Covid-19 : validité des délais de consultation réduits du CSE sur les mesures ayant pour objet de faire face aux conséquences de l’épidémie
23 juin 2020
Par ordonnance de référé rendue le 17 juin 2020 (n° 20/02552), le tribunal judiciaire de Nanterre refuse d’écarter comme contraires au droit européen les délais réduits de consultation du comité social et économique (CSE) prévus pendant la crise sanitaire. Il apporte également d’utiles précisions sur l’information des représentants du personnel en matière de prévention des risques.
Conventionnalité des délais réduits
Pour rappel, l’ordonnance n° 2020-507 et le décret n° 2020-508 du 2 mai 2020 ont adapté temporairement les délais relatifs à la consultation et l’information du CSE portant sur les décisions de l’employeur ayant pour objectif de faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie de Covid-19. Le délai de consultation a ainsi été réduit d’un mois à huit jours, ce délai étant porté à 11 jours – au lieu de deux mois – si recours à un expert et à 12 jours – au lieu de trois mois – en cas de désignation d’un ou plusieurs experts dans le cas d’une consultation impliquant le CSE central et les CSE d’établissement.
Ces aménagements s’appliquent aux délais qui commencent à courir entre le 3 mai 2020 et le 23 août 2020 mais également aux délais qui ont commencé à courir antérieurement à cette date et ne sont pas encore échus, pour lesquels l’employeur a la faculté d’interrompre la procédure en cours et d’engager, une nouvelle procédure de consultation conformément à ces règles.
En l’espèce, l’employeur a convoqué le 4 mai 2020 son CSE dans le cadre d’une procédure d’information-consultation portant sur « les mesures envisagées en vue de la reprise d’activité et de la protection de la santé et de la sécurité des salariés, dont celles figurant dans le document unique d’évaluation des risques (DUER) et le Plan de reprise d’activité dans les locaux ». Lors de la réunion du 7 mai 2020, le CSE a désigné un expert pour examiner le projet et réclamé plusieurs documents d’informations complémentaires.
S’estimant insuffisamment informé, le CSE a saisi le 18 mai 2020 le Tribunal judiciaire aux fins d’obtenir les informations qu’il estimait manquantes, de nouveaux délais de consultation et que soient écartés les délais de consultation réduits institués par le décret du 2 mai 2020.
Le CSE estimait en effet que ces délais portaient atteinte, notamment, au droit à l’information et à la consultation des représentants du personnel, au droit à des conditions de travail respectueuses de la santé et de la sécurité des salariés mais aussi au droit à un recours juridictionnel effectif et à un procès équitable, droits garantis par :
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- la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
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- la directive 89/391/CEE du 12 juin 1989 relative à la santé et à la sécurité des travailleurs ;
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- la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 relative à l’information et à la consultation des travailleurs.
Le Tribunal judiciaire rejette ces arguments. Il rappelle en effet que, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), une directive ne peut pas créer d’obligations à la charge des particuliers et ne peut donc être invoquée contre lui.
Ainsi, même claire, précise et inconditionnelle, une disposition d’une directive ne saurait trouver application en tant que telle dans le cadre d’un litige qui oppose exclusivement des particuliers. Dès lors, le CSE ne peut se prévaloir des dispositions de la directive 89/391/CEE du 12 juin 1989 (art. 10 et 11) et de la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 (préambule et art. 1 à 4).
S’agissant des dispositions de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le Tribunal judiciaire rappelle qu’elles peuvent être invoquées dans un litige entre particuliers tel que celui opposant le CSE à l’employeur en vue d’obtenir que le juge laisse inappliqué une réglementation nationale contraire.
Toutefois, les articles invoqués (art. 27 et 31) ne prévoient aucune règle de droit directement applicable et ne se suffisent pas à eux-mêmes pour conférer aux particuliers un droit subjectif invocable en tant que tel.
Enfin, s’agissant du droit à un recours juridictionnel effectif et du droit à un procès équitable garantis par le traité de l’Union européenne (art. 19) et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (art. 6 et 13), le Tribunal judiciaire retient que si « les délais imposés par le décret du 2 mai 2020 sont contraints et obligent l’ensemble des acteurs à travailler dans l’urgence (…) cette réduction des délais est justifiée par la célérité avec laquelle les projets doivent être mis en œuvre pour faire face aux conséquences de l’épidémie et ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du CSE au regard du but recherché ».
En dernier lieu, le Tribunal écarte l’argument du CSE qui faisait valoir que le décret porte atteinte à la protection de la santé des travailleurs garantie par le préambule de la Constitution de 1946 (art.11) en ce qu’il prive l’expert « des délais pour réaliser sa mission dans des conditions conformes » et que la santé des salariés « ne peut être mise en balance avec des intérêts économiques« . Il décide en effet que l’existence d’une telle atteinte n’est pas démontrée puisque le CSE a pu se faire assister d’un expert.
Par conséquent, le Tribunal judiciaire refuse d’écarter les délais réduits prévus par le décret. Constatant néanmoins que le CSE manque de certains éléments d’information qui auraient dû lui être transmis, les délais réduits sont dès lors prorogés à compter de leur communication.
Le tribunal judiciaire de Nanterre applique ainsi la jurisprudence récente de la Cour de cassation selon laquelle le juge peut ordonner la production d’éléments d’informations complémentaires et dans ce cas, quelle que soit la date à laquelle il se prononce, prolonger ou fixer un nouveau délai de consultation pour une durée correspondant à celles fixées par l’article R.2312-6 du Code du travail à compter de la communication de ces éléments complémentaires (Cass. soc., 26 févr. 2020, n° 18-22.759).
Rôle du CSE dans le cadre de la reprise d’activité
La décision du Tribunal judiciaire apporte également d’utiles précisions sur le rôle des institutions représentatives du personnel dans le cadre de la reprise d’activité.
Il décide en effet que, si l’obligation de prévention des risques impose à l’employeur de présenter les mesures mises en œuvre pour prévenir ces risques, il n’est pas tenu de présenter les modalités selon lesquelles le CSE sera associé à la prévention des risques, ni de préciser dans son projet les modalités de suivi et de contrôle de la bonne application des mesures mises en place et ni d’organiser un retour d’expérience. Ces mesures sont uniquement préconisées à titre de bonnes pratiques par l’Institut national de recherche et de sécurité.
En outre, s’agissant de l’analyse du DUER auquel le CSE reprochait son caractère générique, puisqu’il ne contenait aucune analyse des risques par unité de travail et ne prenait pas en compte la spécificité des situations de travail, le Tribunal judiciaire retient qu’il appartient au CSE d’expliquer en quoi les situations de travail retenues par l’employeur ne seraient pas pertinentes ou ne couvriraient pas la réalité de l’ensemble des situations de travail.
Ce jugement constitue la première décision rendue sur la validité des délais réduits de consultation des instances au regard du droit européen. Nul doute que d’autres actions suivront pour remettre en cause la validité de cette réduction de délais, que ce soit sur le fondement du droit européen ou du droit national. A cet égard, le syndicat des avocats de France (SAF) a d’ores et déjà fait savoir qu’il allait saisir le Conseil d’Etat d’une requête en annulation des dispositions de l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 – sur le fondement de laquelle a été pris le décret du 2 mai 2020 – au motif que ces dispositions n’entreraient dans les prévisions d’aucune loi d’habilitation.
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