La fin de la présomption de légalité des accords mettant en place le travail de nuit ?
24 janvier 2020
Si l’ordonnance n° 2017-1385 n’a pas institué une présomption de légalité pour tous les accords collectifs afin de les sécuriser, comme cela avait été initialement envisagé, elle l’a fait cependant pour les accords collectifs, de branche ou d’entreprise, instaurant le travail de nuit.
Elle a ainsi rajouté à l’article L.3122–15 du Code du travail relatif aux accords collectifs mettant en place le travail de nuit un alinéa rédigé comme suit : « Cette convention ou cet accord collectif est présumé négocié et conclu conformément aux dispositions de l’article L.3122–1« .
Cette disposition a été inspirée par un arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 22 septembre 2016 (n° 15/05048) dans une affaire où le cabinet défendait la société Auchan.
Pour admettre la licéité du travail de nuit dans deux établissements d’Auchan, la Cour d’appel s’est fondée sur le fait que
« la justification du recours au travail de nuit par voie de convention ou accord collectif, négocié et signé par des organisations syndicales représentatives investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, est présumée établie et ses modalités justifiées, de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont contraires aux dispositions légales qui les régissent« .
En l’espèce, la Cour d’appel a estimé que les syndicats n’apportaient pas cette preuve contraire.
La chambre criminelle de la Cour de cassation a été saisie, sous l’empire de cette nouvelle législation, d’une affaire de police relative à l’ouverture de nuit d’un Monoprix dans le 11e arrondissement de Paris.
Le Tribunal de police a déclaré les faits établis, prononcé des amendes et alloué des sommes aux parties civiles.
La cour d’appel de Paris a infirmé ce jugement et relaxé les prévenus de l’infraction de mise en place illégale du travail de nuit dans une entreprise.
La Cour d’appel a retenu une motivation en trois temps :
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- en premier lieu, l’article 5–12 de la Convention collective nationale du commerce de détail de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001 autorise expressément le travail de nuit et prévoit des compensations et des garanties liées au volontariat des salariés concernés ;
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- la Cour d’appel a relevé, en deuxième lieu, l’utilité sociale d’un commerce alimentaire ouvrant après 21 heures dans une grande métropole, où de nombreux travailleurs finissent leur activité professionnelle très tard le soir et doivent entreprendre de longs trajets pour rentrer chez eux ;
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- enfin, la Cour d’appel a estimé que, depuis l’ordonnance n° 2017–1387 du 22 septembre 2017, il est conféré à un tel accord collectif une présomption de légalité, que les parties civiles n’avaient pas renversée en l’espèce.
La Cour de cassation a cassé cet arrêt par une motivation qui est, elle aussi, en trois temps :
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- la chambre criminelle rappelle, d’abord, qu’il résulte de l’article L.3122–1 du Code du travail qu’il ne peut être recouru au travail de nuit que de façon exceptionnelle en considération de la situation propre à chaque établissement ;
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- elle affirme ensuite que « l’existence d’une convention collective, dût-elle être présumée valide, ne suffit pas à établir que ces conditions sont réunies«Â
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- elle en déduit, enfin, qu’il appartenait à la Cour d’appel « de mieux contrôler si ces exigences étaient remplies dans le cas de l’établissement en cause, fût-ce en écartant les clauses d’une convention ou accord collectif non conforme« .
La chambre sociale de la Cour de cassation sur des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de l’article L.3122-15 du Code du travail, a adopté en 2019 une position très proche (Cass. soc., 30 janv. 2019, n° 17-22.018).
Pour rejeter la demande d’un salarié au titre du travail de nuit, la cour d’appel de Reims avait estimé que le travail de nuit dans les entreprises de la métallurgie est prévu par l’accord collectif du 3 janvier 2002 et que cet accord rappelle la nécessité d’y recourir pour assurer la continuité de l’activité économique.
La chambre sociale a censuré ce raisonnement en estimant que la Cour d’appel aurait dû rechercher, comme il lui était demandé, si le recours au travail de nuit au sein de la société était justifié par la nécessité d’assurer la continuité de son activité économique et était indispensable à son fonctionnement.
Par cet arrêt, la Cour de cassation prend beaucoup de liberté avec la loi et avec les accords collectifs :
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- avec la loi : le législateur a instauré une présomption de légalité des accords sur le travail de nuit. Quoi qu’on en pense sur le fond, la loi est la loi : elle s’impose à tous et d’abord au juge qui ne pouvait pas écarter délibérément et ostensiblement cette présomption ;
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- avec les accords collectifs : toute l’évolution du droit du travail depuis le rapport Combrexelle tend à renforcer dans nos relations de travail la place de l’accord collectif et notamment de l’accord d’entreprise. Beaucoup d’espoirs avaient été mis dans les arrêts du 27 janvier 2015 qui ont reconnu une présomption de légalité à certains accords collectifs (Cass. soc., 27 janv. 2015, n° 13-22.179 et n° 13-25.437). Aujourd’hui, la chambre sociale tourne le dos à cette jurisprudence : ce faisant, elle tourne aussi le dos à l’évolution de nos relations sociales.
Cass. crim., 7 janv. 2020, n° 18-83.074
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