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Déduction des charges financières : quand les fiscalistes se frottent à la consolidation

En matière de déduction fiscale des charges financières, les clauses de sauvegarde reposant sur la comparaison d’une entreprise ou d’un groupe fiscal à la situation de son groupe consolidé introduisent en fiscalité l’utilisation des comptes consolidés, notions peu utilisées par les fiscalistes, et qui de surcroît ne correspondent pas totalement aux règlements comptables appliquées par les consolideurs. Une coopération entre les uns et les autres sera donc nécessaire.

Décryptage de cette consolidation pour des raisons fiscales, à la lumière des commentaires de l’administration parus le 13 mai 2020.

Un bref rappel des règles fiscales applicables

Depuis le 1er janvier 2019, la déduction des charges financières nettes est limitée à 3 millions d’euros ou 30% d’un EBITDA fiscal (sauf sous-capitalisation, auquel cas les charges financières liées à la sous-capitalisation ne sont déductibles qu’en référence à un plafond de 1 million d’euros ou 10% de cet EBITDA fiscal).

Des clauses de sauvegarde ont été introduites, afin de permettre aux entreprises, ou aux groupes fiscaux faisant partie d’un groupe consolidé, d’accéder à une déduction complémentaire.

La clause de sauvegarde « générale » permet une déduction complémentaire de 75% des charges financières nettes excédant les seuils de 3 millions ou 30%, lorsque le « ratio d’autonomie financière » (fonds propres/actifs) du contribuable (entreprise ou groupe fiscal) est supérieur ou égal1  à celui du groupe consolidé auquel le contribuable appartient2.

La nécessité de définir des périmètres de consolidation spécifiques pour les besoins de la fiscalité

La mise en œuvre des clauses de sauvegarde suppose tout d’abord de déterminer à quel groupe consolidé le contribuable doit se comparer. La loi fiscale définit le groupe consolidé comme étant constitué des seules entités consolidées par intégration globale, i.e. faisant l’objet d’un contrôle exclusif selon le code de commerce (en normes françaises ou IFRS), que des comptes consolidés existent ou non.

Ceci constitue une première différence par rapport au périmètre de la consolidation légale qui comprend des entités consolidées par intégration globale, par intégration proportionnelle (en normes françaises) et mises en équivalence.
La doctrine administrative apporte à cet égard des précisions :

–    Aucune option n’est possible quant au périmètre.

Il faut retenir systématiquement le périmètre du groupe consolidé établi au niveau de la « société consolidante ultime », i.e. la société dont les comptes ne peuvent pas être inclus dans les comptes consolidés d’une autre entreprise. Dès lors, les éventuels comptes consolidés publiés à un niveau intermédiaire ne peuvent être retenus.

Cette règle ne sera pas sans poser de problèmes pratiques d’accès à l’information, notamment lorsque les comptes consolidés ultimes ne sont pas publics ou communiqués aux filiales ou lorsqu’il n’y a pas d’obligation de les établir pour des raisons de seuils, de forme de société, voire de réglementation locale.

–    Les comptes consolidés doivent être validés par un ou plusieurs CAC. 

En présence de comptes consolidés légaux obligatoires et certifiés par les CAC, l’administration admet désormais qu’aucune validation complémentaire n’est nécessaire s’agissant du périmètre « fiscal » limité aux entités consolidées par intégration globale. En pratique, il pourra cependant être utile de faire attester que les données de ce périmètre proviennent bien des comptes consolidés validés par les CAC, ce qui confortera le contribuable en cas de contrôle fiscal.
En l’absence de consolidation légale obligatoire, la mise en œuvre de la clause de sauvegarde supposera en revanche une validation des CAC, qui pourra porter soit sur des comptes consolidés complets, soit sur les comptes consolidés des seules entités en intégration globale.

L’administration admet en outre que la mission d’audit contractuel puisse alors être limitée à la validation du seul bilan consolidé (puisque seules les données figurant dans le bilan consolidé servent à la détermination des ratios). Il ne sera donc pas nécessaire de faire valider tous les postes du compte de résultat, le montant global du résultat devant cependant lui-même être validé puisqu’il participe à la formation du bilan.

–    Les filiales de groupes étrangers – établissant leurs comptes en normes locales – pourront bénéficier de la clause de sauvegarde sous certaines conditions.

Les entreprises appartenant à un groupe établissant ses comptes dans un autre référentiel que les IFRS pourront utiliser ces comptes s’ils sont admis comme équivalents par la Commission Européenne et à condition qu’ils aient été certifiés ou validés par des CAC. Sont admis, outre les référentiels des Etats européens, les référentiels US, canadiens, chinois, coréens, japonais ; et les UK GAAP jusqu’au 31 décembre 2020, compte tenu du Brexit.

Si l’entreprise consolidante ultime utilise deux jeux de comptes, dont le référentiel IFRS, ce dernier devra être privilégié.
Enfin, pour les groupes d’intégration fiscale, la clause de sauvegarde requiert de déterminer un périmètre de consolidation « aux bornes de l’intégration fiscale ». Aucune validation complémentaire des CAC n’est ici non plus exigée par l’administration, mais là encore, le fait de faire attester que les données de ce périmètre proviennent bien des comptes consolidés validés pourra permettre de conforter le dossier fiscal du contribuable.

En définitive, ce sont potentiellement trois bilans consolidés qui devront être préparés : celui issu des comptes consolidés légaux, celui des seules entités en intégration globale, et enfin celui des seules entités intégrées fiscalement.

Des modalités précisées de détermination du ratio d’autonomie financière

Le ratio d’autonomie financière correspond au rapport fonds propres/actifs, et il convient de comparer le ratio de l’entreprise ou du groupe intégré avec celui du groupe consolidé de référence.

La notion de fonds propres fait naitre une première difficulté dès lors qu’elle n’a pas d’équivalent strict au plan comptable. Assez logiquement, les commentaires administratifs précisent qu’il s’agit de retenir les capitaux propres consolidés– part groupe, défalcation faite par conséquent des quotes-parts des minoritaires.
Surtout, si les fonds propres du groupe consolidé apparaissent en lecture quasi-directe dans les comptes (si ce n’est les retraitements liés au passage à une consolidation des seules entités en intégration globale), la détermination des fonds propres de l’entreprise soulevait des interrogations.

Abandonnant la référence à la notion de « contribution » de l’entreprise aux fonds propres du groupe consolidé, aux contours incertains, la doctrine administrative précise désormais qu’il y a lieu de retenir « les capitaux propres retraités de l’entreprise en application des normes de consolidation appliquées par le groupe ». Il s’agira donc en pratique, pour déterminer les fonds propres de l’entreprise, de partir des capitaux propres issus des comptes sociaux, et de prendre en compte les retraitements de consolidation, mais sans éliminations des opérations réciproques, ni des titres de participation, vis-à-vis d’entités consolidées.

Au niveau du groupe fiscal, une règle similaire s’applique. Il s’agit de retenir les fonds propres du groupe fiscal (i) après élimination des opérations réciproques et des titres de participations internes à ce groupe fiscal (ii) mais sans élimination des opérations réciproques et des titres de participations vis-à-vis d’entités consolidées mais non membres de l’intégration.
Dans les deux cas (entreprise ou groupe fiscal), l’administration considère que les fonds propres ainsi définis devront être réduits de la quote-part des intérêts minoritaires de façon à assurer une cohérence avec le traitement des intérêts minoritaires au niveau du groupe consolidé.

S’agissant des actifs évalués selon les règles de consolidation, le traitement des écarts d’acquisition donne lieu à des précisions dont la mise en œuvre pourra avoir un impact significatif sur les ratios.

Si les écarts d’acquisition affectables doivent obligatoirement être retenus, l’administration fiscale admet que les écarts partiellement affectables puissent par simplification ne pas être retenus. Afin d’équilibrer le bilan, l’administration indique qu’il convient alors de corriger le passif 3 à due concurrence. La neutralisation de ces écarts partiellement affectables n’est cependant pas obligatoire, et le contribuable pourra décider de les conserver, sous réserve de justifier cas de contrôle de l’approche d’affectation retenue (données extra-comptables).

Lire également : Limitation de la déduction des charges financières : publication des commentaires administratifs au BOFiP

Article paru dans Option Finance le 2 juin 2020

Auteur

Jean-Hugues de la Berge, Avocat counsel en droit fiscal
Laure Saludes, Avocate associée, Cabinet RSM

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