Hit-parade 2020 des écueils rencontrés pour l’application du plafonnement des charges financières ATAD
L’établissement des liasses fiscales au titre de l’exercice 2019, dans un contexte inédit lié à la COVID-19, a été l’occasion de se confronter au nouveau régime de plafonnement général de la déduction des charges financières nettes (rabot ATAD) issu de la Directive européenne de lutte contre les pratiques d’évasion fiscale dite « Directive ATAD ».
Transposé par la Loi de finances pour 2019 sous les articles 212 bis et 223 B bis du Code général des impôts (CGI), le rabot ATAD limite la déduction des charges financières nettes d’une entreprise au plus élevé des deux plafonds suivants : 3 M€ ou 30 % de son EBITDA fiscal (respectivement 1 M€ ou 10 % de l’EBITDA fiscal en cas de sous-capitalisation1).
Ce nouveau régime pose de nombreuses difficultés pratiques. Retour sur le « TOP 8 » de ces écueils, du plus simple au plus complexe.
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8 -« Suramortissement » et EBITDA fiscal
Le calcul de l’EBITDA fiscal nécessite d’opérer des retraitements tels que la réintégration, au résultat fiscal, des amortissements déduits. La première mouture du BOFiP sur le rabot ATAD précisait uniquement que devaient être prises en compte « toutes les dotations d’amortissement fiscalement déduites2 ». Ainsi, le « suramortissement » devait-il être réintégré pour la détermination de l’EBITDA fiscal ? Une mise à jour in extremis du BOFiP est venue ajouter que « les dispositifs de déduction exceptionnelle (visés à l’article 39 decies et suivants du CGI [au rang desquels figure le dispositif du suramortissement]), qui ne constituent pas des dotations aux amortissements sur le plan comptable, ne doivent donner lieu à aucun retraitement pour la détermination de l’EBITDA fiscal3. »
7– Report de la capacité de déduction inemployée d’une entreprise sous-capitalisée
Lorsque les charges financières nettes au titre d’un exercice sont inférieures au plus élevé des plafonds de déduction, le rabot ATAD prévoit le report de la différence positive, dite capacité de déduction inemployée, sur les cinq exercices suivants.
Ce report est réservé aux entreprises non sous-capitalisées. A la lettre de la loi, une société sous-capitalisée bénéficiant de la clause de sauvegarde4, ouvrant droit à titre dérogatoire à l’application des plafonds de 3 M€ et 30 % de l’EBITDA fiscal, devrait pouvoir bénéficier du report de la capacité de déduction inemployée. Une confirmation de l’administration à l’occasion de la mise à jour du BOFiP du 13 mai 2020 aurait néanmoins été appréciée.
6 – Application de la déduction supplémentaire de 75 % des charges financières non déductibles à un groupe d’intégration fiscale au périmètre équivalent à celui du groupe consolidé
Lorsqu’un groupe d’intégration fiscale a des charges financières supérieures au plus élevé des deux plafonds de déduction, il lui est possible de déduire 75 % des charges financières excédant ce plafond si son ratio fonds propres/actifs est supérieur ou égal à 98% de ce même ratio calculé au niveau du groupe consolidé. Il n’est pas rare en pratique que certains groupes intégrés aient un périmètre d’intégration identique au périmètre de consolidation. En pareille situation, et conformément à la lettre du texte légal, la clause de sauvegarde devrait selon nous être systématiquement applicable, ce qu’au demeurant le BOFiP n’infirme pas.
5 – Sort des intérêts négatifs
Un taux d’intérêt, lorsqu’il est indexé, peut devenir négatif et entraîner dans son sillage une situation paradoxale : c’est l’emprunteur qui est rémunéré à raison des sommes mises à sa disposition. Se pose ainsi la question de savoir si ces intérêts constituent un produit financier pour l’emprunteur et une charge financière pour le prêteur. Il s’agit certes de flux « afférents aux sommes laissées ou mises à disposition de l’entreprise » ; néanmoins, d’un point de vue juridique, certains auteurs considèrent que la somme versée en application d’un taux d’intérêt négatif perd sa nature d’intérêt et correspond à la rémunération d’une prestation de service5. Prêteurs et emprunteurs pourront à cet égard trouver avantage à aligner le traitement fiscal retenu, pour éviter des effets d’asymétrie, et renforcer l’information entre eux en cas de rectification du résultat de l’une des parties.
4 – Remboursement d’une prime de non-conversion
L’amortissement d’une prime de non-conversion attachée à un emprunt obligataire ne devrait être pris en compte en charges, selon le BOFiP, que lorsque la non-conversion en actions devient certaine de sorte que « si la prime fait l’objet d’un amortissement par la société émettrice des obligations, cet amortissement ne doit pas être retenu dans l’assiette des charges financières nettes, indépendamment de l’option retenue en comptabilité pour enregistrer cette charge6. »
Cette position n’est pas nécessairement favorable à l’émetteur, puisqu’elle peut conduire, s’agissant de primes conséquentes rattachables à des émissions d’une maturité supérieure à cinq années, à réintégrer un montant supérieur à celui qui aurait été dû dans le cas d’une prise en compte de la prime au fur et à mesure de l’amortissement comptable.
On constate au demeurant que si une position a été prise par l’administration s’agissant de la détermination des charges financières au regard d’une prime de non-conversion, tel n’est pas le cas pour la détermination de l’EBITDA fiscal pour lequel il existe des arguments tant pour une prise en compte au fil de l’eau qu’au titre de l’exercice où la non-conversion devient certaine.
3 – Notion de « frais de dossier »
Le BOFiP précise que « L’ensemble des frais de dossier supportés dans le cadre d’une opération de financement doivent également être retenus au titre des charges financières nettes soumises au dispositif de plafonnement7. » En pratique, l’administration définit cette notion de « frais de dossier » par renvoi à celle visée dans le Code de la consommation pour calculer le taux effectif global (TEG), et exclut expressément les frais payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du financement, en ce compris les frais de conseil dus à des prestataires extérieurs (notamment avocats).
En pratique, ce renvoi n’est pas totalement éclairant, tant la pratique comme la doctrine paraissent hésitantes sur les montants à prendre en compte dans le TEG au titre des frais de dossier.
Pour notre part, il nous semble que tant la lettre des textes réglementaires du Code de la consommation que le BOFiP devraient conduire à exclure les frais facturés par des entités autres que les entités prêteuses, y compris lorsque les sommes en cause sont par exemple qualifiées de commissions d’arrangement et facturées par des entités liées aux prêteurs. Plus généralement, une attention particulière des emprunteurs doit être portée lors de l’établissement des liasses fiscales de ces derniers sur les sommes prises ou non en compte par les prêteurs pour déterminer le TEG.
2 – Sort des reprises d’amortissement dont les dotations ont été déduites avant la mise en œuvre du rabot ATAD
L’EBITDA fiscal doit être minoré des reprises d’amortissement. Certaines reprises sont le corolaire de dotations passées avant le 1er janvier 2019 de sorte que l’EBITDA fiscal se trouverait minoré d’un amortissement qui n’est jamais venu le majorer (puisque le rabot ATAD n’existait pas). L’administration fiscale a néanmoins indiqué dans le cadre d’une récente conférence que, malgré le caractère potentiellement inéquitable de cette position, la rédaction du texte laissait selon elle peu de marge de manœuvre pour s’en éloigner, en réservant toutefois le cas des mises au rebut.
1– Amortissement des frais d’émission d’emprunt et EBITDA fiscal
Lorsqu’une entreprise opte comptablement et fiscalement pour l’étalement de ses frais d’émission d’emprunt, le PCG prévoit que le montant étalé au titre d’un exercice est inscrit à un compte d’amortissement. Le BOFiP prévoit que « toutes les dotations d’amortissement fiscalement déduites8 » sont prises en compte dans l’EBITDA fiscal. Un emprunteur pourra ainsi légitimement s’interroger sur la possibilité de majorer son EBITDA fiscal du montant de l’amortissement des frais d’émission d’emprunt. A noter toutefois que cette solution favorable serait néanmoins à l’origine d’une dissymétrie dans la mesure où l’amortissement des frais d’émission d’emprunt n’étant jamais repris, l’EBITDA fiscal n’en serait jamais diminué.
Article paru dans Option Finance le 1er septembre 2020
Notes
1 Société dont les dettes auprès d’entreprises liées sont inférieures à 1,5 fois les fonds propres.
2 BOI-IS-BASE-35-40-10-20 n° 70, à jour au 31 juillet 2019.
3 Ibid, à jour au 13 mai 2020.
4 Société dont le ratio endettement/fonds propres est inférieur ou égal au même ratio du groupe consolidé auquel elle appartient.
5 Cf. notamment l’étude de Maître Franck Auckenthaler « Taux d’intérêt négatif : le monde à l’envers », Revue de Droit bancaire et Financier, N° 6, Novembre-Décembre 2016 – n° 33.
6 BOI-IS-BASE-35-40-10-10 n° 70, à jour au 13 mai 2020.
7 BOI-IS-BASE-35-40-10-10, n° 190, à jour au 13 mai 2020.
8 BOI-IS-BASE-35-40-10-20 n° 70, à jour au 13 mai 2020.
Auteurs
Vincent Forestier, avocat en fiscalité
Thomas Louvel, avocat en fiscalité
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