Covid-19 : les entreprises peuvent-elles continuer à imposer à leurs salariés de prendre certains jours de congés à des dates déterminées ?
20 avril 2021
Un arrêt de la cour d’appel de Paris du 1er avril 2021 semble remettre en cause la possibilité pour les entreprises d’imposer à leurs salariés de prendre leurs jours de RTT à des dates déterminées.
Les articles 2 à 4 de l’ordonnance n° 2020–323 du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos permettent à l’employeur, « lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du Covid–19″, d’imposer aux salariés la prise, à des dates terminées par lui, de dix jours de RTT, de jours de repos prévus par une convention de forfait ou de jours de repos accumulés sur un compte épargne temps.
La fédération nationale des industries chimiques CGT a intenté une action en référé devant le tribunal judiciaire de Paris contre deux notes de service d’une entreprise faisant application de ce dispositif.
La CGT soutenait que, pour pouvoir utiliser ce dispositif, l’entreprise devait faire la preuve de difficultés économiques liées à la propagation du virus.
1/ Le Tribunal judiciaire a rejeté cette requête pour deux raisons :
-
- il a estimé, en premier lieu, « que l’objectivation des difficultés économiques, financières et sociales ne peut résulter, au visa de l’urgence pendant l’ensemble de cette période à court terme de crise sanitaire aiguë à caractère exceptionnel, d’une appréciation au cas par cas pour chacune des entreprises qui entendrait faire application de ces dispositifs dérogatoires » ;
-
- il a estimé, en deuxième lieu, que « les dispositions des articles 2 et 4 de l’ordonnance n° 2020–323 du 25 mars 2020 ne peuvent être lues de manière dissociée de l’habilitation résultant des dispositions précitées de l’article 11 de la loi n° 2020–290 du 23 mars 2020 aux termes duquel cette ordonnance peut être prise « afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid–19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation » (…) ».
La fédération CGT a fait appel de ce jugement.
2/ Par un arrêt du 1er avril 2021 (n° RG 20/12 215), la cour d’appel de Paris a annulé cette ordonnance et reconnu l’existence d’un trouble manifestement illicite du fait des mesures contestées.
Après avoir rappelé que l’ordonnance n° 2020–323 du 25 mars 2020 prévoit expressément et clairement que la prise des mesures dérogatoires ne peut intervenir que lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du Covid–19, la Cour d’appel en déduit « qu’il appartient aux sociétés du groupe de rapporter la preuve des difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19, ce qu’elles ne font pas, les mesures d’adaptation dont elles excipent ne les caractérisant pas ».
En d’autres termes, la Cour d’appel a interprété les articles 2 et 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020 comme imposant aux entreprises, pour pouvoir utiliser le dispositif, de faire la preuve de difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19. Un pourvoi en cassation a été formé.
3/ Cette interprétation paraît contraire à la fois au texte de l’ordonnance et à la loi d’habilitation.
Aux termes des articles 2 et 4 de l’ordonnance, l’employeur peut imposer la prise de jours de RTT à des dates déterminées « lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du Covid–19″.
Ces dispositions imposent à l’entreprise de démontrer que l’intérêt de l’entreprise justifie d’avoir recours à cette mesure : c’est ce qu’a fait en l’espèce l’entreprise concernée en montrant que les sociétés du groupe « ont dû adapter leur organisation, face à une augmentation inattendue de l’absentéisme tenant au fait qu’une partie de leurs collaborateurs se trouvait à leur domicile sans pouvoir exercer leur activité en télétravail, mais aussi par la nécessité d’aménager les espaces de travail et d’adapter le taux d’occupation des locaux en raison des conditions sanitaires ».
En revanche, le texte, tel qu’il est rédigé, ne fait peser sur l’entreprise aucune condition quant à la preuve de difficultés économiques : la formule « eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19 » ne peut être lue comme signifiant « si elle apporte la preuve de difficultés économiques liées à la propagation du Covid–19« .
Le rapport au Président de la République confirme clairement cette interprétation : « Afin de répondre aux difficultés que l’entreprise ou l’établissement rencontre en cas de circonstances exceptionnelles, l’article 2 permet à l’employeur d’imposer ou de modifier sous préavis d’un jour franc, les journées de repos acquises par le salarié au titre des jours de réduction du temps de travail (…) ». La formule « afin de répondre aux difficultés que l’entreprise ou l’établissement rencontre » est encore plus nette que la formule « eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19″.
Cette interprétation paraît également contraire à la loi d’habilitation du 23 mars 2020.
Même si c’est une démarche assez inédite, il paraît légitime d’interpréter une ordonnance à la lumière de sa disposition d’habilitation.
En effet, il résulte d’une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel que la loi d’habilitation doit définir de façon suffisamment précise la finalité et l’objet de l’habilitation, sans qu’il soit d’ailleurs nécessaire de préciser le contenu de l’ordonnance.
Le Conseil d’État, quant à lui, fait porter l’essentiel de son contrôle, dans ses fonctions consultatives, sur le respect, par le projet d’ordonnance, de l’habilitation du législateur.
La loi d’habilitation étant ainsi le fondement légal de l’ordonnance, comme une disposition législative peut-être le fondement d’un décret réglementaire, il nous paraît légitime d’interpréter l’ordonnance au vu de la loi d’habilitation.
Or, l’article 11, I, 1°, b) habilite le Gouvernement à prendre cette mesure par ordonnance « afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid–19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, notamment afin de prévenir et limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations, ainsi que ses incidences sur l’emploi (…) ».
La formule « afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid–19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation » montre bien que cette mesure constitue une réponse à une situation économique nationale exceptionnelle et non à une situation économique particulière de l’entreprise dont celle-ci devrait apporter la preuve.
L’exposé des motifs du projet de loi indique bien que cette mesure est une réponse du Gouvernement à une situation économique jugée critique, destinée à éviter des faillites et des fermetures d’entreprises. Ce n’est, en aucun cas, une mesure subordonnée à la preuve d’une situation économique spécifique de chaque entreprise. On peut d’ailleurs relever qu’en mars/avril 2020, la situation était inédite et exceptionnelle pour tout le monde et personne ne pouvait connaître les conséquences économiques de cette situation exceptionnelle. C’était tout simplement impossible à prévoir. Il est beaucoup plus aisé de porter une appréciation maintenant sur une situation datant d’un an.
En transformant une exigence de justification de la mesure en une obligation de preuve de difficultés économiques particulières pour l’entreprise, la cour d’appel de Paris a méconnu à la fois la lettre mais surtout l’esprit de la loi.
Le Gouvernement va disposer d’une opportunité pour contrer cette jurisprudence et redonner toute sa portée à une mesure qui a fait la preuve de son efficacité.
Dans le cadre du projet de loi relatif à la gestion de la sortie de la crise sanitaire, qui sera présenté en conseil des ministres le 28 avril 2021, le Gouvernement a prévu, d’une part, de prolonger jusqu’au 31 octobre 2021 la possibilité pour l’employeur d’imposer aux salariés de prendre certains jours de repos et, d’autre part, de porter de six à huit le nombre de jours de congés pouvant être imposés par l’employeur (article 6, X, 1° et 2° du projet de loi).
Il suffirait, pour régler le problème, d’introduire un 3° ainsi rédigé :
« 3° Aux articles 2, 3 et 4 de l’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020, remplacer les mots « lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19 » par les mots, « afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid–19 ».
Le projet de loi pourrait également venir utilement corriger les effets très limités de la prolongation de la mesure. En effet, la prolongation des dispositions de l’ordonnance n° 2020-323, telle qu’elle résulte de l’ordonnance du 16 décembre 2020, ne permet pas aux entreprises qui ont déjà fait usage de la possibilité d’imposer six jours de congés et dix jours de RTT en 2020, d’en faire à nouveau usage en 2021. Cela a privé cette prolongation de son intérêt pour beaucoup d’entreprises.
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