Conséquences de l’annulation de la décision de validation du PSE sur les licenciements prononcés : interprétation stricte des cas de nullité des licenciements
30 mars 2021
Lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) est validé ou homologué par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), cette décision peut être contestée dans un délai de deux mois devant le juge administratif. A la date de la décision définitive des juridictions administratives, des licenciements peuvent avoir été notifiés en application du PSE.
Quelles sont alors les conséquences de l’annulation de la décision de la Direccte sur les licenciements prononcés ?
La décision rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 13 janvier 2021[1] apporte d’utiles éclairages en la matière.
Licenciement et annulation de la décision de la Direccte : deux sanctions possibles
Le PSE, qu’il soit mis en place par un document unilatéral de l’employeur ou par un accord collectif, est soumis à l’homologation ou à la validation de la Direccte. Si la contestation de la décision de la Direccte doit être portée devant le juge administratif, les conséquences de l’annulation de cette décision sur les licenciements prononcés relèvent, pour leur part, de la compétence du juge judiciaire.
L’incidence de l’annulation de la décision de la Direccte sur les licenciements pour motif économique prononcés est différente suivant les causes de l’annulation. En effet, deux cas doivent être distingués :
-
- premier cas : lorsque la décision de validation ou d’homologation est annulée en raison d’une absence ou d’une insuffisance de PSE, les licenciements prononcés sont nuls (article L.1235-10 du Code du travail). Les salariés licenciés ont droit à leur réintégration ou, en l’absence de réintégration, à une indemnité minimale de six mois de salaire[2] (article L.1235-11 du Code du travail) ;
-
- deuxième cas : lorsque la décision de validation ou d’homologation est annulée pour un autre motif, les licenciements prononcés n’encourent pas la nullité. Les salariés licenciés peuvent solliciter leur réintégration, mais celle-ci est subordonnée à l’accord de l’employeur. A défaut, les salariés ont droit à une indemnité minimale de six mois de salaire (article L.1235-16 du Code du travail).
Les ordonnances dites « Macron » ayant aligné le montant de l’indemnité due en l’absence de réintégration, l’enjeu de la distinction réside désormais dans les conditions de la réintégration du salarié.
En effet, dans le premier cas visé ci-dessus, la réintégration du salarié est de droit, de sorte que l’employeur ne peut pas s’y opposer, sauf à démontrer que la réintégration est devenue impossible. Dans le second cas, l’employeur a la faculté de s’opposer à la réintégration du salarié. L’enjeu est donc de taille.
Quelle est la sanction du défaut de caractère majoritaire d’un accord collectif portant PSE ?
Rappelons tout d’abord que, lorsque le PSE est mis en place par un accord collectif, celui-ci doit être majoritaire. Cela signifie qu’il est valablement conclu s’il a été signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés au profit des organisations syndicales représentatives lors des dernières élections professionnelles[3]. Si cette condition n’est pas remplie, la Direccte devrait refuser de valider le PSE.
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 2021, un employeur avait conclu un accord collectif portant PSE avec cinq organisations syndicales représentatives, lequel avait été par la suite validé par la Direccte.
Cette décision de validation avait été contestée devant le juge administratif au motif que l’accord collectif n’était pas véritablement majoritaire. Le Conseil d’Etat avait rejeté le recours formé contre la décision d’appel ayant annulé la décision de validation de l’administration[4].
Cette annulation était motivée par l’absence de renouvellement du mandat de l’un des délégués syndicaux. Compte tenu des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles en faveur des autres syndicats signataires, l’accord collectif portant PSE n’avait pas un caractère majoritaire.
C’est dans ce contexte que plusieurs salariés, dont le licenciement pour motif économique avait été prononcé dans l’intervalle, ont saisi le juge judiciaire de demandes tendant à tirer les conséquences de l’annulation de la décision de la Direccte.
Dans ses arrêts du 8 novembre 2018, la cour d’appel de Versailles a estimé que l’absence de caractère majoritaire du PSE, condition même de sa validité, avait eu pour conséquence de le rendre inexistant. Elle en a déduit que les licenciements étaient nuls, de sorte que la réintégration des salariés était de droit.
Le défaut de caractère majoritaire ne devrait pas entrainer la nullité des licenciements prononcés
Sur le pourvoi formé par l’employeur, la Cour de cassation était amenée à se prononcer, de façon inédite, sur le point de savoir si le défaut de caractère majoritaire de l’accord collectif portant PSE entraine la nullité des licenciements prononcés.
La Chambre sociale casse l’arrêt d’appel en considérant que
« l’annulation par la juridiction administrative d’une décision ayant procédé à la validation de l’accord collectif déterminant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi au motif de l’erreur commise par l’administration en validant un accord qui ne revêtait pas le caractère majoritaire […] n’est pas de nature à entrainer la nullité de la procédure de licenciement collectif pour motif économique », dès lors que « le juge administratif avait annulé la décision de validation pour un motif ne reposant pas sur l’absence » de PSE.
Par cette décision, la Haute juridiction semble procéder à une interprétation stricte des articles L.1235-10 et suivants du Code du travail, qui prévoient des sanctions différentes en fonction du seul motif de l’annulation de la décision de la Direccte.
Relevant que le Conseil d’Etat n’avait pas motivé sa décision d’annulation par une absence ou une insuffisance de PSE mais par un défaut de caractère majoritaire de l’accord en cause, l’article L.1235-10 du Code du travail ne pouvait pas s’appliquer selon la Cour de cassation.
L’annulation ayant été prononcée « pour un autre motif », elle ne pouvait pas entraîner la nullité des licenciements. Dès lors, la réintégration des salariés n’était donc pas de droit, l’employeur avait la faculté de s’y opposer. Une telle décision sous-entendrait que les cas de nullité prévus par l’article L. 1235-10 seraient limitatifs et ne sauraient être interprétés de façon extensive.
Si cette interprétation stricte des dispositions légales par la Cour de cassation est bienvenue, il ne faut pas pour autant négliger le respect des conditions de validité de l’accord majoritaire portant PSE.
En effet, les salariés licenciés en application d’un accord non-valide peuvent tout de même prétendre à une indemnité minimale de six mois de salaire quelle que soit leur ancienneté.
Il est donc primordial, lorsque l’employeur envisage la mise en place d’un PSE, de s’assurer que la conclusion d’un accord collectif majoritaire est matériellement possible et sous quelles conditions :
-
- appréciation de l’audience obtenue par chacun des syndicats représentatifs dans l’entreprise aux dernières élections professionnelles,
-
- validité des mandats des délégués syndicaux,
-
- organisations syndicales dont la signature est indispensable compte tenu de leur audience électorale,
-
- etc.
Une telle analyse permettra d’éviter un refus de validation du PSE ou, comme en l’espèce, une annulation de la décision de validation en raison de l’absence de caractère majoritaire de l’accord.
[1]Cass. soc., 13 janvier 2021, n°19-12.522 et 19-12.527
[2]12 mois, avant l’entrée en vigueur des ordonnances dites « Macron ».
[3]Article L. 1233-24-1 du Code du travail
[4]CE, 22 juillet 2015, n°385668
Article publié dans Les Echos le 30/03/2021
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