social et économique central, au niveau de l’entreprise.
Le nombre de CSE d’établissement dépend ainsi de la reconnaissance d’établissements distincts.
Les critères de reconnaissance de l’établissement distinct
La détermination du nombre et du périmètre d’établissements distincts peut intervenir par accord collectif d’entreprise, ou à défaut, par accord entre l’employeur et le CSE adopté à la majorité des membres titulaires de la délégation du personnel au comité. Dans ces deux cas, les parties sont libres de définir comme elles le souhaitent les établissements distincts.
Ce n’est qu’après avoir loyalement, mais vainement, tenté de négocier un tel accord que l’employeur peut les fixer par décision unilatérale « compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’entreprise, notamment en matière de gestion du personnel » (C. trav., art. L.2313-4 ; Cass. soc., 17 avril 2019, n° 18-22.948).
En cas de litige portant sur la décision de l’employeur, le nombre et le périmètre des établissements distincts sont fixés par l’autorité administrative. Cette décision est elle-même susceptible de recours devant le Tribunal judiciaire.
Au cas d’espèce, au cours des négociations sur le nombre et le périmètre des d’établissements distincts, les organisations syndicales ont sollicité un découpage de la société en trois établissements correspondant aux trois grandes familles de métiers, à savoir, un établissement distribution, un établissement engineering et manufacturing et un établissement fonctions support et HQ.
De son côté, l’entreprise contestait ce découpage au motif que l’organisation économique de la société n’était pas compatible avec la reconnaissance d’établissements distincts en l’absence de toute autonomie à un niveau autre que celui de l’entreprise, impliquant dès lors la mise en place d’un seul CSE.
A la suite de l’échec des négociations, la société a décidé unilatéralement la mise en place d’un CSE unique. La Direccte, devenue la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS), saisie du litige, a fait droit à la demande des organisations syndicales et a fixé à trois le nombre d’établissements distincts.
Cette décision a été confirmée par le tribunal judiciaire de Versailles au motif que ces trois pôles disposaient chacun d’un responsable des ressources humaines doté de compétences et d’une autonomie suffisante en matière de gestion du personnel.
Saisie par l’entreprise d’un pourvoi en cassation, la chambre sociale casse la décision du Tribunal judiciaire.
L’appréciation du critère de l’autonomie de gestion
Dans son pourvoi devant la Cour de cassation, la société soutenait que le découpage en trois établissements distincts ne permettait pas aux CSE d’établissements d’exercer efficacement leurs attributions et qu’il n’existait pas d’autonomie au niveau de ces établissements tant au plan économique qu’au plan des ressources humaines.
Au terme d’un rappel des principes dégagés antérieurement, la Cour de cassation fait droit au raisonnement de la société.
S’agissant de la reconnaissance d’un établissement distinct, la Haute juridiction :
• rappelle, dans un premier temps, que le critère déterminant pour caractériser l’établissement distinct justifiant la mise en place d’un CSE est son « autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service », notamment en raison de l’étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable (voir en ce sens, Cass. soc., 19 décembre 2018, n° 18–23.655). Pour la première fois, cependant, la Cour de cassation précise que cette autonomie de décision en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service doit être effective (Ct 10) ;
• réitère, ensuite, sa jurisprudence selon laquelle « la centralisation de fonctions support ou l’existence de procédures de gestion définies au niveau du siège ne sont pas de nature à exclure en elles-mêmes l’autonomie de gestion des responsables d’établissement ». En effet, dans un tel cas, la Cour de cassation a déjà jugé que l’autonomie de gestion était caractérisée dès lors qu’il existe des délégations de pouvoirs dans des domaines de compétences variés et des accords d’établissements (Cass., 11 décembre 2019, n° 19-17.298) ou s’il existe une autonomie budgétaire et une autonomie en matière de gestion du personnel (Cass. soc., 22 janvier 2020, n° 19-12.011) ;
• confirme l’étendue du contrôle de la Direccte et du Tribunal judiciaire pour apprécier l’existence d’établissements distincts : « lorsqu’ils sont saisis d’un recours dirigé contre la décision unilatérale de l’employeur, le direccte, par une décision motivée, et le tribunal [judiciaire] se fondent, pour apprécier l’existence d’établissements distincts au regard du critère d’autonomie de gestion ainsi défini, sur les documents relatifs à l’organisation interne de l’entreprise que fournit l’employeur, et sur les documents remis par les organisations syndicales à l’appui de leur contestation de la décision unilatérale prise par ce dernier « ( en ce sens, Cass. soc., 22 janvier 2020, n° 19-12.011). Il appartenait donc au juge au regard des éléments produits de rechercher si les responsables des établissements concernés avaient effectivement une autonomie de décision suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service. Ce faisant la Cour de cassation censure la décision des juges du fond qui avait conféré un poids prépondérant à l’autonomie de gestion en matière de gestion du personnel à travers l’autonomie de trois responsables des ressources humaines.
La détermination d’un nouveau critère
La Cour de cassation précise, pour la première fois que la reconnaissance d’établissements distincts au niveau retenu « doit être de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentative du personnel » ce qu’il appartient au juge de vérifier. Elle censure donc également la décision des juges du fond pour n’avoir pas procédé à cette recherche.
Ce faisant la Cour de cassation prend en compte l’argumentation de l’employeur qui avait souligné que le découpage de l’entreprise en trois établissements distincts sur la base des périmètres de postes des responsables de ressources humaines n’était pas pertinent compte tenu de l’interdépendance des activités organisées de manière matricielle.
Faisant preuve d’un grand pragmatisme, la chambre sociale – qui a retenu une solution identique dans un autre arrêt daté du même jour (Cass. soc., 9 juin 2021, n° 19-23.745) – ajoute à l’autonomie de gestion, un second critère déterminant.
Ainsi, le niveau retenu pour la reconnaissance d’un établissement distinct doit permettre l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentative du personnel.
L’affaire est renvoyée devant le même Tribunal judiciaire autrement composé auquel il appartiendra de se prononcer à nouveau au regard de la décision de la Cour de cassation.
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