La réunion d’équipe qui tourne mal, une source potentielle d’accident du travail ou de maladie professionnelle ?
12 juillet 2019
On le sait, l’un des critères qualifiants du contrat de travail est le lien de subordination, communément défini comme la faculté pour l’employeur de donner des directives à son salarié, d’en contrôler, le respect et de sanctionner ses éventuels manquements.
En pratique, l’exercice par l’employeur de ses prérogatives se matérialise notamment par l’organisation d’entretiens, d’échanges ou de réunions – formelles ou informelles – avec le salarié, à l’occasion desquelles le premier peut être conduit à signaler au second certaines insuffisances et l’inviter à y remédier.
Or, les divergences de vues entre les protagonistes peuvent être sources d’altercations plus ou moins vives.
Et il est n’est pas rare que, peu après, le salarié fasse état d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, en produisant un certificat médical mentionnant au titre, des constatations, un « syndrome anxieux à la suite d’une altercation directe avec son employeur » ou bien encore un « syndrome anxio-dépressif invalidant réactionnel ».
Eclairages sur une situation pour le moins fréquente.
La nécessité pour l’employeur de bannir les remontrances excessives
Que ses critiques portent sur la qualité du travail fourni par le salarié ou le comportement de celui-ci, l’employeur doit veiller à les émettre avec une certaine retenue et ne saurait en tout état de cause agresser – verbalement ou physiquement – le salarié auquel il les adresse.
Une exigence rappelée par la cour d’appel de Paris (1), à propos d’une salariée soutenant avoir été victime d’un choc émotionnel à la suite du refus par son employeur de lui accorder les congés, qui lui avaient pourtant été initialement consentis.
L’intéressée faisait valoir que son employeur avait haussé le ton, la traitant de « menteuse, de folle, de bonne à rien, » la menaçant même de la licencier pour faute grave si elle n’obtempérait pas.
L’employeur récusait pour sa part ces accusations. A l’appui de sa contestation de la prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle, il ajoutait que la déclaration litigieuse était destinée à servir la cause de la procédure prud’homale intentée par la salariée, à la suite de son licenciement intervenu pour faute grave.
Dans ce contexte, après avoir rappelé le principe selon lequel la matérialité de l’accident du travail est établie par la preuve de la survenance d’une lésion d’origine accidentelle aux temps et lieu du travail, la cour d’appel de Paris a constaté que les « témoins directs » de l’altercation avaient unanimement déclaré qu’une altercation avait opposé la salariée et l’employeur, et que ce dernier avait proféré des insultes et des menaces.
Surtout, la cour d’appel de Paris a observé que les sapeurs-pompiers étaient intervenus dans les locaux de l’entreprise à la suite de cette altercation et qu’ils avaient transporté la salariée à l’hôpital, où le médecin des urgences avait prescrit un arrêt maladie d’une semaine pour « anxiété, problème lié au travail ».
Dans ces conditions, la cour d’appel de Paris a jugé que l’altercation était à l’origine d’un choc émotionnel caractéristique d’une lésion survenue aux temps et heure du travail et que cet accident devait, indépendamment du contexte conflictuel opposant au plan du travail la salariée à son ancien employeur, être pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels.
On relèvera à cet égard que la cour d’appel de Paris a statué à l’aune des déclarations faites par les « témoins directs » de l’altercation.
Une précision qui pourrait sembler anodine mais qui est en réalité décisive dans la solution retenue par la Cour, et sur laquelle nous aurons l’occasion par la suite d’insister.
La modération des critiques pour limiter le risque de reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle
On l’a vu : le manque de mesure de l’employeur dans la formulation de ses reproches au salarié peut occasionner la reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
Inversement, dès lors que les critiques adressées au salarié sont adaptées dans leur forme, il sera plus difficile pour ce dernier d’établir qu’il a été victime d’un choc émotionnel sur son lieu de travail et, partant, d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
C’est précisément ce qu’il ressort d’un arrêt récent rendu par la cour d’appel de Bordeaux (2) à propos d’un conflit intervenu entre un salarié et son responsable hiérarchique direct à l’occasion d’une réunion d’atelier.
La discussion s’était rapidement envenimée lorsque le salarié avait mis en cause son interlocuteur, en lui reprochant d’avoir modifié une note d’atelier avant de le traiter de menteur.
Réciproquement, le responsable hiérarchique s’était fendu de commentaires acerbes au sujet du salarié, indiquant à ce dernier qu’il réalisait le travail de l’atelier en fonction de ses disponibilités et de son bon vouloir, et non en fonction de la demande de son manager.
Un conflit à tout le moins ordinaire, dont l’origine n’appelle du reste pas davantage de commentaires. On les réservera plutôt à la solution retenue par la cour d’appel de Bordeaux.
Sur la base des déclarations des témoins de l’altercation, ladite cour d’appel de Bordeaux a observé que l’échange verbal, certes houleux et marqué par l’emportement de chacune des parties, n’avait toutefois pas dépassé les limites du raisonnable.
De sorte qu’en l’absence de comportements excessifs de la part du responsable hiérarchique, la Cour a estimé que les échanges litigieux ne pouvaient être à l’origine du syndrome dépressif aigüe dont souffrait le salarié.
Il est intéressant d’observer que, pour dénier tout caractère professionnel à cette pathologie, la cour d’appel de Bordeaux prend soin de relever que l’état de santé psychique dégradé du salarié avait déjà été signalé à la médecine du travail, et que l’intéressé s’était déjà plaint auprès de son directeur d’un sentiment de manque de reconnaissance.
De sorte que le seul fait qu’il soit sorti en larmes de la réunion n’était aucunement concluant.
D’où l’intérêt pour l’employeur d’être vigilant à l’égard de l’état de santé de ses collaborateurs, afin d’éviter que le mal-être de certains d’entre eux dégénère en situation de souffrance au travail et, in fine, en potentiel accident du travail ou en maladie professionnelle.
L’importance des déclarations établies par les témoins directs de l’altercation
On l’aura compris : la frontière est le plus souvent ténue entre des échanges houleux sans conséquences, et l’altercation sérieuse susceptible de générer un accident du travail ou une maladie professionnelle.
Et pour tout dire, l’appréciation des juridictions de sécurité sociale sera en règle générale fonction des témoignages et attestations versés aux débats par chacune des parties.
Dans ce cadre, il n’est pas rare que le salarié se prévale des témoignages de collègues de travail qu’il est allé trouver après l’altercation, voire de son médecin traitant qu’il est allé consulter après cet événement.
Toutefois, la jurisprudence considère que ces éléments ne sont pas toujours concluants en eux-mêmes et ne peuvent suffire à eux seuls à établir l’origine professionnelle du sinistre déclaré.
Une solution qu’a récemment rappelée la cour d’appel de Douai (3) dans le cadre d’un contentieux opposant un employeur à la CPAM de Lille-Douai, au sujet d’un salarié ayant eu une altercation avec le président directeur général de l’entreprise, le second ayant traité le premier de « cerveau de poule ».
A l’appui de sa décision de reconnaissance de l’origine professionnelle de l’accident invoqué par le salarié, la CPAM de Lille-Douai faisait état essentiellement du témoignage d’un infirmier de l’entreprise, lequel expliquait avoir croisé l’intéressé sortant de la réunion litigieuse et qui lui avait semblé « sur les nerfs et tremblant ».
La cour d’appel de Douai n’a toutefois pas suivi l’argumentation développée par la CPAM, estimant au contraire que « la réalité́ d’une ‘violente altercation’ ou ‘altercation sérieuse et grave’ selon les termes qu’il rapporte au médecin du travail n’est pas établie puisque Emmanuel [l’infirmier] n’a pas assisté́ à la scène et n’en a pas été́ témoin auditif ».
Et la cour d’appel de Douai d’ajouter que « les constatations de celui-ci bien qu’infirmier au sein de l’entreprise ne peuvent revêtir la qualification de constatations médicales ce d’autant qu’être ‘sur les nerf, affecté ou tremblant’ ne caractérise pas des lésions susceptibles de donner lieu ensuite à un arrêt de travail ».
En somme, attestations et témoignages ont toute leur importance dans le contentieux de la reconnaissance du caractère professionnel d’un sinistre, sous réserve qu’ils soient établis par un témoin direct de l’événement.
Les éléments médicaux versés aux débats par le salarié auront également leur importance.
Il est enfin conseillé au salarié, en pareille situation, d’évoquer par écrit (par courrier et/ou par mail) la manière dont il a vécu les évènements, en circonstanciant l’échéance, l’entretien ou la réunion.
(1) CA Paris, 08-12-2016, n° 14/06055
(2) CA Bordeaux, 02-05-2019, n° 17/03128
(3) CA Douai, 21-12-2018, n° 16/02413
Article publié dans Les Echos le 12/07/2019
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