Transaction rédigée en termes généraux : quelle est sa portée sur le sort d’une clause de non-concurrence ?
7 avril 2021
Par un arrêt récent du 17 février 2021 [1], la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme sa jurisprudence sur les conséquences d’une transaction rédigée en termes généraux en précisant qu’une clause de non-concurrence est alors comprise dans l’objet de la transaction.
Les faits
Dans cette affaire une salariée, dont le contrat de travail prévoyait une clause de non-concurrence, signe, après son licenciement pour motif personnel, un protocole transactionnel. Plus d’un an après, estimant que sa clause de non-concurrence n’avait pas été levée par son ancien employeur, la salariée saisit le Conseil de prud’hommes d’une demande en paiement au titre de la contrepartie financière.
La question qui se posait était de savoir si la salariée pouvait réclamer le paiement de cette contrepartie financière alors qu’une transaction avait été conclue, aux termes de laquelle les parties mettaient fin, à tout différend, né ou à naître, et renonçaient à toute action relative à l’exécution ou à la rupture du contrat de travail.
La Cour d’appel avait répondu favorablement à cette question en considérant, notamment, que l’employeur ne justifiait pas avoir levé la clause de non-concurrence prévue au contrat de travail ni à l’occasion du licenciement ni dans le protocole transactionnel et que, en outre, la transaction litigieuse ne comprenait aucune mention dont il résulterait que les parties au protocole avaient entendu régler la question de l’indemnité de non-concurrence.
Saisie d’un pourvoi en cassation par la Société, la Haute juridiction censure l’arrêt de la Cour d’appel qui s’inscrivait pourtant dans la jurisprudence classique relative à la clause de non-concurrence [2].
La Cour de cassation confirme et précise sa jurisprudence sur la portée d’une transaction rédigée en termes généraux…
Au visa des articles 2044 et 2052 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016, ainsi que des articles 2048 et 2049 du même Code, la Haute juridiction précise ainsi,
qu’il résulte de l’application de ces textes, que les obligations réciproques des parties au titre d’une clause de non-concurrence sont comprises dans l’objet de la transaction dès lors que celle-ci est rédigée dans les termes généraux suivants : les parties (i) « reconnaissaient que leurs concessions réciproques étaient réalisées à titre transactionnel, forfaitaire et définitif ceci afin de les remplir de tous leurs droits et pour mettre fin à tout différend né ou à naître des rapports de droit ou de fait ayant pu exister entre elles et, (ii) qu’elles déclaraient être totalement remplies de leurs droits respectifs et renoncer réciproquement à toute action en vue de réclamer quelque somme que ce soit ».
Cela signifie donc qu’une telle transaction met fin aux obligations respectives des parties – l’employeur est ainsi, délié du paiement de l’indemnité de non-concurrence, et le salarié est libéré de l’interdiction de concurrence – même si, ni la lettre de licenciement, ni le protocole transactionnel ne prévoient de dispositions spécifiques à cet égard.
Dans cet arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation confirme donc sa jurisprudence. En effet, de manière constante depuis 2014 [3], la Cour de cassation accorde plein effet aux clauses générales, dites « balais », courantes dans les transactions, par lesquelles les parties déclarent être remplies de l’ensemble de leurs droits et renoncent à tout recours lié à la conclusion, l’exécution ou à la rupture du contrat de travail[ 4].
Une clause générale de renonciation inscrite dans le protocole transactionnel interdirait ainsi, à la lecture de cet arrêt, toute demande ultérieure, même celle issue de clauses contractuelles destinées à s’appliquer après la rupture du contrat de travail.
… en s’écartant un peu plus des principes fixés par sa jurisprudence concernant les particularités de la clause de non-concurrence.
L’employeur qui souhaite renoncer à l’application d’une clause de non-concurrence ne peut le faire que si le contrat de travail ou la convention collective lui en donne expressément cette possibilité [5] et doit respecter les modalités de renonciation prévues à cet effet. Cette volonté de libérer le salarié de son obligation de non-concurrence doit également être explicite et non équivoque [6].
En application de l’ensemble de ces principes, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait d’ailleurs considéré, dans un arrêt du 6 février 2019 [7] que, ne valait pas renonciation à la clause de non-concurrence, une formule générale dans l’accord de rupture conventionnelle par laquelle le salarié se déclare rempli de l’intégralité de ses droits au titre de la formation, de l’exécution et de la rupture du contrat de travail ainsi que de toute relation de fait ou de droit ayant existé entre les parties.
La Cour de cassation avait ainsi rappelé, dans un attendu de principe, que « la renonciation par l’employeur à l’obligation de non-concurrence ne se présume pas et ne peut résulter que d’actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ».
Ces spécificités, relatives à la levée de la clause de non-concurrence, ont pourtant été soulevées, dans l’affaire qui intéresse ce jour, par l’avocate générale dans son avis qui proposait ainsi que la Haute juridiction rejette le pourvoi et précise sa jurisprudence en indiquant que la clause de non-concurrence pouvait « entrer dans le champ d’application d’une transaction à la condition que figure dans cet acte, même comportant une formule de renonciation exprimée en termes généraux, une mention expresse relative au règlement de cette clause ou à sa renonciation claire et non équivoque par les parties ».
La Chambre sociale de la Cour de cassation n’a toutefois pas suivi ce raisonnement, qui plus est dans un arrêt publié et de cassation ce qui en accentue la portée.
Pour autant, au regard notamment des jurisprudences particulières susvisées sur les clauses de non-concurrence et des situations de fait qui peuvent être différentes (par exemple, date de signature de la transaction par rapport à la limite théorique de levée de la clause de non-concurrence), la prudence s’impose.
Il convient dès lors, pour éviter toutes difficultés, de statuer expressément, au plus tard lors de la rédaction du protocole transactionnel, sur le sort de la clause de non-concurrence contenue dans le contrat de travail – levée ou non – et de mentionner, expressément, l’intention des parties à cet égard. Ainsi, en cas de maintien de la clause, il pourrait être opportun de s’assurer de la validité de celle-ci, afin de pouvoir, le cas échéant, l’adapter/la consolider dans la transaction.
[1]Cass. Soc., 17 février 2021, n°19-20.635
[2] Cass. Soc. 4 juin 1998, n°95-41.832, 12 octobre 1999, n°96-43.020, 1er mars 2000, n°97-43.471, 22 février 2006 n° 04-45.406, 5 avril 2006, n°03-47.802 et 20 mai 2009, n°07-44.576
[3]Cass. Soc. 5 novembre 2014, n°13-18.984
[4]Voir notamment : Cass. Soc. 11 janvier 2017, n°15-20.040 ; Cass. Soc. 30 mai 2018, n°16-25.426, Cass. soc. 20 février 2019, n°17-19.676
[5] Voir par exemple : Cass. soc. 28 mars 2007, n°06-40.293
[6] Cass. Soc. 12 juillet 1989, n°86-41.668.
[7] Cass. Soc. 6 février 2019, n°17-27.188
Article paru dans Les Echos le 07/04/2021
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