Licenciement économique et congé de reclassement : quel point de départ pour la priorité de réembauche ?
26 février 2020
En présence d’un licenciement pour motif économique, qu’il soit individuel ou collectif, la question de l’articulation entre les différentes obligations pesant sur l’employeur afin de favoriser le retour à l’emploi des salariés est loin d’être évidente. Par un arrêt du 11 décembre 2019 (1), la Chambre sociale de la Cour de cassation a, de manière inédite, tranché la question du point de départ de l’obligation de réembauche en cas de congé de reclassement.
Retour sur une décision bienvenue.
Le congé de reclassement : un dispositif complexe à différentes étapes
Lorsqu’une entreprise de plus de 1 000 salariés (2) prononce un licenciement pour motif économique faute d’être parvenue à reclasser en interne le salarié, elle a l’obligation de lui proposer le bénéfice d’un congé de reclassement afin de faciliter son retour à l’emploi.
En pratique, le dispositif du congé de reclassement comporte plusieurs étapes.
- Première étape : le délai de réflexion
La proposition du congé de reclassement est effectuée par l’employeur dans le courrier de notification du licenciement pour motif économique.
Le salarié dispose d’un délai de réflexion de huit jours à compter de la notification de son licenciement pour accepter ou refuser le congé de reclassement. En cas d’acceptation, le congé de reclassement débute à l’issue du délai de réflexion de huit jours. Dans l’intervalle, le salarié est en préavis.
- Deuxième étape : période du congé de reclassement correspondant au préavis
Une fois accepté par le salarié, le congé de reclassement est d’abord imputé sur le préavis, dont le salarié est dispensé d’exécution par l’effet de la loi. Au cours de cette période, le salarié perçoit sa rémunération habituelle aux échéances normales de paie.
- Troisième étape : période du congé de reclassement dépassant la durée du préavis
La durée totale du congé de reclassement, dont la loi prévoit qu’elle se situe entre 4 et 12 mois, excède généralement celle du préavis du salarié. Dans ce cas, le congé de reclassement se poursuit et le salarié perçoit une allocation de reclassement. Le salarié sort des effectifs à l’issue du congé de reclassement, soit de manière anticipée s’il retrouve un emploi, soit au terme de celui-ci.
Articulation entre le congé de reclassement et la priorité de réembauche
Pendant un délai d’un an à compter de la « date rupture du contrat de travail », et si le salarié licencié pour motif économique en fait la demande dans ce même délai, l’employeur doit l’informer de tout emploi devenu disponible et compatible avec sa qualification (3).
La question de l’articulation entre cette priorité de réembauche et le dispositif du congé de reclassement n’était pas évidente. Se posait notamment la question de savoir, lorsqu’un salarié informait l’employeur de son souhait de bénéficier de la priorité de réembauche pendant son congé de reclassement, si l’employeur était immédiatement tenu de l’informer des postes disponibles et compatibles avec sa qualification.
C’est à cette interrogation que la Cour de cassation a répondu par la négative dans son arrêt du 11 décembre dernier, et son raisonnement, identique à celui adopté par l’Administration du travail (4), est implacable.
Dans l’espèce ayant donné lieu à cet arrêt, un salarié licencié pour motif économique au mois d’avril 2015 et ayant accepté un congé de reclassement de 12 mois devant se terminer au mois de mars 2016 a, par courrier du 4 mai 2015, fait connaître à son employeur sa volonté de bénéficier de la priorité de réembauche.
Son ancien employeur ne lui ayant pas proposé les postes disponibles dans l’entreprise pendant la période du congé de reclassement, le salarié a sollicité le versement de dommages et intérêts pour non-respect de la priorité de réembauche. L’arrêt de la cour d’appel de Douai, qui a fait droit à cette demande, est cassé par la Cour de cassation.
Pour fonder sa décision, la Haute juridiction commence par indiquer que le délai d’un an pendant lequel le salarié bénéficie de la priorité de réembauche court à compter de la date à laquelle prend fin le préavis, qu’il soit exécuté ou non. Ce faisant, elle réaffirme un principe issu d’une jurisprudence bien établie (5).
Puis, la Cour de cassation rappelle qu’en application de l’article L.1233-72 du Code du travail, lorsque la durée du congé de reclassement excède la durée du préavis, le terme de ce dernier est reporté jusqu’à la fin du congé de reclassement.
Dès lors, la priorité de réembauche débute à la fin du congé de reclassement. Il ne pouvait donc être reproché à l’employeur de ne pas avoir proposé au salarié les postes disponibles puisque son congé de reclassement n’était pas terminé.
Le raisonnement de la Cour de cassation est très clair : les obligations de l’employeur en matière de priorité de réembauche ne naissent qu’après la sortie des effectifs du salarié. Une question reste toutefois en suspens, celle de la validité de la demande prématurée formulée par le salarié.
L’employeur doit-il prendre en compte cette demande prématurée et considérer qu’elle ne produit effet qu’au terme du congé de reclassement ou peut-il se permettre de l’ignorer totalement au motif qu’elle n’a pas été formulée au moment prévu par la loi ?
L’on ne saurait que conseiller la prudence. A tout le moins convient-il d’informer le salarié sur le caractère anticipé de sa demande et de l’inviter à réitérer sa demande à l’issue de son congé de reclassement.
Articulation entre l’obligation de reclassement et la priorité de réembauchage
La priorité de réembauche est souvent présentée comme le pendant de l’obligation de reclassement.
Dans les deux cas, l’employeur doit proposer les postes disponibles en interne aux salariés impactés par un projet de licenciement économique. La principale différence entre ces deux obligations est temporelle : l’obligation de reclassement est un préalable à la notification du licenciement, quand la priorité de réembauche s’applique alors que le salarié a déjà été licencié.
Il est intéressant de noter que la position de la Cour de cassation sur le point de départ de l’obligation de réembauche, si elle se fonde sur un raisonnement juridique difficilement critiquable, conduit à une situation pratique que certains pourraient estimer contraire à l’esprit du texte. En effet, trois périodes sont ainsi à distinguer :
-
- la première précède le licenciement : dès lors qu’un licenciement pour motif économique est envisagé, et jusqu’à sa notification, l’employeur est tenu de rechercher les possibilités de reclassement du salarié dans l’entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel celle-ci appartient et situées en France ;
-
- la deuxième se situe entre la notification du licenciement et la sortie des effectifs : au cours de cette période, qui peut être relativement longue en cas de congé de reclassement, l’employeur n’est en théorie pas tenu d’informer le salarié des postes disponibles puisque l’obligation de reclassement n’est plus applicable et que la priorité de réembauche ne l’est pas encore ;
-
- enfin, à compter de sa sortie des effectifs, le salarié bénéficie d’une priorité de réembauche et l’employeur doit, de nouveau, l’informer de tout emploi devenu disponible et compatible avec sa qualification, ou toute nouvelle qualification acquise par le salarié dont il aurait informé son employeur.
(1) N°18-18.653
(2) Ou appartenant à un groupe d’au moins de 1 000 salariés entrant dans le champ d’application des dispositions relatives à la mise en place d’un comité de groupe ou du comité d’entreprise européen
(3) Article L.1233-45 du Code du travail
(4) Circulaire DGEFP/DRT/DSS n°2002/1 du 5 mai 2002
(5) Cass. soc. 21 juillet 1993 n°90-42.389 ; 28 février 2006 n°03-47.860
Article publié dans les Echos Executives le 26/02/2020
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