Indemnités kilométriques : nul besoin que le salarié soit propriétaire du véhicule pour bénéficier des exonérations sociales
5 mai 2014
Dans un arrêt du 23 avril dernier, la cour d’appel de Rennes a sanctionné une pratique des URSSAF consistant à considérer que le barème fiscal ne pourrait être utilisé qu’à la condition que les salariés utilisent, pour leurs déplacements professionnels, un véhicule dont ils sont propriétaires.
Rappel des règles applicables aux indemnités kilométriques
En application de l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale, toutes les sommes versées aux salariés en contrepartie ou à l’occasion du travail doivent être soumises à cotisations sociales, à l’exclusion des remboursements de frais professionnels. Les frais professionnels s’entendent des charges de caractère spécial inhérentes à la fonction ou à l’emploi du salarié, qu’il supporte au titre de l’accomplissement de ses missions.
En principe, la détermination du montant des frais professionnels exonérés de cotisations sociales est réalisée sur une base réelle. En cas de contrôle URSSAF, l’employeur doit être en mesure de produire tous les justificatifs des frais engagés par les salariés.
Pour certains types de frais, l’employeur peut toutefois opter pour une évaluation forfaitaire, dans le respect des règles établies par l’arrêté du 20 décembre 2002. Il n’a alors pas à fournir de pièces justificatives, sous réserve de respecter les conditions d’application des forfaits prévues par cet arrêté : les indemnités versées sont «réputées avoir été utilisées conformément à leur objet».
Tel est le cas des indemnités forfaitaires kilométriques versées pour indemniser les salariés qui utilisent leur véhicule personnel pour des déplacements professionnels : si le montant de ces indemnités ne dépasse pas les limites fixées par les barèmes kilométriques annuellement publiées par l’administration fiscale, l’article 4 de l’arrêté précité dispose qu’elles sont réputées utilisées conformément à leur objet.
Elles sont donc exonérées de cotisations sociales sans que l’employeur ait à fournir d’autres justificatifs que des documents attestant du moyen de transport utilisé par le salarié, de la puissance fiscale de son véhicule et de la distance parcourue chaque mois à l’occasion des déplacements professionnels.
Pour les URSSAF, le barème fiscal ne pourrait être utilisé que si le salarié est propriétaire du véhicule utilisé pour ses déplacements professionnels
Depuis quelques années, certaines URSSAF refusent que les employeurs recourent au barème fiscal lorsque les salariés ne sont pas propriétaires du véhicule qu’ils utilisent pour leurs déplacements professionnels. Les inspecteurs ont ainsi pris l’habitude d’exiger la production des cartes grises des véhicules utilisés, afin de vérifier si elles sont bien établies au nom des salariés.
Les URSSAF fondent leur position sur les instructions fiscales qui accompagnent chaque année le barème fiscal, et qui indiquent que le barème fiscal ne peut être utilisé que pour les véhicules dont le salarié lui-même ou, le cas échéant, son conjoint ou l’un des membres de son foyer fiscal, est personnellement propriétaire ou copropriétaire.
Transposant ces règles fiscales au droit de la sécurité sociale, les URSSAF en ont conclu que les employeurs ne pouvaient avoir recours au barème fiscal que pour les salariés qui utilisent, pour leurs déplacements professionnels, un véhicule dont ils sont propriétaires ou copropriétaires.
Lorsque cette condition n’est pas remplie, les URSSAF notifient des redressements, peu important que le montant des indemnités versées soit demeuré dans les limites du barème fiscal car elles estiment que ce dernier n’est alors pas applicable.
Une pratique condamnée par la cour d’appel de Rennes
Cette position a été condamnée par la cour d’appel de Rennes dans un arrêt du 23 avril dernier, qui a confirmé une décision du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Nantes du 8 février 2013.
Les juges du fond ont considéré que les instructions fiscales sur lesquelles les URSSAF fondent leur position n’étaient pas transposables au droit de la sécurité sociale.
Ils ont relevé que le renvoi par l’article 4 de l’arrêté du 20 décembre 2002 aux dispositions prescrites en matière fiscale ne concernait que les limites de l’exonération de cotisations sociales, mais en aucun cas ses conditions d’application.
Pour ce qui concerne les conditions d’application de l’exonération sociale des indemnités kilométriques, il suffit que le salarié utilise son véhicule personnel à des fins professionnelles. Les URSSAF ont donc limité à tort le champ d’application de ce texte en exigeant que le salarié soit propriétaire du véhicule utilisé.
La notion de véhicule personnel est plus large : la Cour d’appel a considéré qu’il s’agissait du «véhicule détenu et habituellement utilisé par le salarié pour ses activités d’ordre privé sans qu’il en soit nécessairement (co)propriétaire».
Le délai de pourvoi contre cette décision n’étant pas expiré à la date des présentes, il n’est pas exclu que l’URSSAF la conteste en saisissant la Cour de cassation.
A propos des auteurs
Nicolas de Sevin, avocat associé. Il intervient tant dans le domaine du conseil que du contentieux collectif. Son expertise contentieuse concerne principalement : les restructurations : transfert des contrats de travail, mise en cause des conventions collectives …,les PSE/PDV, contentieux du licenciement collectif, le droit des comités d’entreprise, les expertises (CE/CHSCT, …), le contentieux électoral, la négociation collective, le droit syndical, l’aménagement du temps de travail (accord 35 heures, récupération, …), les discriminations, le droit pénal du travail : entrave, marchandage, CDD/intérim et les conflits collectifs.
Sandra Petit, avocat, spécialisée en matière de conseil et de contentieux pour des entreprises françaises et étrangères.
Article paru dans Les Echos Business le 5 mai 2014
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