Articulation entre accord de groupe et accord d’entreprise : le principe de faveur s’apprécie globalement pour l’ensemble du personnel du groupe
31 janvier 2020
Afin d’éviter le conflit entre les stipulations d’un accord de groupe et celles d’un accord d’entreprise, la loi Travail du 8 août 2016 permet à un accord de groupe de prévoir expressément que ses stipulations se substituent aux stipulations ayant le même objet des conventions ou accords conclus antérieurement ou postérieurement, dans les entreprises ou les établissements compris dans le périmètre de cet accord (C. trav., art. L.2253-5).
Avant l’entrée en vigueur de la loi ou en l’absence d’une telle stipulation, l’articulation entre les normes conventionnelles est réglée par application du principe de faveur, dont l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 8 janvier 2020 (n° 18-17.708) donne une nouvelle illustration.
A titre liminaire, il convient de rappeler que le principe de faveur est un principe général du droit du travail selon lequel lorsque plusieurs avantages ont le même objet, ils ne se cumulent pas mais seul le plus favorable au salarié doit être appliqué. En effet, aux termes de l’article L.2251-1 du Code du travail, « une convention ou un accord peut comporter des stipulations plus favorables que les dispositions légales en vigueur […] ». La jurisprudence a précisé les modalités d’application de ce principe lorsque deux accords collectifs sont également applicables dans une entreprise :
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- la comparaison doit alors s’effectuer avantage par avantage et globalement pour l’ensemble du personnel (Cass. soc., 25 janv. 1984, n° 81-41.609) ;
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- il en résulte que seule la norme conduisant au résultat le plus favorable pour le plus grand nombre doit être appliquée, les autres étant écartées même pour le petit nombre de salariés pour lesquels elles conduiraient à un résultat plus favorable (Cass. ass. plén., 24 oct. 2008, n° 07-42.799). Cette méthode de comparaison a pour avantage de ne pas imposer d’effectuer la comparaison entre les sources conventionnelles pour chaque situation individuelle dans l’entreprise.
Au cas d’espèce, une entreprise, filiale d’un groupe automobile, avait conclu un accord d’entreprise en 1994 puis un accord « compétitivité, emploi et aménagement réduction du temps de travail » en 1999. Cependant, pour faire face à la baisse de la demande dans le marché automobile européen, un accord de groupe intitulé « Contrat pour une nouvelle dynamique de croissance et de développement social en France » a été conclu en 2013.
Aux termes de celui-ci, le groupe prenait des engagements en matière d’activité globale du groupe et d’emplois (maintien des sites industriels, embauche de 760 salariés, instauration d’un compte épargne-temps) et ce, en contrepartie d’une suppression d’avantages obtenus par accords d’entreprise (retour à une durée de travail hebdomadaire de 35 heures sans augmentation de salaire, perte de la possibilité d’utiliser les jours de congés de formation capitalisés pour bénéficier d’un congé de fin de carrière, perte du choix d’utiliser librement les heures supplémentaires capitalisées au lieu de les faire rémunérer).
Des syndicats de la filiale contestaient l’application de cet accord « donnant-donnant » au personnel de la filiale et sollicitaient ainsi le rétablissement de l’application des stipulations des accords d’entreprise préexistants au nom du principe de faveur.
Dans cet arrêt, la question portait donc sur les modalités d’appréciation du principe de faveur :
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- le caractère plus favorable du régime conventionnel s’apprécie-t-il avantage par avantage ou en tenant compte de l’ensemble des avantages ayant la même cause ?
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- l’intérêt de l’ensemble des salariés doit-il être apprécié au niveau de l’entreprise ou du groupe ?
Les syndicats soutenaient que les salariés de la filiale n’avaient pas bénéficié de réelles contreparties en termes de maintien d’emploi de la part de leur employeur puisque la filiale avait vu ses effectifs baisser.
La cour d’appel de Douai a décidé que l’accord de groupe était globalement plus favorable à l’ensemble des salariés du groupe que l’accord d’entreprise dont l’application devait être écartée.
La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir retenu que la renonciation des salariés à certains avantages avait eu une contrepartie réelle et effective par les engagements du groupe automobile en ce qui concerne le niveau d’activité global de production en France et le maintien d’un certain niveau d’emploi.
Le caractère globalement plus favorable des dispositions de l’accord de groupe pour l’ensemble des salariés du groupe par rapport à celles de l’accord d’entreprise était ainsi caractérisé, la renonciation à certains avantages étant compensée par des engagements de maintien de l’emploi qui avaient été respectés.
Le caractère plus favorable de l’accord de groupe pour l’ensemble des salariés du groupe devait donc conduire à écarter l’application de l’accord d’entreprise conclu au sein de la filiale aux salariés de celles-ci.
Confirmant une solution antérieure, la Cour de cassation valide la méthode de comparaison globale des accords s’agissant d’avantages consentis dans le cadre d’accords « donnant-donnant » par ensemble d’avantages ayant le même objet ou la même cause, au lieu et place de la comparaison avantage par avantage (Cass. soc., 19 févr. 1997, n° 94-45.286 ; Cass. soc., 3 nov. 1999, n° 98-44.271).
Notons que les récentes évolutions législatives ont réduit les situations dans lesquelles deux accords sont applicables et, par conséquent, les cas de recours au principe de faveur pour déterminer la norme applicable :
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- ainsi, à l’exception des matières mentionnées aux articles L.2253-1 et L.2253-2 du Code du travail, les stipulations de l’accord d’entreprise prévalent sur celles de la convention de branche ou de l’accord interprofessionnel (C. trav., art. L.2253-3). Seul l’accord d’entreprise est alors applicable ;
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- de même, un accord de groupe peut, à la condition qu’il le prévoit expressément, se substituer aux dispositions d’un accord d’entreprise, quelle que soit sa date de conclusion (C. trav., art. L.2253-5). Un accord interentreprises peut, dans les mêmes conditions, écarter l’application d’un accord d’entreprise (C. trav., art. L.2253-7) ou d’un accord d’établissement.
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- Le recours au principe de faveur continuera néanmoins à s’appliquer en présence de stipulations ayant le même objet dans des accords de même niveau ou, en l’absence de stipulation expresse, dans un accord de groupe, interentreprises ou d’entreprise écartant l’application des accords de niveau inférieur. Dans les matières mentionnées aux articles L.2253-1 et L.2253-2 du Code du travail, l’accord interprofessionnel ou de branche prime sur l’accord de niveau inférieur sauf garanties au moins équivalentes de celui-ci. Ce dernier principe, qui constitue une nouveauté, devrait s’appliquer dans des conditions similaires à celles du principe de faveur à une exception près : il n’est pas exigé que l’accord de niveau inférieur « fasse mieux » que l’accord interprofessionnel ou de branche, il suffit qu’il fasse aussi bien.
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