Licenciement d’un salarié protégé et enquête préalable : la prudence s’impose
24 mars 2020
Par un arrêt du 2 mars 20201, le Conseil d’Etat vient de repréciser que lorsqu’un employeur diligente une enquête interne à la suite d’une dénonciation portant sur les agissements d’un salarié protégé, les investigations diligentées ne doivent pas porter une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée. A défaut, les faits, même avérés, ne peuvent justifier l’autorisation de licenciement du salarié concerné. La sanction est sévère et doit conduire l’employeur à agir avec prudence et discernement.
L’opportunité de recourir à une enquête interne en cas de licenciement disciplinaire
En matière de licenciement disciplinaire, il est parfois indispensable de recourir à une enquête avant d’engager la procédure dès lors qu’il existe un doute sur l’auteur des faits, leur nature exacte ou encore leur caractère fautif.
Il convient cependant d’être vigilant puisqu’en matière disciplinaire l’employeur doit engager la procédure dans un délai de deux mois à compter de la date de connaissance des faits fautifs.
Toutefois, lorsqu’un employeur n’a pas une connaissance précise des faits reprochés au salarié et qu’il est contraint de diligenter une enquête, le point de départ du délai est la date à laquelle les conclusions de cette enquête sont rendues et ce, même si l’enquête dure plusieurs mois2.
En effet, le délai de deux mois ne court alors qu’à compter du jour où l’employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés3.
L’enquête menée par l’employeur ne doit pas porter une « atteinte excessive au respect de la vie privée du salarié »
Les faits soumis à l’examen du Conseil d’Etat étaient les suivants : le client d’une banque, gérant d’un hôtel s’est plaint du fait qu’un salarié de la banque aurait, à l’occasion d’un séjour dans son hôtel, fait état de sa qualité d’inspecteur fédéral de la banque et menacé ledit client de le dénoncer à l’administration fiscale en raison de mouvements de fonds suspects observés sur ses comptes.
La banque a alors diligenté une enquête en interne qui lui a permis de mettre en évidence que le salarié avait effectivement consulté les comptes bancaires du gérant de l’hôtel.
Dans le cadre de cette enquête, la société a également consulté les comptes bancaires personnels du salarié ainsi que ceux de l’organisation syndicale dont il était le trésorier, ce qui lui a permis de mettre au jour l’existence d’un détournement de fonds au détriment du syndicat.
En raison du statut dont bénéficiait le salarié, la société a saisi l’inspecteur du travail d’une demande d’autorisation de licenciement fondée sur deux motifs : un motif disciplinaire tiré de la consultation des comptes bancaires d’un client sans nécessité professionnelle et du comportement du salarié à l’égard de ce client, et d’un motif tiré du trouble objectif que le détournement de fonds au détriment de son organisation syndicale avait provoqué dans le fonctionnement de l’entreprise.
L’inspectrice du travail a refusé d’autoriser le licenciement tandis que le ministre du Travail saisi d’un recours contre cette décision de refus, l’a annulé en considérant que le motif disciplinaire n’était pas établi mais que le détournement de fonds constituait un trouble manifeste dans le fonctionnement de l’entreprise.
Saisis par le salarié, le tribunal administratif de Strasbourg puis la cour administrative d’appel de Nancy ont annulé la décision du Ministre du travail.
Le Conseil d’Etat confirme la position des juges du fond au motif que « lorsqu’un employeur diligente une enquête interne visant un salarié à propos de faits, venus à sa connaissance, mettant en cause ce salarié, les investigations menées dans ce cadre doivent être justifiées et proportionnées par rapport aux faits qui sont à l’origine de l’enquête et ne sauraient porter d’atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie privée. »
Il est reproché à la société d’avoir consulté les comptes bancaires personnel du salarié « alors que cette consultation n’était pas nécessaire pour établir la matérialité des allégations qui avaient été portées à sa connaissance par un tiers ».
En effet, l’enquête n’aurait dû porter que sur les faits dénoncés par le client, à savoir la consultation des comptes bancaires de ce dernier par le salarié.
Le Conseil d’Etat juge que les éléments pris en compte par l’employeur pour justifier sa demande de licenciement ont été recueillis dans des conditions illicites et ont porté une atteinte excessive au respect de la vie privée du salarié « dans des conditions insusceptibles d’être justifiées par les intérêts qu’elle poursuivait ».
Une position sévère mais logique du Conseil d’Etat
La position du Conseil d’Etat peut sembler sévère dans la mesure où elle implique qu’un licenciement fondé sur des faits graves et avérés mais dont la preuve aurait été recueillie dans des conditions illicites doit justifier un refus d’autorisation de licenciement.
Elle est toutefois conforme au principe énoncé par l’article L.1121-1 du Code du travail en vertu duquel le salarié bénéficie de libertés individuelles et collectives auxquelles l’employeur ne peut apporter de restrictions «qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché» ainsi qu’à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Ce principe de respect de la vie privée conduit également à ce qu’un employeur ne puisse utiliser les messages électroniques d’un salarié, même non identifiés comme personnels par ce dernier, pour le sanctionner s’ils s’avèrent relever de sa vie privée4.
Aussi, le débat ne porte plus sur la matérialité des faits allégués au soutien du licenciement mais sur les moyens d’enquête mis en œuvre par la société et leur nécessaire mesure au regard du respect de la vie privée.
Il incombe donc aux entreprises d’être extrêmement précautionneuses dans la mise en œuvre de leurs enquêtes.
(1) CE, 2 mars 2020, n°418.640
(2) CE, 5 mai 2010, n°325.726
(3) Cass. Soc., 7 nov. 2006 n°04-47.683
(4) Cass. Soc., 5 juill. 2011, n°10-17.284
Article publié dans les Echos Executives du 24/03/2020
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