Commissions de frais de dossier sur octroi de crédits : quand le fiscal chasse le comptable…
Si plusieurs décisions récentes réaffirment le principe d’alignement des règles fiscales sur le traitement comptable, ce principe ne s’applique que sous réserve de normes fiscales contraires. Exemple récent avec le cas des commissions de frais de dossier sur octroi de crédits.
Le traitement des commissions de frais de financement dans le cadre de l’octroi de crédit soulevait jusqu’à récemment peu de difficultés tant la pratique des entreprises et des services vérificateurs semblait alignée. L’attention se portait en général sur la déduction chez l’emprunteur, celle-ci étant réalisée immédiatement ou étalée sur la durée de l’emprunt, selon l’approche retenue comptablement. Pour l’établissement financier, le produit était inclus dans son compte de résultat, et taxé à l’impôt sur les sociétés. Un parfait exemple de connexité fiscalo-comptable en somme ; fermez le ban !
Un premier flottement est apparu avec le relatif flou entourant la notion de « frais de dossier » visée par le dispositif de limitation de la déductibilité fiscale des charges financières nettes, tel qu’introduit par la loi de finances pour 2019 (articles 212 bis et 223 B bis du code général des impôts). Toutefois, les commentaires administratifs publiés au Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFiP) ont apporté quelques précisions bienvenues, puisqu’en définitive les frais de dossier retenus dans l’assiette des charges financières sont limités à ceux pris en compte dans le cadre du calcul du taux effectif global. N’entrent ainsi pas dans le champ du nouveau plafonnement l’ensemble des frais dus à tout intermédiaire intervenu dans l’octroi du crédit, ce qui nous paraît donc exclure les commissions dus aux intermédiaires financiers (mais probablement pas aux prêteurs).
C’est finalement sous l’angle moins attendu des produits liés aux opérations de financement que s’est déplacé le débat, avec une solution prétorienne récente qui aura probablement une portée pratique non négligeable (CE 4 décembre 2019 n°420414, Société Crédit agricole).
I. Les termes du débat et la décision rendue
L’affaire était assez simple : un établissement bancaire avait pris en compte dans son assiette taxable à l’impôt sur les sociétés la totalité des commissions de frais de dossier perçues à l’occasion de l’octroi de crédits au titre d’un exercice, puis déposé une déclaration rectificative avec demande de remboursement partiel de l’impôt sur les sociétés acquitté en indiquant que lesdites commissions auraient dû être étalées sur la durée effective des crédits, conformément au traitement comptable retenu.
Les principes applicables en pareille matière sont que les produits doivent être rattachés à l’exercice au cours duquel les prestations de services sont achevées, les seules exceptions concernant les prestations continues, les prestations discontinues à échéances successives sur plusieurs exercices et les travaux d’entreprise donnant lieu à réception.
La rémunération des prestations continues est incluse dans les résultats au fur et à mesure de l’exécution de la prestation. La loi cite comme exemples de ces prestations les locations et les prêts d’argent, d’où il résulte que ce sont les loyers et les intérêts courus qui doivent être compris dans le résultat de l’exercice (et non les sommes échues ou encaissées). De son côté, la jurisprudence range notamment dans cette catégorie de prestations la garantie des biens vendus et le service rendu par les banques aux titulaires de cartes de paiement.
La question posée était donc celle de savoir si les commissions de frais de dossier ici perçues pouvaient ou non être considérées comme rattachables à une prestation continue (i.e., le prêt d’argent dont elle constitue le préalable). Le contribuable ne manquait pas d’arguments pour arriver à une réponse positive, à commencer par le traitement comptable applicable, puisque l’article 4 du règlement n° 2009-03 du 3 décembre 2009 du comité de la règlementation comptable prescrit l’étalement sur la durée du prêt. Il relevait également que le montant de ces commissions était fixé en fonction du principal du prêt accordé et pris en compte pour la détermination du taux effectif global, et que leur paiement conditionnait l’octroi du prêt, autant d’éléments conduisant à analyser ces commissions comme l’accessoire de l’opération principale de prêt, laquelle est bien visée comme une prestation continue.
Pour autant, le Conseil d’Etat n’a pas épousé cette thèse, et a préféré s’en tenir au fait que ces commissions venaient en l’occurrence rémunérer la prestation d’instruction du dossier de demande du prêt (réunir des documents, analyser la situation d’un emprunteur, son profil de risque, définir les conditions et modalités du prêt), laquelle prenait fin à la date de la proposition de prêt par l’établissement bancaire. Dès lors que la loi fiscale prescrit alors d’imposer ces commissions à la date d’achèvement du service considéré, le traitement fiscal devait être vu comme s’opposant aux règles comptables, exigeant alors un retraitement extra-comptable, et la non-application du principe de connexité fiscalo-comptable.
L’intérêt de la décision du Conseil d’Etat est de rappeler que l’analyse fiscale doit être purement juridique et non économique : des frais préalables à un prêt, qui ne financent aucune obligation continue du prestataire, même s’ils sont nécessaires à la réalisation d’une autre prestation (l’octroi du prêt) à laquelle ils sont économiquement liés, ont donc été jugés comme rémunérant une prestation non continue.
II. La portée de la décision rendue
En pratique, cette décision est susceptible d’emporter des conséquences fiscales importantes pour les établissements de crédit, avec le cas échéant une accélération de l’imposition des commissions. La question qui se pose est à cet égard celle de savoir si l’approche des juges du Palais Royal serait ou non transposable à d’autres commissions venant rémunérer des prestations spécifiques distinctes de l’octroi du crédit lui-même (commission d’arrangement, commission d’engagement, etc.). Nous ne voyons pas de raison évidente permettant de répondre par la négative à cette question. En particulier, on notera que le Conseil d’Etat a choisi de réserver à cette décision les honneurs d’une mention aux tables du Recueil Lebon ; ce faisant, la solution ici rendue ne saurait à notre avis être analysée comme étant strictement d’espèce, et a donc une portée plus large. Dans ces conditions, il nous semble désormais indispensable que les travaux ou engagements rémunérés par chaque type de commission soient bien individualisés et décrits, ce qui n’est pas toujours le cas. Il ne faut par ailleurs pas mésestimer les conséquences d’un tel détail, susceptible de donner lieu à des traitements spécifiques en matière de TVA, sauf rescrit particulier sur le sujet (comme c’est le cas s’agissant des commissions d’arrangement, pour lesquelles l’exonération est acquise lorsque la prestation est rendue par le prêteur).
Faut-il déduire de ce traitement fiscal particulier des commissions au niveau des prêteurs un alignement au niveau des emprunteurs, avec donc une déduction accélérée des frais de financement, nonobstant l’option comptable retenue ? Pas nécessairement, compte tenu notamment du principe d’étalement des frais de financement posé par l’article 39 du CGI, du moins lorsque l’option comptable a été effectuée en ce sens. A cet égard, l’alignement fiscalo-comptable devrait rester de mise, et ainsi conduire le cas échéant à des différences sur les exercices au cours desquels une même commission est déduite par son débiteur et taxée chez son bénéficiaire.
La problématique est toutefois légèrement distincte s’agissant des frais de financement acquittés par l’emprunteur primaire qui sont ensuite refacturés intragroupe au(x) bénéficiaire(s) effectif(s) des sommes levées. Dans ce cas, la décision du Conseil d’Etat ici commentée pourrait-elle aboutir chez l’emprunteur primaire à une imposition immédiate de certaines commissions refacturées, en même temps que leur déduction serait étalée sur la durée de l’emprunt ? Même si cette approche conduisant à un désalignement des produits et des charges au niveau d’un même contribuable a plutôt tendance à interroger, force est de constater que l’application des textes légaux fiscaux pourrait conduire à cette conclusion.
Article paru dans le magazine Option Finance le 20 janvier 2020
Auteurs
Jean-Charles Benois, avocat associé, droit fiscal
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